L’ancien animateur de Fox News, fervent supporter de Donald Trump et farouche opposant à l’aide militaire américaine à l’Ukraine, a pu se rendre à Moscou pour une interview inédite de Vladimir Poutine. Cas unique pour un journaliste occidental, depuis le début de la guerre avec l’Ukraine en février 2022.
L’agitateur médiatique est bien connu pour dépeindre depuis des années les États-Unis comme une nation en déclin, assaillie par une clique démocrate composée d’ardents défenseurs d’une immigration non contrôlée, des supporters des Black Lives Matter et des ultra wokistes qui gangrènent les universités américaines. Son émission à succès a pris fin sur Fox News en avril dernier. Présent sur le réseau X, anciennement Twitter, son interview de Poutine représente son plus gros score depuis son départ de Fox. Ce coup d’éclat intervient au moment crucial où l’aide militaire américaine à l’Ukraine se tarit en raison de l’opposition des Républicains à Washington.
La vidéo de promotion de l’interview a été tournée sur le toit de l’hôtel Ritz Carlton, près de la Place Rouge, un lieu hautement symbolique, contrôlé par le service fédéral de sécurité. Seul le réalisateur Oliver Stone a eu le privilège de tourner sur ce lieu hautement sécurisé.
Vladimir Poutine a très largement dominé la conversation qui a duré plus de deux heures et a réaffirmé le droit de la Russie sur l’est de l’Ukraine : « nous protégions notre peuple, notre patrie et notre avenir » a déclaré le Président Poutine à Tucker Carlson pour expliquer l’intervention de 2022.
A plusieurs reprises, le leader russe a demandé à son interviewer d’expliquer son cursus universitaire en Histoire et sa tentative de postuler (sans succès) à la Central Intelligence Agency (CIA).
Quel était l’objectif de l’interview ? Voici les points essentiels à retenir :
- Vladimir Poutine affirme que Bill Clinton a fait volte-face sur la question de l’adhésion de la Russie à l’OTAN.
« Lors d’une réunion au Kremlin, avec le président sortant Bill Clinton, ici même dans la pièce voisine, je lui ai demandé : « Bill, pensez-vous que si la Russie demandait à adhérer à l’OTAN, cela se ferait ? » Soudain il m’a répondu : « Vous savez c’est intéressant. Je pense que oui ». Mais le soir lorsque nous nous sommes retrouvés pour dîner, il a dit : « Vous savez, j’ai parlé à mon équipe, non, non, ce n’est pas possible maintenant ». « Vous pouvez lui demander. Je pense qu’il regardera notre interview et qu’il confirmera » a déclaré le président russe.
« Auriez-vous rejoint l’OTAN ? » a demandé Tucker Carlson. « Ecoutez, j’ai posé la question de savoir si c’était possible ou non. Et la réponse que j’ai obtenue était non. S’il avait répondu par l’affirmative, le processus de rapprochement aurait commencé et il aurait pu se produire si nos partenaires avaient fait preuve d’une volonté sincère. Mais cela ne s’est pas produit ».
- « Pas un pouce à l’Est … »
Vladimir Poutine a également souligné qu’il lui avait été promis que l’OTAN ne s’étende pas à l’Est. Ce à quoi le bloc atlantiste lui a rétorqué : « Ce n’est pas inscrit sur le papier, alors nous nous étendrons ». « Il y’a eu cinq vagues d’expansion » reprend le président russe. « Nous avons toléré tout cela. Nous sommes tout autant des bourgeois que vous l’êtes. Nous sommes une économie de marché et le parti communiste n’a pas de pouvoir. Négocions. »
- « Le soutien militaire américain à l’Ukraine ? Une provocation pour Vladimir Poutine
« Pouvez-vous imaginer un scénario dans lequel la Russie serait prête à envoyer des troupes en Pologne ? » interroge Tucker Carlson. « Seulement dans un cas, si la Pologne attaque la Russie. Pourquoi ? Parce que nous n’avons aucun intérêt en Pologne, Lettonie ou ailleurs », rétorque le président russe.
A la question suivante de l’éditorialiste américain, « des hommes politiques américains ont déclaré que nous devions financer l’effort ukrainien, sinon des citoyens américains pourraient se retrouver à combattre là-bas. Comment évaluez-vous cela ?
« Il s’agit d’une provocation, je ne comprends pas pourquoi les Américains devraient se battre en Ukraine » répond Monsieur Poutine avant de reprendre : « Si quelqu’un a le désir d’envoyer des troupes régulières, cela entraînerait l’humanité au bord d’un conflit mondial très grave ; Les États-Unis ont-ils besoin de cela ? Pourquoi faire ? A des milliers de kilomètres de votre territoire national. N’avez-vous rien de mieux à faire ? Vous avez des problèmes à la frontière mexicaine, des problèmes d’immigration, de dette nationale. Vous n’avez rien de mieux à faire que de vous battre en Ukraine (…) Ne serait-ce pas préférable de négocier avec la Russie ? Passez un accord. En réalisant que la Russie se battra pour ses intérêts jusqu’au bout ».
« Une solution serait possible si les États-Unis cessaient de fournir des armes à l’Ukraine » conclut le président Poutine.
