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Maaloula : symbole du christianisme oriental

Illustration : Adobe
Illustration : Adobe Firefly

Occupée par les djihadistes entre 2013 et 2014, Maaloula, ville emblématique du christianisme oriental, attire de plus en plus de visiteurs internationaux. Le village, joyau du tourisme syrien, sert le narratif du régime d'el-Assad. 

 

En Syrie 

La route qui mène à Maaloula depuis Damas rappelle la violence de la guerre. Outre les nombreux barrages militaires de fortune et le contrôle obligatoire des véhicules, nous traversons la Ghouta, en périphérie de la capitale. Sur plusieurs kilomètres, un paysage apocalyptique, des immeubles et mosquées éventrées par l’impact des bombes font office de paysage. Après 45 minutes de voiture, nous apercevons les flancs escarpés des montagnes rocailleuses du Qalamoun. 

En contrebas se trouve l’un des plus anciens villages du christianisme oriental. Maaloula, qui signifie « entrée » en araméen, porte bien son nom. Au cours des siècles, les chrétiens ont trouvé refuge dans ses grottes troglodytes. Les habitants parlent encore la langue du Christ, tout comme ceux des deux villages voisins de Jabadeen et d’al Sarkha. A peine arrivés sur la place centrale, la spiritualité du lieu prend tout son sens lorsqu’on entend au loin l’ode de Fairouz « Ya Mariam el bekr » (Ô Vierge Marie). Cette mélodie de l’intemporelle chanteuse libanaise résonne en écho 3 fois par jour. 

 

L’histoire d’amour entre Varsovie et Maaloula 

Avant la guerre, plusieurs milliers de touristes se rendaient dans ce véritable lieu de pèlerinage. Après la libération de la ville par les forces du Hezbollah et du régime syrien en 2014, les visiteurs ont petit à petit repris le chemin de Maaloula. 9 ans après son occupation par les djihadistes du front Al-Nosra, les cicatrices de la guerre sont encore présentes : impacts de balles sur les murs, mosquée délabrée et inoccupée, icônes vandalisées dans les lieux saints chrétiens, etc. L’hôtel Safir, qui surplombe la ville, est en lambeaux. Des douilles jonchent le sol et le dernier registre de l’établissement, qui contient le nom de touristes turcs, date de 2011. 

Malgré ses séquelles, la ville a attiré un groupe d’une dizaine de touristes libanais qui se promène dans les petites ruelles étriquées. Venus en van depuis la ville de Zghorta, les visiteurs, majoritairement chrétiens, viennent se recueillir dans les nombreuses églises et les édifices religieux. Le petit village en compte 13 pour une population de moins de 2000 âmes. « J’organise une fois par semaine des visites à Maaloula, c’est un lieu de culte important pour nous autres chrétiens », insiste Mona, une guide libanaise, en tenant fermement son chapelet dans la main. « Nous avons repris les tours vers le village il y a de ça 5, 6 ans, et de plus en plus de Libanais sont curieux. Maaloula, c’est un symbole de refuge et de résistance », ajoute-t-elle. Les habitants du Liban n’ont pas besoin de visa pour se rendre en Syrie, et le trajet entre Beyrouth et Damas ne dure que 2 heures, ce qui facilite les allées et venues. 

Outre les voyageurs libanais, il n’est pas rare de croiser des soldats russes en permission. En garnison dans la base aérienne de Hmeimim, en territoire syrien, non loin du littoral, certains viennent visiter les lieux de culte de l’orthodoxie, à l’instar du monastère Sainte-Thècle. Dans un anglais un peu haché, Igor, un militaire d’une trentaine d’années, nous confie que « beaucoup de nos gars (du régiment, NDLR) aiment venir ici. C’est reposant, et puis c’est un lieu sacré pour nous ». Une information confirmée par l’ancien maire du village, Joseph Saadeh. « Si on ne compte pas les Libanais parmi les étrangers, les Russes sont les plus nombreux à venir ici », précise-t-il. Cet ancien élu d’une soixantaine d’année ajoute : « Ils ont fourni des panneaux solaires au monastère, et ce n’est pas rare que l’armée russe aide la ville. » En temps de guerre, les hommes du Kremlin assurent également une sorte de service humanitaire. 

