Dans le contexte géopolitique qui s’est installé depuis un peu plus d’une décennie et qui est en toujours en train d’évoluer au détriment de l’Occident et en faveur de la Chine, la Russie de Vladimir Poutine, de retour sur la scène internationale depuis les années 2000, a été forcée de sceller des partenariats de circonstances avec la Turquie et l’Iran, pourtant ennemis héréditaires historiques, rivaux stratégiques et « idéologiques » (l’islam politique d’Ankara et de Téhéran, véritable bête noire de l’Empire russe).
Pour les Russes, pragmatiques et incessamment rejetés par les Occidentaux, il leur a fallu également opérer une véritable bascule vers l’Asie et réorienter leurs relations avec la Chine.
Cette tendance s’est bien sûr accélérée depuis deux ans et la guerre en Ukraine.
La caste dirigeante et progressiste européenne, idéologue, inconséquente et majoritairement atlantiste (nombreux sont des anciens Young Leaders), est obsédée (jusqu’à l’absurde !) par Poutine et la Russie, persuadée que ces derniers sont le seul et principal danger pour l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle, dès l’agression russe en Ukraine en février 2022, les responsables européens, par suivisme aveugle et irresponsable (et aussi à cause de nombreux conflit d’intérêts souvent privés) de la politique américaine viscéralement antirusse (par idéologie) de l’administration Biden, se sont lancés dans une véritable croisade contre Moscou, et surtout, en ignorant littéralement l’avis de leurs administrés européens (jamais consultés sur les milliards de l’UE déversés sans contrôle au gouvernement et à l’armée de Kiev) et surtout, au plus grand des mépris des intérêts vitaux (économiques, énergétiques, etc…) des nations membres de l’Union.
Comme je l’écris depuis deux ans, dès le début du conflit, la véritable guerre larvée de l’OTAN contre Moscou via l’Ukraine, est à court terme bénéfique pour Washington (pour son complexe militaro-industriel qui réarme massivement les pays européens, son gaz de schiste vendu 4 fois plus cher à Bruxelles pour remplacer celui des Russes, pour la vassalisation toujours plus grande de l’UE et enfin, le divorce consommé et durable entre l’Europe et la Russie…). Or à long terme, dans leur future confrontation (économique et pire, éventuellement militaire) contre la Chine, l’unique rival sérieux pour leur hégémonie, c’est une grave et aberrante erreur stratégique que de pousser, par leur politique agressive, les Russes dans les bras de l’Empire du Milieu, créant ainsi un bloc sino-russe puissant. Kissinger le disait : « il faut toujours séparer Pékin de Moscou ». Le réaliste Trump l’avait bien compris !
Pour l’Europe, c’est un véritable suicide géopolitique, on l’a dit, économique, énergétique et sécuritaire, que de se créer un ennemi avec une Russie pourtant partenaire naturel et historique du Vieux continent (hormis durant la période soviétique). Les Européens ont pourtant d’autres chats à fouetter et devraient plutôt se concentrer sur son arc de crise sud, les crises migratoires, l’islam politique, le terrorisme islamiste… qui sont les seules et vraies menaces.
Cet irréalisme géopolitique est dangereux voire criminel pour le futur des Européens. Car en realpolitik pure et dure, pour les Occidentaux et particulièrement les Européens et surtout les Français (on le verra plus loin), le rapprochement entre les deux Empires, russe et chinois, n’est absolument pas dans leurs intérêts.
Une rivalité ancestrale
Aujourd’hui, les relations entre les régimes russes et chinois sont très bonnes. Ils ont pour l’instant oublié, lors de la « Conquête de l’est » de l’Empire des Tsars, du XVIIe jusqu’au début de XXe siècle, leurs nombreux affrontements historiques notamment pour le fleuve Amour, et encore, très violents en 1969 (qui avait failli dégénérer en conflit nucléaire et qui confortera l’historien Kissinger, alors Secrétaire d’État de Nixon, dans sa stratégie géniale – et réussie à partir de 1972 – du « coin enfoncé dans l’alliance idéologique sino-soviétique »).
De nos jours, les 4 250 km de frontières communes entre la Chine et la Russie sont calmes. Cette dernière fait partie de l’Organisation de Shanghai créée en 2001 par Pékin et les autres BRICS (Brésil, Inde et Afrique du Sud).
