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Le Grand entretien : Pascal Drouhaud, Un témoin passionné de l’évolution du monde

Pascal Drouhaud
Pascal Drouhaud

Les relations internationales sont au cœur de la vie de Pascal Drouhaud, « un globe trotter patriote», spécialiste français de l’actualité internationale. 

C’est à son retour d’El Salvador, en Amérique centrale, en 1991 qu’il mène une première partie de son parcours professionnel, dans la sphère publique et institutionnelle nationale française et européenne. Son goût pour l’action publique l’a conduit à assumer la direction des relations internationales du parti présidentiel de Jacques Chirac de 1995 à 2006 . Il a exercé ces fonctions sous les présidences de MM. Alain Juppé (1995-1997), Philippe Seguin (1997-1999), Nicolas Sarkozy (1999) et Mme Michèle Alliot-Marie (1999-2002), lui permettant d’être à la fois le témoin d’une vie politique française contemporaine, et un acteur en matière de politique internationale. 

En 2007, il rejoint la direction internationale du groupe Alstom. Directeur adjoint pour l’Afrique subsaharienne et l’Amérique latine (2009-2016), il participe au développement du groupe français dans les pays émergents de ces continents, et auprès de puissances régionales, comme le sont les pays du Proche et Moyen Orient, pour les secteurs ferroviaires et de l’énergie. Le rachat de la branche énergétique d’Alstom par Général Electric en 2015 le conduit à devenir « Senior exécutive business manager » du groupe américain en France de 2016 à 2017. Très actif sur le continent africain, où il contribue à la mise en place du premier train urbain d’Afrique de l’Ouest au Sénégal, à la transmission et distribution d’électricité, produite notamment en Côte d’Ivoire, dans toute la région, passionné par le moyen orient où il se rend régulièrement, il s’est spécialisé ces dernières années, sur le continent latino-américain. 

Directeur du développement des pays andins et Amérique centrale (2018-2019) du Groupe Bombardier (basé à Bogota) avant de devenir le Directeur des relations institutionnelles pour la France-Bénélux (2019-2020), il contribue à la réalisation de projets ferroviaires et énergétiques des pays d’Amérique latine et d’Afrique : installation d’Alstom en Colombie, métro de Bogota (consortium gagnant avec China Harbour , en 2019) ; métro de Lima (signalisation) ; projet de tramway au Costa Rica, Guatémala ; centrale de la Laguna verde (Mexique) ; tramway de Dakar ; centrale d’Azito (Côte d’Ivoire). 

Pascal Drouhaud est par ailleurs, l’auteur de nombreux articles sur le développement économique de l’Afrique, les défis des pays émergents d’Amérique latine. Il a publié un ouvrage remarqué sur la Colombie et la guérilla de FARC, intitulé  «Farc, confessions d’un guérillero» (éditions Choiseul, 2008). Il a par ailleurs créé l’association LATFRAN, France-Amérique latine qui contribue au renforcement des liens entre la France et le continent latino-américain (www.latfran.org) Il est le correspondant en Europe, du quotidien salvadorien, El Diario de Hoy (www.elsalvador.com). 

Sa connaissance politique et économique de ce continent le conduit à être régulièrement invité dans les médias nationaux français (France 24/ RFI/LCI) pour analyser la situation générale de l’Amérique latine.

Rencontre exceptionnelle, pour « Le Dialogue », avec un grand témoin des relations internationales contemporaines.

 

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Le Dialogue : Quelle lecture faites-vous sur la mort du président iranien pour le régime et pour l'avenir de l'Iran ?

Pascal Drouhaud : La brutale disparition du président Ebrahim Raissi et du Ministre des affaires étrangères de la République islamique d’Iran, M. Hossein Amir-Abdollahian constitue un évènement très important. L’accident du 19 Mai dernier a eu un impact par sa violence, en faisant 9 victimes, mais également par la force des disparitions sur le cadre institutionnel,  dans un contexte  international tendu, très particulièrement au Proche et Moyen-orient. 

Les institutions sont depuis, appliquées : le Vice -président remplace le président défunt et des élections se tiendront le 28 Juin prochain. Il reste cependant normal que la communauté internationale réagisse après l’accident du 19 Mai dernier a impacte à la fois par l’importance des victimes pour le régime mais également en raison du context très particulier au proche orient Depuis Le drame 

Des évènements essentiels se sont produits : l’Etat d’Israël a répondu à l'attaque iranienne des 13 et 14 Avril dernier. C'était la première fois depuis la création de la République islamique en 1979, que l'Iran lançait une attaque directe contre Israël, avec le soutien de plusieurs organisations alliées et ennemies d’Israël. La question du programme nucléaire iranien reste posé et plus que jamais d’actualité dans un environnement international dans lequel la dissuasion nucléaire est redevenue centrale. elle est plus que jamais d’actualité. 