Les Polonais montrent aussi un intérêt pour le village araméen par l’intermédiaire de l’association Dom Wschodni, qui organise des voyages spirituels en Orient. D’ailleurs, Varsovie et Maaloula sont liés par l’histoire contemporaine. En 1943, en échange de son accueil dans le village, un général des forces polonaises, Wladyslaw Albert Anders, avait offert 2 icônes de Marie et du Christ à l’église du couvent Saint-Serge et Saint-Bacchus. Icônes qui ont été volés lors du passage des djihadistes dans la ville en 2013. Les autorités polonaises, avec la coopération de l’organisation humanitaire, ont envoyé des copies en 2019. Un récit qu’énonce fièrement l'ancien maire sur l’un des nombreux toits-terrasses du village. « L’aide des associations a été importante pour nous. L’association française SOS Chrétiens d’Orient a également beaucoup fait ici. Et aujourd’hui, avec le retour des touristes depuis la fin du Covid, c’est un petit appel d’air pour la population », nous précise-t-il, énumérant les différents chantiers réalisés. « Ici, la majorité des gens travaillent à Damas. Sinon, il y a la culture des abricots, des amandes, ou encore le vin et l’arak (alcool local, NDLR) », détaille-t-il, tout en montrant du doigt les différentes plantations agricoles du village. 

 

Des Américains en Syrie 

Sur les hauteurs de la ville, non loin de l’ancien hôtel détruit, des touristes occidentaux photographient les ruines et les atrocités de la guerre. Leur guide, un peu agacé, se plaint discrètement en arabe : « C’est un groupe d’Américains. Ils adorent les clichés sordides, les photos à côté des monuments dévastés. » Des Américains en Syrie ? Pas si surprenant pour le guide : « Depuis le séisme de février dernier, il y a eu un allègement pour l’obtention des visas et, tous les mois, je dois avoir un groupe provenant des États-Unis », témoigne-t-il. Travaillant pour l’agence touristique Golden team, rattachée au ministère syrien du Tourisme, Omar nous précise qu’il y a plusieurs entreprises à l’instar de Metra, Oqsour ou encore Golden Target qui organisent des visites à Maaloula. « En moyenne, avec les autres compagnies, on amène ici une cinquantaine de touristes minimum par semaine », expose le guide. Avant de redescendre, Omar montre la Vierge Marie qui domine la ville, cadeau d’Asma el-Assad, la femme du président, en 2015. La ville revêt en effet une importance symbolique pour le pouvoir syrien. Défendre et préserver Maaloula, c’est se porter garant de la sécurité des minorités religieuses. Une image notamment appréciée dans certains cercles politiques en Occident. Sur la place centrale est affichée une grande photo de Bachar el-Assad tenant une Bible aux côtés d’un archevêque syrien. 

Loin des 8,5 millions de touristes recensés en 2010, la Syrie tente néanmoins de surfer sur la fin du conflit pour attirer à nouveau des visiteurs et faire tourner son économie. Selon le ministre syrien du Tourisme, Rami Martini, le pays a enregistré plus de 385.000 arrivées au premier trimestre 2023. Un chiffre en perpétuelle hausse, avec notamment la promotion de certains youtubeurs très suivis comme Drew Binsky, Eva zu Beck ou encore Thomas Brag. Des voyageurs 2.0 qui participent, indirectement, à aider Bachar el-Assad à redorer son blason. 

Indépendamment des influenceurs, Maaloula continue de fasciner les touristes étrangers. Lors de la Fête de la Croix, qui a lieu chaque 14 septembre, le village attire des milliers de curieux. À cette occasion, les habitants montent en haut des collines avec des pneus qu’ils enflamment, une fois au sommet. Créant un jeu de lumières grandiose, les bouts de caoutchouc dégringolent les pentes abruptes et finissent leur course dans les failles de la ville. Ému, l’ancien élu de Maaloula nous a indiqué que lors de la dernière cérémonie, des milliers de curieux de Syrie, du Liban et d’ailleurs a fait le déplacement.