D’une origine incertaine à la période d’islamisation
Selon le discours nationaliste kurde, les mèdes, population indo-européenne établie entre l’Iran et l’Anatolie, seraient leurs ancêtres. L’avènement de l’empire des mèdes en 612 avant J.C, est considéré comme le début de l’ère kurde selon l’historicité locale. Suivant les empires séleucides, parthes ou sassanides, les Kurdes se sont intégrés aux systèmes respectifs. Ils ont fourni des contingents militaires pour la défense ou la conquête de nouveaux territoires, sans pour autant s’assimiler aux différentes populations. Les Kurdes ont gardé une spécificité géographique. Ils ont toujours été plus ou moins présents dans la même région, sur le plateau occidental iranien. Néanmoins, les Kurdes n’ont jamais formé un ensemble uniforme, mais plus un ensemble tribal avec un sens prononcé de la territorialité. Selon les régions et les époques, les Kurdes ont intégré des populations turkmènes ou arabes tout en maintenant une spécificité linguistique. Tout au long de leur histoire, les Kurdes oscillent entre coexistence et confrontation avec les pouvoirs centraux.
Avec l’expansion de l’Islam à partir de 632, les Kurdes sont intégrés aux différents empires musulmans. Les premiers contacts avec la nouvelle religion ont lieu en 637, date de la conquête de la Mésopotamie par les armées musulmanes. Après avoir défendu les frontières de l’Empire sassanide, ils se soumettent rapidement aux Arabes. Islamisés, mais jamais arabisés, les Kurdes gardent tout au long de leur histoire cette spécificité linguistique. Embrassant la nouvelle religion et fournissant plusieurs contingents pour les différentes campagnes militaires, les Kurdes s’assurent une relative autonomie. En effet, ils participent successivement aux guerres contre Byzance, contre l’Arménie et les Croisés. Ils gagnent peu à peu une réputation de redoutables guerriers et forment des tribus militaires au sein même des empires omeyades (661-750) et abbassides (750-1258). Le paroxysme de la gloire et du prestige kurde au Moyen-âge reste l’arrivée au pouvoir de Saladin. Issu d’une famille kurde d’Irak, il est à lui seul le symbole de la résistance face aux Croisés, avec notamment la reprise de Jérusalem en 1187. Gloire éternelle, tous les dirigeants arabes de Nasser à Hafez al-Assad en passant par Saddam Hussein tenteront de l’arabiser pour en faire la figure de proue du panarabisme.
Avec l’arrivée des hordes mongoles à partir de 1231, le Moyen-Orient est ravagé et l’économie kurde est détruite. Peu à peu, pour éviter l’anéantissement des populations, le mode de vie kurde se meut en une forme de nomadisme. Les instabilités chroniques se succèdent jusqu’à la fin du règne de Tamerlan au début du XVème siècle. À cette période de troubles se substitue une période de dominations impériales.
Pris en étau entre l’empire ottoman et l’empire safavide
À partir du XVIème, l’histoire des Kurdes est consubstantielle à la gestation des Empires ottoman et safavide. Les volontés expansionnistes de la Sublime porte (Empire ottoman) se butent à la résistance d’un empire naissant sur le territoire de l’ancienne perse. Les Safavides sous la houlette du Shah Ismail embrassent une branche dissidente de l’islam chiite en 1501. Dès lors, une dualité territoriale et religieuse s’installe entre les deux belligérants. L’Empire ottoman de Selim vainc les Safavides de Shah Ismail en 1514, lors de la bataille de Tchaldiran, en plein Kurdistan. Le territoire kurde se trouve précisément entre les deux empires, de l’Anatolie à la Perse occidentale. Depuis cette victoire décisive, les principales tribus kurdes soutiennent les desseins politiques d’Istanbul. En contrepartie d’une aide militaire non négociable, les Kurdes s’assurent une autonomie de fait. Les conflits entre les deux entités perdurent jusqu’en 1639, date du traité de Qasr-i Chirin qui fixe les frontières des adversaires jusqu’en 1914. Les trois quarts des zones kurdes sont sous influence ottomane.
Englobant plusieurs peuples, l’Empire ottoman accorde des prérogatives plus ou moins importantes en fonction des affinités religieuses. Les Kurdes n’ont que peu de relations avec le pouvoir central. Ils sanctuarisent plus ou moins leurs acquis territoriaux au profit d’une quasi-indépendance. Alors que du côté safavide, le pouvoir central tente d’assimiler les populations kurdes au sein même des hautes fonctions impériales.
En raison de la porosité des frontières de l’époque, dès qu’il y avait des tensions avec les pouvoirs centraux, les populations kurdes pouvaient traverser les frontières pour rejoindre la partie du Kurdistan la plus sûre. Pour autant, ils n’ont jamais eu une volonté commune d’indépendance nationale. Cette idée de nation était modeste et partagée par un petit nombre. La tribu en tant que telle, représentait le système phare pour la majorité des Kurdes.
En proie aux mutations internes :
Dès la fin XVIIIème siècle, tour à tour les Empires chancellent. La Sublime porte se mue petit à petit en « l’Homme malade de l’Europe », tandis que les écarts de technologies ne cessent de s’accroitre avec les puissances occidentales. De son côté, l’Empire Safavide est pris en étau face aux desseins impériaux anglais et russes. La période du « Grand jeu » affaiblit durablement les capacités souveraines de la Perse. C’est au cours de cette période de déclin, que les deux Empires tentent de réformer et de centraliser l’intérieur du territoire au détriment des autonomies des différents émirats kurdes. C’est dans cette logique de rattrapage et de modernisation, que les Tanzimats voient le jour au sein de l’Empire ottoman en 1839. Il s’agit de réorganiser l’Empire. En Perse, la dynastie des Qajars essaye tant bien que mal d’adopter les mêmes réformes. On assiste à une centralisation forcée et un délitement du tissu social chez les populations kurdes.
C’est à cette époque qu’émerge la vision panislamique dans l’Empire ottoman, au détriment des autres minorités religieuses. Cette idéologie novatrice prône un regroupement des communautés musulmanes dans un seul ensemble géographique bien distinct. Istanbul épouse cette vision ultra-sectaire de la religion et fait du facteur religieux un gage d’homogénéité et de stabilité à l’intérieur de son territoire. Dès lors, le pouvoir central s’engage à lutter contre toute forme de nationalisme, y compris chez les populations musulmanes. Pour contrer les volontés autonomistes kurdes, à la fin du XIXème siècle, le sultan Hamid inclut des troupes kurdes au sein d’une unité d’élite. Cette garde prétorienne participe aux massacres et aux spoliations des différentes minorités agissantes dans l’Empire, notamment des Arméniens ou autres communautés chrétiennes.
Or l’Empire ottoman est chancelant, l’économie est exsangue. La révolution des Jeunes Turcs en 1908 tente de sauver un pouvoir central déliquescent. La nouvelle autorité impose une homogénéisation confessionnelle et communautaire aux dépens de toute forme d’autonomie. La société se turquise par le biais des institutions et de la langue. Ce climat délétère pousse les populations de l’Empire à revendiquer leurs particularismes. C’est le cas des jeunes mouvements panarabes mais également des populations kurdes. On voit émerger un discours sur la conscience nationale épris de territorialité.