 

Est-ce que l'Europe peut résister économiquement et financièrement à la guerre russe en Ukraine ?

Depuis le début de la guerre provoquée par l’attaque armée russe le 24 Février 2022, l’Union européenne composée de 27 pays membres, a versé 85 milliards d’euros d’aides à l’Ukraine. Elle couvre à la fois l’aide militaire, humanitaire et économique. Une aide supplémentaire de 50 milliards a été approuvée en février dernier dans le cadre d’un dispositif budgétaire mis en place par la commission européenne. «La Facilité pour l’Ukraine » vise à appuyer la reconstruction et la modernisation de l’Ukraine tandis que « la facilité européenne pour la paix » est destinée au financement de l’effort de guerre ukrainien.

 

La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen a affirmé que « l’Ukraine lutte courageusement contre l’invasion par la Russie [de son territoire] et a besoin de notre soutien financier stable pour faire face aux coûts considérables que cela implique », en rappelant que « l’Union européenne a promis de rester à ses côtés aussi longtemps qu’il le faudra ». 

Dans ces conditions, le soutien de l’Europe à l’Ukraine ne va pas varier. Les pays d’Europe centrale et orientale sont particulièrement inquiets. La vigilance est actuellement de mise. Mais l’Europe est solide. Elle connait la guerre : elle a vécu deux conflits majeurs sur son sol pendant le XXème siècle. La guerre froide en a fait un théâtre d’opération. Et pourtant, elle s’est reconstruite, depuis le Traité de Rome en 1957, pour devenir l’un des premiers marchés commerciaux au monde. Sa détermination sur des valeurs qui lui ont permis de s’élever sont les bases sur lesquelles elle ne reviendra pas. Contenir pour préserver l’avenir, parce que la géographie conditionne toujours les réalités des peuples, est au centre d’un projet européen. 

 

Vous avez un parcours professionnel qui vous a permis d’acquérir une expérience dans les secteurs publics et privés. Quel en est le fil conducteur ? Est-ce une démarche courante en France et en Europe ? 

L’international est l’élément central d’un parcours marqué par le sens de mon pays, la France, mais également en étant porté par la volonté de comprendre, pour mieux anticiper et participer à l’évolution du monde depuis plusieurs années. 

Je suis issu d’une génération née avant que la chute du Mur de Berlin. Jeune à la fin des années 1970 et pendant les années 1980, je me souviens parfaitement de la relation Est-Ouest: Léonid Brejnev, Iouri Andropov, Konstantin Tchernenko et enfin Mikhaïl Gorbatchev d’une part, Jimmy Carter et Ronald Reagan de l’autre, la chute du Shah d’Iran, l’invasion de l’Afghanistan par les forces de l’ex URSS, l’assassinat d’Anouar El Sadate et la guerre au Liban, autant d’évènements qui marquaient un temps de notre histoire contemporaine et me passionnaient. Cet environnement international était certes violent, mais finalement, relativement simple. Vous aviez le bloc de l’Est, conduit par Moscou, et celui de l’Ouest sous le « parapluie nucléaire » de Washington. Cet ordre du monde était régi par le concept de la dissuasion nucléaire. Le Mouvement des pays non alignés proposait pour sa part, une troisième voie dans un environnement bipolaire. 

 

J’ai eu la chance, à la fin des années 1980, de vivre le basculement du monde qu’a constitué la Chute du Mur de Berlin (9 Novembre 1989) et celle de l’ex-URSS. J’étais alors parti, au titre de la coopération, jeune diplômé en Lettres, Histoire et géographie, travailler pour le gouvernement français, en Amérique centrale, à El Salvador. Ce pays constituait alors, en Amérique centrale, aux portes du Nicaragua, un front de la guerre froide finissante. Depuis 1988, j’apprenais à vivre dans un pays qui traversait une guerre civile. J’ai découvert les enjeux en termes politiques, de sécurité, économiques, idéologiques et religieux, de la rivalité Est-Ouest. 

