Le XXème siècle kurde fut le siècle de toutes les attentes, de tous les rêves mais surtout de toutes les désillusions. Population médiatisée depuis l’avènement de l’État islamique en 2014, il n’en demeure pas moins que les Kurdes sont fortement méconnus. Sa médiatisation est intrinsèquement liée à son instrumentalisation par certaines puissances. En effet, les territoires kurdes se situent sur des zones pétrolifères, enjeux de toutes les convoitises …
Aujourd’hui, selon les dernières estimations, les Kurdes sont environ 40 millions, répartis majoritairement dans 4 pays : la Turquie (43%), l’Iran (27%), l’Irak (18%) et la Syrie (8%), à cela s’ajoute les 4% de la diaspora principalement présente en Europe, dans le Caucase et en Asie centrale.
Cette deuxième et dernière partie revient sur le siècle de tous les changements pour une communauté kurde toujours en quête d’unité et d’autonomie.
L’espoir éphémère d’une nation
Au début du XXème siècle, l’Empire ottoman se veut exclusivement turc. Pour endiguer toutes tentatives de cessations au sein même de l’Empire, plusieurs milices dont des kurdes participent à des déportations et des massacres de minorités chrétiennes, majoritairement arméniennes. C’est dans ce contexte de divisions et de frictions, que certains kurdes nourrissent l’idée d’un rêve d’État, contrairement à une bourgeoisie très proche du pouvoir stambouliote. Les premiers intellectuels s’insurgent, les premiers journaux clandestins en langue kurde apparaissent. Mais, les prémisses de l’émergence d’une réelle conscience nationale sont rapidement matées par le pouvoir central.
Avec la fin de la première guerre mondiale et le dépècement de l’Empire ottoman par les puissances occidentales (accords de Sykes-Picot en 1916 puis traité de Moudros en 1918), la résonnance du discours nationaliste kurde prend de l’ampleur. Le rêve d’une nation tutoie la réalité lors du traité de Sèvres le 10 aout 1920. En effet, ce traité prévoit le démantèlement de l’Empire ottoman et la création d’un Kurdistan indépendant. Cependant, ce projet ne verra jamais le jour. Mustapha Kemal Atatürk, premier Président de la Turquie moderne, arrive au pouvoir avec des desseins panturquistes. Il chasse les occupants de l’Anatolie et met fin aux espérances kurdes avec la signature du traité de Lausanne le 24 juin 1923. Ce dernier reconnaît la souveraineté turque sur l’ensemble du territoire. S’ensuit une véritable politique de turquisation avec un rejet de l’existence kurde. Au sein des villages kurdes, les noms des villages sont turquifiés. À partir de 1932, il est interdit de parler le dialecte kurde. Dans l’entre-deux guerres, les nombreux mouvements contestataires sont muselés. La Turquie kémaliste entreprend une réelle politique de négation des particularismes locaux dans le but d’homogénéiser l’ensemble de la Turquie.
De la négation systématique aux persécutions
La réfutation du fait kurde touche également les autres parties du Kurdistan. Sous la dynastie des Pahlavi, l’Iran applique des politiques comparables à celles utilisées en Turquie, malgré la parenthèse de la République de Mahabad (région au Nord-Ouest de l’Iran) qui ne dura pas moins d’un an en 1946. En Irak et en Syrie, les Kurdes sont rapidement intégrés aux jeunes nations car ils sont présents sur des territoires riches en hydrocarbures. De plus, la logique panarabe à Damas et à Bagdad gomme toutes les différences au profit de la seule arabité. De fait, le nationalisme kurde si embryonnaire soit-il se délite en une multitude de nationalismes au gré des réalités locales dans les différents pays.
Le cas irakien
C’est en Irak particulièrement que la situation se complique pour les Kurdes. Lors de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988, les deux belligérants se servent des communautés kurdes pour avoir des renseignements sur l’ennemi. En effet, la communauté kurde d’Irak fournit des informations sur les troupes irakiennes à l’Iran. À la fin de la guerre, ceci a pour conséquence de nombreuses purges de la part d’Ali Hassan al-Majid, cousin de Saddam Hussein, notamment lors des opérations « Anfal » en 1988. Cette campagne de représailles tue plus de 100 000 Kurdes. Ali Hassan al-Majid ordonne les nombreux massacres avec utilisation de bombardements sommaires et d’armes chimiques, ce qui lui vaut le surnom tristement célèbre « d’Ali le chimiste ».
Avec le déclenchement de la première guerre du Golfe en 1991, les Américains incitent les Kurdes et les Chiites à se soulever contre Bagdad. Profitant du chaos latent en Irak, le territoire kurde gagne en autonomie mais pas en unité. Une guerre fratricide oppose les partisans du PDK de Barzani (parti plus traditionnel et rural) aux forces du UPK de Talabani (parti progressiste et urbain) entre 1993 et 1997.
Le cas turc
De son côté en Turquie, la communauté kurde s’organise politiquement avec la création du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) en 1978, d’allégeance marxiste-léniniste. Dans un pays qui nie catégoriquement l’existence du fait kurde, cette organisation emploie la violence à des fins politiques. De fait, c’est une guerre hybride qui ne dit pas son nom entre un pouvoir central et une organisation kurde qui reçoit officieusement un soutien de la part de la Syrie. Damas accepte, dans les années 90, que des Kurdes syriens aillent grossir les rangs du PKK turc à condition qu’ils cessent toute activité politique en Syrie.
Le PKK, est dirigé par un chef emblématique, Abdullah Öcalan. Ce dernier est emprisonné depuis 1999. En raison, des nombreux affrontements avec le pouvoir central turc et des méthodes utilisées, l’Union européenne, les États-Unis, la Turquie et plusieurs autres pays ont classé le mouvement kurde dans la liste des organisations terroristes.
Vers un avenir incertain ?
De périodes quiétistes aux périodes contestataires, l’histoire des Kurdes oscille entre autonomie, vassalisation et tensions fratricides. Au cours des siècles, cette communauté formait un groupe homogène sous le prisme de la langue et de l’héritage, mais aucunement par le biais des revendications politiques.
Aujourd’hui, plus que jamais, le chaos et le morcellement régional causés par l’intervention américaine en Irak en 2003 et par la balkanisation de la Syrie depuis 2012, ont profité aux Kurdes. L’implosion du système central irakien a permis aux territoires kurdes d’asseoir leur autonomie, tout en profitant des revenus pétroliers et de l’aide occidentale.
De leur côté les Kurdes syriens ont habilement exploité l’arrivée de l’État islamique en 2014. Malgré de nombreux combats dans le Nord-Est du pays, ils ont su s’imposer dans le Rojava, au détriment des autres minorités. Cette région est très riche en hydrocarbures et sert de bases avancées aux forces spéciales occidentales en Syrie. Les Kurdes contrôlent donc une bonne partie de la frontière avec la Turquie.
Plusieurs interventions turques en Syrie et dans le Kurdistan irakien depuis 2016 ont pour objectif de neutraliser le problème kurde à la frontière et de s’immiscer dans les affaires internes de ces deux pays et de renouer avec un passé pas si lointain. Aujourd’hui Ankara mène en effet des actions conjointes sur le territoire syrien et irakien pour annihiler l’irrédentisme kurde et empêcher toute jonction avec le parti du PKK.
Compte tenu des divergences et des atermoiements politiques consécutifs, il n’y a donc pas un mais des Kurdistans.