Les deux États, qui se veulent les deux pays phares du fameux Sud Global, usent de la même rhétorique antioccidentale alimentée par une même utilisation des humiliations occidentales passées comme présentes. D’autant que, nous l’avons dit, depuis le conflit ukrainien et le tsunami de sanctions occidentales visant les Russes, ceux-ci ont trouvé dans la Chine, une formidable alternative (à l’avantage de cette dernière) à une grande partie de leurs exportations (hydrocarbures et autres). Les liens se sont donc renforcés, même si certains observateurs annoncent une progressive vassalisation de la Russie par la Chine. A voir…
En attendant, d’impressionnantes manœuvres militaires communes ont régulièrement lieu…
Et ce partenariat semble s’installer à long terme. Malgré une disproportion importante, en termes de superficie, de population, de densité et de potentiel économique et énergétique. Et également en dépit des conflits frontaliers du passé et évoqués plus haut.
Or, ne perdons jamais de vue que les Chinois lorgnent toujours sur la vaste Sibérie, vide (moins de 40 millions d’habitants seulement entre l’Oural et Vladivostok !) mais riche en extraordinaires ressources naturelles et minières encore sous-exploitées – et qui, soit dit en passant, représenterait une formidable profondeur géo-éco-stratégique pour une Europe de l’ouest alliée de la Russie…
Les stratèges russes sont encore conscients et s’inquiètent toujours des ambitions chinoises pour cette zone. Peut-être même que l’actuel réarmement à marche forcée et tous azimuts des Russes sert moins « la finition du travail » en Ukraine et une très hypothétique prochaine invasion de l’Europe (que certains hurluberlus nous annoncent encore) que d’abord et surtout la défense de l’Extrême-Orient russe face à une future attaque chinoise qui pourrait se produire dans quelques années…
Comme en histoire, rien n’est jamais écrit en géopolitique. Mais la Chine semble bien partie pour dominer le monde (dans tous les domaines, même – et surtout – militaire !) dans quelques décennies, 2049 étant d’ailleurs leur « deadline » annoncée et assumée…
Qu’en sera-t-il alors de la puissance américaine, de la situation interne des Etats-Unis et de l’Europe à cette date ? Selon l’état de l’Empire américain, et après une longue et méthodique conquête commerciale et financière de la planète, rien n’empêchera alors la Chine, devenue l’hyperpuissance de la seconde moitié du XXIe siècle, de devenir beaucoup plus belliqueuse et agressive notamment envers les possessions de la France et de sa ZEE, qui se situe en grande partie dans le Pacifique (Pékin y convoitant déjà les ressources et finançant les divers mouvements indépendantistes contre Paris). La flotte russe du Pacifique, basée à Vladivostok, serait dès lors un soutien non négligeable pour la Royale en cas de tensions futures…
D’où, au passage, la nécessité pour la France de se doter rapidement d’un second voire d’un troisième porte-avions !
D’ici là, dans le Grand Jeu planétaire qui a bel et bien commencé, il est donc urgent que les Européens, et particulièrement les Français, revoient leur copie concernant la Russie, qui malgré tout, n’a pas tout à fait renoncé à ses liens avec l’Europe.
Que les responsables européens prennent enfin conscience des véritables menaces et enjeux géostratégiques de demain.
Malheureusement, nous en sommes encore loin puisque la caste dirigeante européenne persiste dans le « désastre stratégique » et l’absurde, à l’image du président français qui déclarait récemment que la plus grande menace pour la France dans le monde était « la guerre d’agression russe en Ukraine »,exhortant le monde à « ne [pas] laisser la Russie gagner » !
Consternant de bêtise ! Les va-t-en-guerre européens, tout en refusant toujours une issue diplomatique au conflit et en sacrifiant la vie des pauvres jeunes soldats ukrainiens, se veulent plus atlantistes que les Américains ! Fou !
Car actuellement, certains officiers du Pentagone, l’opinion publique américaine – lassée par cette guerre lointaine et coûteuse et travaillée par le retour tonitruent de Trump – et même l’actuelle administration de Washington – pour des raisons électorales –, commencent à douter et à réaliser leur égarement et finalement leur échec en Ukraine et envers la Russie.
Il ne reste alors plus qu’à espérer que « le poids de l’évidence et de la raison » s’impose enfin pour proposer aux Russes, tout en restant vigilants, autres choses que des sanctions, des affronts et des vexations ! Pour au final, prendre en considération les seuls et uniques intérêts des peuples européens !
Cet article a été publié initialement sur Al Ain.com