Le 9 Novembre 1989, le Mur de Berlin tombait. Le 11 Novembre 1989, à San Salvador, la guérilla du FMLN, lançait une offensive générale. « La Ofensiva Hasta el Tope-Febe Velasquez vive » avait un objectif : renverser le gouvernement en place. Elle constituait l’opération de la dernière chance pour une guérilla qui savait que l’Europe basculait et à terme, les fondamentaux idéologiques d’un système qui existait depuis que Winston Churchill avait parlé, en 1947 dans son célèbre discours de l’Université de Fulton, d’un «rideau de fer »  qui se levait en Europe. 

 

J’ai vécu la fin d’un monde.   A l’époque, Francis Fukuyama parlait de « la Fin de l’Histoire». J’ai participé à l’entrée dans un monde qui se pensait apaisé, mais qui était en réalité confus, à la recherche d’un nouvel équilibre. La 1ère guerre du Koweit, le processus d’intégration de l’Europe centrale et orientale à l’Union européenne, l’émergence de la Chine à la fin des années 1990 et début des années 2000, la fin du régime de l’apartheid en Afrique du Sud et l’élection de Nelson Mandela à la tête de ce pays, le 1er sommet sur le Climat à Rio de Janeiro en 1992, mais aussi le premier attentat contre le World Trade Center en 1993, les talibans en Afghanistan, autant de nouveaux évènements mondiaux qui accompagnaient non seulement mon retour en France (1991) mais la volonté de me sentir utile à mon pays et de m’engager.

 

Je voulais apporter ma contribution tandis qu’il évolue. Le monde est devenu numérique, aux intérêts croisés et multiples. Le potentiel des biotech et de l’Intelligence artificielle_constitue un marché potentiel de 2400 milliards de dollars. Et il va continuer de croitre.  Les défis sont historiques, immédiats et essentiels : le climat, l’accès à l’eau, l’énergie, la croissance de la population sur une planète ou les ressources naturelles sont surconsommées. La question de la dissuasion nucléaire redevient centrale dans le système de sécurité globale. 

 

Racontez-nous un peu comment vous avez pu vous engager ? C’est à cette époque que vous avez participé à la campagne victorieuse du Président Jacques Chirac, en 1995 ?

 

A mon retour en France, j’ai tenu à reprendre mes études, en me spécialisant en relations internationales à l’Institut européen des hautes études internationales de Nice-Sophia Antipolis, puis à La Sorbonne-Paris 1. Je venais de passer trois années dans un environnement de guerre civile. J’avais connu des personnes formidables, qui allaient à l’essentiel dans la vie : être au service de leur famille, essayer d’être le plus positif possible quand tout peut être perdu en un rien de temps. Et garder espoir dans leur propre pays. Je devais apprendre à vivre, de nouveau, dans un environnement en paix mais en ayant plus que jamais, la volonté de servir mon pays. A cette époque, il me semblait que je n’avais qu’une possibilité : me rapprocher de la sphère politique. 

Depuis toujours, j’ai baigné dans ma famille, dans une atmosphère gaulliste, à la fois patriotique et très ouverte sur le monde. Naturellement, j’ai tout fait pour me rapprocher de l’environnement de Jacques CHIRAC, alors maire de Paris. La campagne présidentielle avait commencé, dès la déclaration de candidature de Jacques CHIRAC en Novembre 1994. Travaillant avec des parlementaires proches de lui comme l’ancien Président de l’Assemblée nationale, M. Bernard ACCOYER, il m’a alors, été proposé de m’investir dans la campagne auprès des français de l’étranger sur le continent américain et africain. 

La France compte plus de deux millions de français qui vivent à l’étranger. Ils sont très actifs, dans la vie économique, associative, culturelle. Ce sont de formidables ambassadeurs de la France que chacun porte dans son esprit et dans son cœur. J’ai pu commencer à les rencontrer pendant la campagne présidentielle de 1995. Jacques CHIRAC étant élu le 7 Mai 1995, il m’a été proposé peu après, de devenir le Directeur des relations internationales du parti présidentiel de l’époque, le Rassemblement pour la République. Ce fût passionnant : le mouvement politique offrait la possibilité d’accompagner les efforts de la diplomatie française, sur tous les continents.

 

Que retenez-vous de cette période ? 

L’action, l’innovation, le sentiment de vivre l’actualité. Nous étions très actifs avec certaines régions du monde.  Le Moyen orient a toujours occupé pour la France et à plus forte raison, dans les mouvements politiques nationaux, une place stratégique et affective, importante. Nous avions alors, réalisé de nombreuses missions auprès de l’Arabie saoudite, mais également la Jordanie, le Liban, l’Egypte, la Jordanie. Mais aussi dans le Royaume du Maroc, l’Algérie, la Tunisie et l’ensemble de l’Afrique. 

