Si nous sommes au courant de l’histoire des sociétés arabophones du Moyen-Orient et nous savons que l’esprit collectif de ces communautés est loin de faire de la religion une affaire personnelle mais plutôt une référence à toutes les questions, si nous avons suivi le fil des événements survenus au cours de cette dernière décennie dans les sociétés syrienne, irakienne, libanaise, yéménite et libyenne, le recul qu’a connu la société tunisienne après avoir été conduite au seuil de la modernité et de la contemporanéité grâce à un dirigeant de la stature de Bourguiba, si nous sommes avisés des actions menées par le mouvement Hamas, la branche des Frères musulmans à Gaza lorsqu’il a remporté les élections qui l’ont fait accéder au pouvoir dans les territoires de l’autorité palestinienne, si nous comprenons le phénomène du printemps arabe et pourquoi ses événements se sont déroulés dans les sociétés des républiques et non des royautés, si nous avons étudié la guerre civile algérienne qui est appelée décennie noire, qui avait démarré depuis trente ans et a fauché des dizaines de milliers de personnes. Si nous sommes informés de ces sept grandes vérités, comment nous ne nous rendons pas compte de la politique catastrophique et criminelle menée par Obama, Hilary Clinton ou plusieurs des politiciens de l’Occident qui visent à mettre les sociétés arabophones du Moyen-Orient dos au mur pour simuler un comportement démocratique pareil à celui qui a fait accéder le mouvement « Hamas » au pouvoir dans les territoires de l’autorité palestinienne en 2006 ?Ajoutons à ces sept sujets, la catastrophe provoquée par un grand nombre de pays tels les Etats Unis, le Royaume Uni, le Canada et tous les pays de l’Union européenne qui n’ont pas inscrit les Frères musulmans sur la liste des organisations terroristes alors qu’ils considèrent « Hamas » seul comme groupe terroriste que tout étudiant en sciences politiques sait très bien qu’il n’est qu’une branche de « l’Organisation des Frères musulmans » et que pour longtemps, il a porté le nom de la branche de Gaza de « l’organisation des Frères musulmans ». C’est ainsi que de multiples pays du premier monde considèrent la communauté des Frères musulmans comme l’arbre de l’islamisme et Hamas comme l’une de ses branches alors qu’on trouve qu’ils considèrent uniquement la branche comme terroriste alors que le tronc de l’arbre mère ne l’est pas et même vont jusqu’à tenter de le faire accéder au pouvoir dans un certain nombre de pays arabophones du Moyen-Orient.
Il y a quelques années, j’étais invité à prononcer un discours sur les Frères musulmans devant le Parlement britannique. A peine l’ai-je terminé que commença le débat. L’un des membres du Parlement, le baron X s’empressa de me poser la question : « Donc si j’ai bien compris de votre allocution, la démocratie ne se place pas en tête de vos priorités ?! » je me suis empressé de lui répondre sans hésitation aucune: « Certes, la démocratie n’est pas la première de mes priorités. » Pensant m’avoir eu et avec le sentiment d’avoir gagné la première manche du jeu, il m’a adressé la parole sur un ton sarcastique teinté d’arrogance : « Alors quelle serait votre priorité qui devance la démocratie ? » Je lui ai répondu avant qu’il ne termine sa question : « C’est la même que la vôtre : que les membres de ma famille rentrent sains et saufs chez eux en fin de journée. » Nous étions nous deux surpris par les applaudissements de l’audience. Aussitôt terminés, j’ai ajouté ces quelques mots : « Les sept vérités que j’ai citées, vos questions et mes réponses vous imposent deux obligations : la première est de tenter de comprendre les sociétés arabophones du Moyen-Orient tout en vous écartant des stéréotypes qui ne conviennent pas à de grands intellectuels ; La deuxième est de vous libérer des idées toutes faites au sujet des Frères musulmans qui vous parviennent des services de renseignements et dont la vérité de leurs relations historiques avec les Frères musulmans est connue par toute personne cultivée. »
De nombreuses sociétés dans la région du Moyen-Orient sont la scène d’une bataille entre les « passéistes » et les « modernistes» au cours de laquelle les premiers, avec un machiavélisme évident et certain, portent le masque de la religion, de ses constantes et du sacré. Certes, cette attitude n’est que leur « tactique » par laquelle ils croient gagner leur bataille contre les « modernistes ». Tout en croyant que toutes les sociétés de notre région se distinguent par leurs particularités, c’est à dire par leurs propres caractéristiques, je porte la certitude inébranlable que la conjoncture actuelle et future de certaines d’entre elles auront leurs fortes répercussions sur d’autres sociétés de la région. Viennent en tête de ces sociétés le trio important ( en allant de l’est vers l’ouest) : Les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et l’Egypte, avec en deuxième lieu dans l’ordre d’importance les situations qui vont advenir en Syrie, en Libye, en Tunisie et au Yémen. A ce propos, je dirai que le cas émirati est plus facile à induire que ceux de l’Arabie Saoudite et de l’Egypte en raison de leurs importances et des innombrables détails qu’ils présentent. A ce que je pense, la situation émirati avancera dans le même sens et selon le même mode et le même ordre des choses, dans l’intérêt même de la tendance moderniste. J’envisage les choses d’une manière identique en ce qui concerne l’Arabie Saoudite et l’Egypte, mais- comme je l’ai bien signalé- elles présentent l’une comme l’autre des détails très fouillés et surabondants pour former un tout qui ressemble à une mosaïque.