- « Who blew up Nord Stream ? You, for sure »
Vladimir Poutine a accusé la CIA d’être à l’origine de l’explosion des gazoducs Nord Stream, qui a entraîné une rupture d’approvisionnement massive du gaz russe vers l’Europe et a alimenté les tensions géopolitiques.
Tucker Carlson a répondu en plaisantant « j’étais occupé ce jour- là », ce à quoi, le président russe a rétorqué : « Vous avez peut-être un alibi mais la CIA n’en a pas ».
« Avez-vous des preuves que ce soit l’OTAN ou la CIA ? » Le président Russe a répondu qu’il ne rentrerait pas dans les détails mais qu’il « fallait chercher quelqu’un qui soit intéressé et qui ait des capacités » : « toutes les personnes intéressées ne sont capables de générer une telle explosion au fond de la mer baltique ».
- Les progrès de l’IA et de la génétique constituent une menace selon le président russe : « Le monde change plus rapidement que lors de l’effondrement de l’empire romain »
« L’humanité est confrontée à de nombreuses menaces en raison de la recherche en génétique. Il est désormais possible de créer un surhomme : un athlète, un scientifique, un militaire génétiquement modifié. Il semblerait qu’Elon Musk se soit déjà fait implanter une puce dans le cerveau humain (…). Selon le président russe, les traités de contrôle des armes nucléaires issus de la guerre froide pourraient servir de garde- fous : « Lorsque l’on comprendra que le développement illimité et incontrôlé de l’intelligence artificielle, de la génétique ou d’autres tendances modernes, ne peuvent être stoppés, tout comme il est impossible de cacher la poudre à canon à l’humanité… Lorsque l’humanité ressentira une menace pour elle-même, alors, me semble-t-il, viendra une période de négociation au niveau interétatique sur la manière de réglementer ce phénomène » ajoute Vladimir Poutine.
- La Russie est ouverte à la libération du journaliste du Wall Street Journal
Le président russe a déclaré que le journaliste Evan Gershkovitch, qui attend son procès pour espionnage, pourrait être libéré en échange d’un prisonnier russe. Moscou souhaite la libération par l’Allemagne de Vadim Krasikov, condamné pour le meurtre d’un dissident tchétchène à Berlin en 2019. « Nous sommes prêts à résoudre ce problème, mais certaines conditions sont discutées par les services spéciaux. Les puissances occidentales devront prendre des mesures réciproques » précise Vladimir Poutine.
Pour rappel, Gershkovitch a été arrêté le 29 mars 2023, dans la ville ouralienne d’Ekaterinbourg et accusé d’avoir tenté d’obtenir des secrets de défense. Lui et sa rédaction rejettent ces accusations et le gouvernement américain le considère comme « détenu à tort ».
« Tucker Carlson n’est pas un journaliste » : les médias mainstream et la gauche américaine en émoi
Plusieurs experts des grandes chaînes d’information « mainstream » américaines, à l’instar de CNN et de MSNBC ont affirmé que Tucker Carlson n’était pas un journaliste. L’ancienne secrétaire d’État, Hillary Clinton a déclaré mercredi 7 février, lors de l’émission « Alex Wagner Tonight », sur la chaîne MSNBC, que Tucker Carlson était « l’idiot utile » du Kremlin.
A la question du journaliste : « Tucker Carlson est en ce moment à Moscou pour interviewer Vladimir Poutine. C’est le premier journaliste américain, je dirais, à interviewer Poutine depuis le début de la guerre en Ukraine. Qu’est-ce que cela vous apprend sur Tucker Carlson, sur les médias de droite et sur Vladimir Poutine ? », Hillary Clinton a répondu :
« Cela démontre ce que c’est un idiot utile. Si vous lisez les traductions de ce qui se dit dans les médias russes, vous verrez qu’ils se moquent de lui. Vous savez, d’une manière ou d’une autre, après avoir été renvoyé de tant de médias aux États-Unis, je ne serais pas surprise qu’il émerge avec un contrat avec des médias russes parce que c’est un idiot utile (…) Il répète les mensonges de Vladimir Poutine. Je ne vois donc pas pourquoi Poutine ne lui accorderait pas d’interview, car au travers de lui, il peut continuer à mentir sur ses objectifs en Ukraine ».
La Maison Blanche a déclaré dans la journée du mercredi 7 février, selon le média en ligne Breitbart du 8 février, qu’il était préjudiciable que Monsieur Poutine puisse bénéficier d’une telle tribune. « Je ne pense pas que nous ayons besoin d’une autre interview de Vladimir Poutine pour comprendre sa brutalité », a déclaré le porte-parole du Conseil de sécurité national, John Kirby.
Le Kremlin a toutefois contredit l’affirmation de Tucker Carlson, selon laquelle il serait le seul journaliste occidental « à avoir pris la peine » de demander à rencontrer Vladimir Poutine depuis le conflit russo-ukrainien. « Nous recevons de nombreuses demandes d’entretien avec le président » a déclaré la porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov. Ce dernier a loué la position pro-russe de Tucker Carlson, qui contraste selon lui avec la ligne des « médias traditionnels anglo-saxons » (source : Breitbart, « Tucker Carlson to air Putin Interview Thursday »).