Les sujets portant sur le développement, la protection de l’environnement, la globalisation de l’économie devenaient le cœur de l’action diplomatique. Nous étions des facilitateurs, des interlocuteurs pour les partenaires internationaux de la France dans le monde. Nous pouvions sensibiliser, aplanir les différends, marquer les amitiés. Ce furent des années passionnantes, et à titre personnel, extraordinaires. 

Je mesurais combien les décisions prises, pouvaient influencer et dessiner les contours du monde en devenir. Je me souviens d’une phrase d’un de mes professeurs de philosophie qui, parlant du monde bipolaire finissant avait dit : « le passé tient lieu de présent pour ce que le futur a trahi ». Il voulait dire que lorsque le présent ne permet pas de se projeter, tant l’avenir paraît difficile, la tendance est d’idéaliser le passé en pensant qu’il était meilleur que le présent. Cette idée a influencé une perception du monde qui oblige au mouvement, à l’innovation, à créer les conditions d’une attractivité économique, culturelle, linguistique. 

J’avais le sentiment de vivre dans ce mouvement, comme aujourd’hui d’ailleurs : il s’agissait de construire un monde nouveau, en tout organisé en dehors d’un système est-Ouest qui avait disparu.

 

 Pascal Drouhaud-Henry Kissinger/ 2008. Tous droits réservés : P. Drouhaud 

 

 Les espoirs de beaucoup dans le monde étaient grands. Il ne fallait pas les décevoir. En Europe, mais aussi en Afrique, sur le continent américain, en Asie, partout il s’agissait de bâtir un monde nouveau, succédant aux années de la guerre froide.

J’ai continué cette mission dans le mouvement politique de Jacques Chirac après sa réélection en 2002, avait créé l’Union pour un Mouvement populaire (UMP). J’ai pu pendant ces années, travailler auprès de personnalités politiques nationales qui avaient une vision affirmée du monde : le Président Nicolas SARKOZY naturellement, Président du parti de 2004 à 2007, mais également l’ancien Premier Ministre Alain JUPPE qui a fondé le mouvement en 2002. 

 

Comment avez-vous acquis une expérience dans le secteur privé ? 

Il me paraît très important de connaitre le fonctionnement d’une entreprise, d’être aux côtés des travailleurs, de la filière de production qui font la richesse d’un pays, et la crédibilité de son économie. C’est pourquoi, après une dizaine d’année passionnantes dans les forces politiques, il m’a été permis de rejoindre un magnifique groupe industriel français, spécialiste alors en transport et en énergie : ALSTOM. L’innovation, la biotech, l’intelligence artificielle sont des axes nouveaux devenus depuis essentiels. 

 

A la direction internationale, je m’occupais du « business développement » en Amérique latine et en Afrique subsaharienne. J’ai pu y voir, sous l’angle industriel, la mondialisation dont on parle tant. L’entreprise pour laquelle je travaillais, est présente sur tous les continents. S’assurer que les produits, leur production, leur livraison, mais également la maintenance et le fonctionnement correspondaient à la demande des clients, essentiellement des Etats, me permettait d’être au contact de la sphère institutionnelle nationale et internationale. J’ai pu pendant des années, constater combien les questions industrielles, technologiques, de « high-tech » sont au cœur de la réalité du monde, de la concurrence et donc de l’influence des pays dans ce nouveau monde globalisé. 

 

Tout est lié et c’est bien pourquoi, l’expérience de la sphère publique et privé, est essentielle pour répondre aux défis que nous nous devons de relever. 

Bamako-Mali . Tous droits réservés : P. Drouhaud

 

Le changement climatique, la bataille des normes et des brevets, celle du numérique, tout autant que la gestion de la croissance urbaine, sont essentiels au développement. La planète compte désormais près de 8 milliards d’habitants. Les questions relatives à l’eau, au traitement des déchets, sont dans le cœur des questions économiques et de l’action des Etats. Il s’agit d’exister et de peser dans un environnement mondial en constante évolution. La crise de la Covid-19 a constitué, une nouvelle fracture accélérant le basculement vers le numérique. Celui-ci peut être un atout mais si nous n’y prenons pas garde, un accélérateur d’inégalités dans le monde. La fracture numérique entre Etats mais aussi au sein de la population constitue un sujet important dans la prévention des conflits de demain. 