L’Arabie Saoudite n’est pas seulement un grand Etat ou une grande société. Elle exerce un influence ineffable sur la région et le monde. Je prévois, en fait, que l’Arabie Saoudite, malgré les difficultés qu’elle affronte sur les deux plans interne et externe, poursuivra avec grand succès l’orientation moderniste qu’elle connait depuis six ou sept ans. La difficulté majeure qu’elle éprouve sur le plan interne réside dans la mentalité secrétée par la période de l’éveil ; et sur le plan externe, les tentatives de préoccuper l’Arabie Saoudite par des questions qui ne visent que le chantage, ainsi que le projet iranien impérialiste dans la région. Et ce succès remporté par l’Arabie Saoudite- à quoi je m’attends- serait un coup de massue adressé au courant réformiste adverse, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Arabie Saoudite. L’arme décisive de la victoire historique de l’Arabie Saoudite sur le plan réformiste se situe au niveau d’une « révolution éducative » qui ancre la mentalité réformiste et éradique la possibilité d’être attiré par les idées et les conceptions de l’esprit collectif passéiste. D’un point de vue logique, les pays occidentaux ( A l’exemple des Etats Unis, de l’Europe, du Canada et de l’Australie) devaient se réjouir de cette mutation moderniste de l’Arabie Saoudite et la soutenir: néanmoins ce n’est pas du tout le cas.
Quant au cas égyptien, il n’en présente pas moins une imbrication de de milliers d’éléments. Néanmoins, je porte la ferme conviction que l’Egypte qui a subi le coup le plus cuisant de la part des Frères musulmans le 3 juillet 2013 et qui poursuit son exécution de centaines de projets de développement depuis la moitié de 2014 avance sur la voie d’une victoire réformiste relative. Et pourquoi je dis « relative » ? rien que parce que je suis conscient que les grands projets de développement terminés ou en cours d’exécution en Egypte doivent naviguer de concert avec un autre projet réformiste sur les plans de l’enseignement et du discours religieux. Il n’ y a nul doute que les forces hostiles au projet réformiste sont majeures, influentes et se sont constituées à travers de nombreuses décennies ; et si, avant 2014, elles n’avaient enregistré aucun succès, c’est parce qu’elles comptaient exclusivement sur des outils sécuritaires et ne portaient aucun intérêt à vaincre la pensée par la pensée sans omettre de vue l’existence d’un front d’opposition au modernisme dans l’une des grandes institutions de da’wa et d’enseignement. Malgré les difficultés et les défis qui se dressent sur le chemin de l’Egypte, le connaisseur de la nature et du rôle des forces armées égyptiennes serait plutôt pour dire que l’Etat de l’après 3 juillet 2013 est sorti victorieux de sa bataille contre les forces passéistes. Mais cette victoire ne serait que relative et ne durerait que quelques années. Il n’ y a nul doute que les événements qui se dérouleront en Syrie, Libye, Tunisie et au Yémen auront leurs impacts et répercussions sur les sociétés de ces pays et sur la région toute entière.
L’avenir proche de la Syrie serait- à ce que je pense- semblable à son présent. Ce qui s’avérerait compatible non avec les intérêts de l’organisation des Frères musulmans mais malheureusement avec ceux du fondamentalisme chiite qui gouverne l’Iran depuis 43 ans. Et la Russie - comme je le détaillerai dans un prochain article- éprouvera le grand bonheur que la situation reste au beau fixe. La raison primordiale serait d’interdire l’arrivée en Europe d’un gaz naturel concurrent de celui de la Russie via la Syrie (c’est à dire parvenir en Syrie de son côté est par les gazoducs pour y être liquéfié avant d’être chargé vers l’Europe par l’un de ses ports)
La Libye, quant à elle, présente trois scénarios bien distincts : le premier qu’elle soit unifiée sous une houlette anti-Frères musulmans, le deuxième sous une direction sympathisant avec eux et le dernier serait le maintien du statu quo sans aucun changement. Et, bien qu’ils soient tous probables, le premier d’entre eux (que je juge le meilleur) n’est pas certain.
A propos de la Tunisie, elle a été, ces derniers 11 ans, le théâtre d’un conflit acharné entre passéistes- dont en premier lieu le parti Ennahdha conservateur islamiste qui est - historiquement parlant- le fruit de l’arbre bourguibienne. Il est très probable que la classe bourgeoise la plus forte de toutes les sociétés arabophones se trouve en Tunisie. Et ce conflit intra-tunisien était- dans sa plupart- purement politique. Et moi, je dirai que les forces réformistes gagneront la bataille au cours des années à venir en Tunisie.
En dernier lieu, j’exclue que le Yémen puisse connaître de grands changements positifs au cours de ces quelques années à venir quoique je crois dur comme fer à l’échec du projet iranien dans ce pays.
Je ne me suis pas attaqué à d’autres pays tels l’Irak, le Liban, la Jordanie, l’Algérie, le Maroc, le sultanat d’Oman, le Bahreïn, Qatar et le Koweït : C’est parce que je pense que dans 3 ou 5 ans leurs états n’auront pas largement changé par rapport à ce qu’ils sont aujourd’hui.
Je n’ai pas non plus traité Israël parce que je préfère en parler dans un article à part au cours de ces dernières années de la troisième décennie de notre siècle. Mais je dois dire que je m’attends à une confrontation militaire israélo-iranienne dans un avenir proche.