 

La France en est bien consciente comme pays, mais également comme membre de l’Union européenne. Le monde contemporain est marqué par une forme de prolifération de pôle de puissances, régionaux ou à vocation mondiale. Les tensions internationales, nourries par la guerre en Ukraine, les conflits au Moyen-Orient, les différentes idéologiques qui ne sont qu’une forme de rivalité sur le terrain politique et symbolique qui se joue aujourd’hui dans le monde. 

 La guerre en Ukraine depuis le 24 Février 2022, la guerre entre Israël et le Hamas depuis le 7 Octobre 2023, les tensions en Mer de Chine et autour de la péninsule coréenne, l’action de la République islamique iranienne, doublé d’un engagement de groupes armés non étatiques contre Israël le 14 Avril 2024, autant de faits majeurs qui contribuent à replacer la problématique de la dissuasion et de la prolifération nucléaire dans le cœur du débat international. Qu’en est-il de l’Amérique latine ?

 

En ce qui concerne l’Amérique latine, la question nucléaire militaire est à la fois tabou, renvoyant au passé de la guerre froide, mais également perçue comme l’incarnation d’une souveraineté suprême ? 

C’est la place de ce continent dans un environnement international sous tensions qui est posée : après avoir donné le sentiment d’être un espace oublié, pendant la crise de la Covid 19, l’Amérique latine a essayé de maintenir une forme de neutralité sur la guerre en Ukraine avant de s’enflammer depuis le déclenchement du conflit entre Israël et le Hamas faisant apparaître des fractures politiques annonçant des positionnements géopolitiques divergents. 

 

Ces derniers peuvent, alors que les tensions actuelles font apparaître l’émergence d’une nouvelle guerre idéologique, conduire plusieurs pays à non seulement rechercher une protection offerte par des puissances globales proposant un cadre de sécurité antagonistes, mais également ouvrir un débat avant tout politique, sur la question nucléaire sur le continent. 

A première vue, le débat n’existe plus depuis l’adoption et l’entrée en vigueur du Traité de Tlatéloco le 22 Avril 1968. L’Amérique latine est devenue une zone exempte d’armes nucléaires. L’accord, signé le 14 Février 1967 par tous les pays latino-américains et de la région des Caraïbes à conduit les Etats membres à interdire et à rendre impossible sur leurs territoires respectifs, l'essai, l'emploi, la fabrication, la production ou l'acquisition, par quelque moyen que ce soit et sous quelque forme que ce soit, de toute arme nucléaire . 

Le sujet était clos. Il succédait à l’épisode de la crise des missiles d’Octobre 1962 qui illustrait le danger nucléaire ultime. Les termes récurrents utilisés actuellement, tels « escalade », « ambiguïté stratégique », « armements tactiques ou stratégiques », « destruction mutuelle assurée », ne sont en rien des concepts inconnus des Etats latino-américains. Ils renvoient à la crise de 1962 et au danger de basculement dans un conflit nucléaire que le Président John Fitzgerald Kennedy et le 1er secrétaire Nikita Krouchtchev parvenaient à enrayer. Cuba avait conduit les deux Grands du système bipolaire Est-Ouest  dans un rapport de force direct. La question nucléaire à but militaire s’est cristallisée dans un immobilisme chronique depuis 1968, grâce au Traité de Tlatélolco, doublé de l’adoption du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) . Pourtant, depuis le début de la guerre entre l’Ukraine et la Russie et plus encore, depuis le déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas, à la suite de leurs attaques du 7 Octobre 2023, le continent latino-américain paraît entrainé dans une nouvelle logique stratégique globale.

 

Les alliances de la Russie avec le Nicaragua, le Vénézuéla et Cuba où s’est rendu, en plus du Brésil, Sergueï Lavrov en 2023 et 2024, tout autant que les relations de l’Iran avec ces pays, contribuent à l’ancrage de divergences géopolitiques faisant apparaître une fracture entre les tenants d’un « Sud global » revendiquant un changement de gouvernance mondiale et les alliés de l’ordre international actuel. En arrière-fond, transparait l’enjeu géopolitique : si l’Amérique latine constitue une région de la planète sans armements nucléaires, elle peut se placer sous le parapluie d’une puissance globale. A ce jour, perçue comme le « back yard », l’« arrière-cour » des Etats-unis, le renforcement de la présence chinoise tout comme la diversité de partenaires élargis à la Russie ou à l’Iran , laisse entrevoir la possibilité d’un nouveau choc d’influence stratégique. 

La présence du président argentin Javier Milei à Ushuaia le 5 Avril 2024 avec la commandante des forces américaines pour l’Amérique latine, l’« US Southern command », Générale Laura Richardson, est révélatrice de cette évolution. En y annonçant la création d’une base navale, le président argentin a affirmé vouloir bloquer l’accès de la République populaire de Chine à l’Antarctique par l’Argentine révélant les enjeux internationaux que peut représenter le territoire latino-américain. 

(Tous droits réservés : US Southern command- Président Javier Milei/ Général Laura Richardson- Ushuaia- 5 Avril 2024)

 

 

 

 

 

Du danger immédiat au statut de « zone exempte d’armes nucléaires »

 

La conférence internationale réunissant en 2026, les Etats parties au Traité de non-prolifération nucléaire pose la question de l’aspect irréversible de la non-prolifération nucléaire. L’Amérique latine est à ce titre et à ce jour, exemplaire. Cette situation peut-elle perdurer malgré les tensions internationales et les clivages politiques qui apparaissent ? 

 

L’Amérique latine pourrait-elle être rattrapée par les démons qui l’ont enfermée, pendant la guerre froide, dans la position dangereuse et inconfortable d’un permanent théâtre d’opérations ?  Pendant les décennies de la relation Est-Ouest, chacun des grands a considéré ou tenter de l’ériger en « zone d’influence ». « Back yard » pour les uns, le continent constituait un levier dans un rapport de force global. Dans le bras de fer opposant Moscou et Washington sur Berlin à partir de 1961, Cuba offrait l’avantage de déstabiliser le cœur du système occidental. 

 

L’implantation de « foyers révolutionnaires » d’inspiration marxistes-léninistes en Amérique centrale ou en Amérique du Sud, constituaient autant de moyens de pression dans un dialogue bipolaire. Les conflits internes au Guatémala et surtout en El Salvador seront par exemple, au programme du Sommet de Malte entre le président Georges Bush et le secrétaire général du parti communiste de l’URSS en Décembre 1989 . La réalité de la structure bipolaire des relations internationales, opposant deux systèmes antagonistes, régis sur le plan sécuritaire par le principe de la dissuasion nucléaire, se traduisait en Amérique latine, par des conflits dits « périphériques » la mise en place de mouvements insurrectionnels ou de contre guérillas. 

Tous droits réservés : US National archives / Président John F. Kennedy- Secrétaire général du PCUS- Vienne, 3-4 Juin 1962

 

La question nucléaire commence à être abordée avec prudence, sur le continent : qui pourrait assurer la sécurité ultime du continent ? 

 

- La Russie a consolidé sa position avec des alliés historiques et s’inscrivent dans une démarche visant à dénoncer le système international de sécurité globale. Cette « tentation du sud global » permet d’introduire la question nucléaire dans le débat latino-américain. 

Il est possible que le Vénézuéla, appuyé par le Nicaragua ou la Bolivie, se saisisse de la tenue de la Conférence des parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) pour relancer le questionnement sur le Traité de Tlatelolco, pierre angulaire d’un dispositif global placé sous tensions. 

 

Une posture de plus en plus conditionnée par les tensions internationales

Pensez-vous que la Guerre en Europe et à Gaza a changé la Donne pour l’Amérique latine ? 

La guerre en Ukraine tout comme le conflit entre Israël et le Hamas ont « désinhibé » le débat sur le socle de sécurité stratégique et global en Amérique latine. L’élection de Javier Milei à la tête de l’Argentine en Octobre 2023, l’affirmation de position pro-occidentales opposées à celles de la Colombie, de la Bolivie, du Vénézuéla, du Nicaragua, ponctuellement du Brésil ou du Mexique a ouvert le champ du débat stratégique. Naturellement, une remise en question en vue d’abattre du Traité de Tlatéloco et des dispositifs associés à une non-prolifération, n’apparait pas aujourd’hui crédible.

 

Mais, l’ancrage d’une rhétorique permanente de remise en question de l’ordre international, l’introduction d’une volonté de développer l’énergie nucléaire, constituent autant de faits marquants, pouvant, dans la durée, conduire à une inflexion. Il y a Plusieurs tendances sont à dessiner : 

 

- les puissances régionales et pôles d’influence en construction : Le Brésil, le Mexique tout comme le Chili ou l’Argentine s’inscrivent dans une démarche visant à consolider, élargir ou établir leur présence et influence. La question du nucléaire s’inscrit sous l’angle de l’énergie civile. 

 

- les piliers d’une hostilité au mécanisme actuel de sécurité globale : le Vénézuéla et le Nicaragua incarnent une approche plus agressive sinon hostile. Leurs alliances avec l’Iran et la Russie ne peut que générer une vigilance particulière notamment de la part des Etats-unis. En se plaçant « sous le parapluie » et la protection russe, le Nicaragua s’est érigé en un sanctuaire en Amérique centrale, alternant provocations et violations des moindres règles démocratiques. Le Vénézuéla pour sa part, s’inscrit dans une logique à bien des égards identiques : à la fois protégé et envié par la force de ses réserves pétrolières, le régime de Nicolas Maduro tente, sans y parvenir pour le moment, de ranimer une flamme alternative qui constituerait le socle d’une unité révolutionnaire. Sa tentative de conquête du territoires riches en pétrole de son voisin du Guyana semble avoir fait long feu, happé par les tensions politiques internes à la veille de nouvelles élections présidentielles.

 

Cette diversité rappelle que l’Amérique latine tente malgré tout, de relancer la question de son positionnement international. Certains, en voulant l’offrir aux tenant d’un sud global hostile « à l’ouest », rêveraient d’une stratégie de « prise à revers » du camp occidental. Mythe ou amorce d’une évolution stratégique, les relations entre la Russie, le Nicaragua, le Vénézuéla ou Cuba mises en relief par les visites de Serguei Lavrov en 2023 et 2024, s’inscrivent dans cette logique. 

 

(Tous droits réservés : Présidence de la République du Vénézuéla/ Rencontre entre Serguei Lavrov et Nicolas Maduro – 19 Avril 2023)

 

C’est la guerre entre Israël et le Hamas, au lendemain des attaques de Hamas le 7 Octobre 2023 a replacé l’idéologie dans l’approche internationale de nombreux pays du continent au premier rang desquels les principales économies latino-américaines. 

La Colombie a rompu, le 2 Mai 2024, ses relations diplomatiques avec Israël, au terme de plusieurs mois de crise bilatérale. Le Vénézuela, le Nicaragua se sont tout de suite rangé aux côtés de la cause palestinienne. Pour sa part, le président brésilien, Luis Inacio Lula da Silva, au terme d’échanges vifs avec Israël, a été déclaré « persona non grata » par Israël Katz, ministre des affaires étrangères de l’Etat hébreu. 

La Bolivie a rompu ses liens dès le 31 Octobre. Une nouvelle solidarité en partie « bolivarienne » et alternative, a semblé renaitre dans un climat politique de polarisation. Dénoncer l’ordre international né de la seconde guerre mondiale devient une règle chez les tenants du sud global. Elle se développe en écho à la démarche de la Russie et à celle de certains membres des BRICS+ appelant à une nouvelle organisation internationale. 

L’accession à la présidence de la République d’Argentine de M. Javier Milei a parachevé l’apparition d’un front de divergences idéologiques sur le continent.  Tandis que le président brésilien tente d’apparaitre comme le leader d’une approche critique du système international, Javier Milei en devient le promoteur. En invitant son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, à son investiture à Buenos aires , alliance soutenue avec Israël au grand dam de pays comme la Colombie, l’Argentine s’oppose à une approche alternative qui apparait à ses yeux, « révisionniste ». Il permet de rompre un isolement dans lequel semblaient enfermés des pays comme l’Uruguay, le Paraguay ou le Costa Rica. 

 

Les deux lignes divergentes obligent à replacer dans une approche globale les questions essentielles du débat stratégique : quels sont les intérêts vitaux de l’Amérique latine ? Sont-ils régionaux ou seulement attachés aux Etats membres ? En cas de menace majeure, la sécurité de l’Amérique latine, dans sa dimension conventionnelle mais également, stratégique est-elle placée sous le dispositif américain ? La Russie propose t’-elle à ses alliés, une protection de son dispositif de défense ? La République populaire de Chine qui vient de se voir interdire l’accès, par l’Argentine, à l’Antarctique pourrait-elle s’engager, par exemple pour défendre ses investissements, et au nom de la défense de ses intérêts vitaux ? 

C’est dans cet environnement tend que les interrogations sur le devenir des armes de destruction massive et les interrogations en matière dissuasion et de la prolifération nucléaire, deviennent à nouveau d’actualité.

 

 

Combien de pays vous paraissent concernés en Amérique latine ? 

 

-  Il y a trois pays possèdent actuellement, des réacteurs nucléaires dédiés à l’énergie civile :

 

Le Brésil dispose de deux réacteurs au sein de la centrale d’Angra, au sud-est du pays. Connectés au réseau électrique brésilien en 1982 et 2000, ils fournissent ’une puissance cumulée de 1 884 MW. Ils fournissent près de 3% de la production électrique brésilienne en 2021 (avec 14,7 TWh produits). 

 L’Argentine possède 3 réacteurs nucléaire à « eau lourde » . Ceux-ci sont répartis entre 2 centrales : 2 à Atucha connectés au réseau en 1974 et 2014 (1027 MW cumulés) et 1 à Embalse connecté au réseau en 1983 (600 MW). Le parc nucléaire argentin contribue à hauteur de 7,2% de la production électrique du pays. 

 Le Mexique avec deux réacteurs à la centrale de La Laguna verde d'une capacité de 650 et 700 MWe. La première tranche est exploitée depuis 1990 ; la seconde depuis 1995.

Pour sa part, le Vénézuéla, avec des réserves de pétrole parmi les plus importantes au monde, avait engagé un programme nucléaire dans les années 1970 avec la mise en place d’un réacteur de recherche, RV1. Il est placé sous les garanties de l'Agence internationale pour l’énergie atomique en vertu d'un accord trilatéral conclu en 1968 avec le Venezuela et les Etats-Unis. Le Vénézuéla a signé un accord général sur la coopération nucléaire avec la Russie en 2008 qui a envoyé, depuis, et à trois reprises, des bombardiers à capacité nucléaire Tupolev. 

 

Serguei Lavrov, Ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie, déclarait, lors de sa visite en Février 2024, que son pays « considérait comme prometteur le domaine de l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire », en convenant « augmenter le volume de la coopération dans tous ces domaines". 

 

Cette alliance se double de relations continues avec la République islamique d’Iran : les visites bilatérales depuis la présidence d’Hugo Chavez et ses homologues iraniens depuis 2001, n’ont pas cessé. L’ancien président iranien qui avait effectué en Juin 2023, une visite au Vénézuéla, Nicaragua et Cuba parlant de « pays amis » avec lesquels les objectifs visent « à développer la coopération économique, politique et scientifique ». 

(Tous droits réservés : Présidence de la République du Nicaragua- Rencontre de Daniel Ortega et du Président Ebrahim Raissi- Managua- 12 Juin 2023)

 

Et le Brésil ?

Pour sa part, le Président brésilien, Luis Inacio Lula da Silva s’est clairement positionné afin d’apparaitre comme le leader, des positions politiques du Sud global, à la fois et en matière d’avancée technologique de son appareil national militaire. C’est avec la France que le Chef de l’Etat brésilien a engagé la perspective d’une entrée du géant latino-américain dans le club des pays disposant de sous-marins à propulsion nucléaire. Déjà en 2008, le partenariat stratégique engagée avec le chef de l’Etat français Nicolas Sarkozy, laissait entrevoir cette option. Pendant la visite du président Emmanuel Macron, du 26 au 28 Mars 2024, les deux Chefs d’Etat ont officialisé cet objectif qui permet au Brésil de consolider sa position de leader régional. Les sous-marins constituent, tout comme les porte-avions, des instruments de projection de puissance de la souveraineté, en plus du bond technologique offert par ces équipements. 

 

C’est pendant la mise en service du troisième sous-marin conventionnel, livré par la France dans le cadre du programme « ProSub » que le lancement d’un quatrième sous-marin et premier à propulsion nucléaire a été officialisé. La mise en construction de l’Alvaro Alberto”, permet au Brésil d’asseoir sa position de leader technologique en devenant le premier pays à disposer d’un sous-marin à propulsion nucléaire. 

 

Cet ensemble de faits, dans un contexte politique tendu et divergent, établit une forme de terreau ouvrant le débat sur les questions portant sur les mécanismes de sécurité internationale et naturellement, la dissuasion nucléaire. En 2026, la Conférence des parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP, signé en 1968) se tiendra au siège de l’ONU. Il apparait inévitable que plusieurs pays aillent saisir cette occasion pour relancer le débat sur le principe même de l’équilibre nucléaire en appelant à une refonte du système.

Je suis convaincu que l’Afrique et l’Amérique latine seront les continents qui feront pencher le poids du monde d’un côté ou de l’autre tandis que les relations internationales sont actuellement, engagées dans un rapport de force majeur, couvrant tous les secteurs des s