Jean-Michel Fauvergue est un commissaire de police et homme politique français. Il entre dans la Police nationale en 1978 après avoir effectué son service militaire au 35e régiment d'artillerie parachutiste (35e RAP). Il devient commissaire de police en 1986 et patron du RAID de 2013 à mars 2017. A la fin de sa carrière au service de l’État, il est investi par le mouvement En marche ! pour les élections législatives de 2017 dans la 8ème circonscription de Seine-et-Marne dont il est élu au deuxième tour le 18 juin 2017 jusqu’en juin 2022. En 2017, Jean-Michel Fauvergue publie un livre sur son expérience à la tête de l'unité d'élite du RAID : « Patron du RAID : Face aux attentats terroristes ». Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dont : « Comment Manager une unité d'élite » (2017), « La Sécurité des français » (2019), « GIGN-RAID deux patrons face aux nouvelles menaces » (2020). En cette nouvelle année, il publie un nouveau livre, « Les Hommes en noir », chez Plon.
Le Dialogue : Après des ouvrages plutôt « techniques » liés à vos activités professionnelles passées, vous nous livrez cette fois-ci un roman. « Quand la réalité dépasse la fiction, les cicatrices des hommes et des femmes ne se referment jamais » affirmez-vous. Pourquoi cette nouvelle expérience littéraire, le récit permet-il d’expliquer l’indicible ? Est-ce aussi la raison pour laquelle vous avez voulu témoigner de cette « horreur de l’instant » de manière romancée, notamment à propos des attentats de Paris et plus spécifiquement de celui du Bataclan en 2015, que vous avez vécus personnellement avec vos hommes ?
Jean-Michel Fauvergue : J’avais déjà témoigné « à chaud » dans « Patron du Raid » de toutes les interventions terribles des années 2015 et 2016 que j’avais vécu directement à la tête de cette magnifique unité d’intervention. Les récits de ce type ne permettent pas de s’éloigner de la réalité du moment, ils se doivent d’être clairs, explicatifs et factuels.
La dimension romanesque, surtout quand elle se nourrit de la réalité de traumatisme qui ont impacté tout un pays, permet de s’exprimer dans un imaginaire qui laisse libre court, par l’intermédiaire des personnages et des situations revisitées, à des interprétations, et des vérités différentes et variées. C’est dans ces moments-là que tout est possible et que le récit permet de délivrer des messages et que les sentiments s’expriment dans leurs complexités.
Et puis, je voulais aussi en partant de mon implication personnelle dans ces drames, raconter une histoire avec de multiples rebondissements, on est dans un roman noir ou entre terrorisme et politique le lecteur est transporté au plus profond des cœurs et des âmes dans des complots successifs qui feront vaciller les plus hauts sommets de l’État.
Votre personnage central évolue. Le lecteur voit sa fragilité mais également, sa force et ses convictions. Il a en face de lui, en effet miroir, un terroriste. D’ailleurs, vous soulignez que le titre de votre roman n’est pas un hasard : « les hommes en noir, ça s’applique aux unités d’intervention mais également aux terroristes islamistes qui s’habillent en noir pour passer à l’action ». Pourquoi ce titre et quelle est la quête de Gaby votre personnage principal ?
Vous l’avez noté, les hommes en noir, ce sont les policiers des unités d’intervention revêtus de leurs combinaisons de combat de couleur noire (un passage du roman explique d’ailleurs l’origine de ces tenues particulières), c’est aussi la couleur des habits des djihadistes quand ils se destinent au martyr (selon eux). Il est intéressant là-aussi de souligner que ce parallèle est une des raisons du titre du livre, comme pour bien affirmer que les uns et les autres proclament à travers ces uniformes la même détermination.
Gaby est un personnage énigmatique à tout le moins ambiguë. Il est clairement positionné dans le camp du « bien » et tant qu’il est policier et chef de l’unité d’intervention la situation est claire. Les questionnements viendront quand il entrera dans le monde politique. Gardera-t-il son idéal ? Le rapport à la politique aux sunlights, aux ambitions est posé dans ce roman … tout simplement parce que c’est du vécu, je me suis posé ce type de question, et la magie du récit me permet de l’évoquer et je vous laisse le soin de découvrir les réponses que le héros y apporte.
Vous avez passé de nombreuses années dans la police et vous avez été le chef du RAID, d’une unité d’élite. Vous avez toujours mis l’Engagement au-dessus de toutes les valeurs. Puis vous avez été député. Dans l’arène politique, est-on condamné à perdre ses illusions, à perdre ses buts ou peut-on porter le combat pour le bien- être de ses concitoyens différemment ?
On vient d’évoquer un peu ce thème, je vais vous répondre personnellement et ne pensez pas que cette position est celle de Gaby (là aussi la magie du roman permet aux personnages d’avoir une vie et des comportements propres).
Dans l’arène politique nous ne sommes pas condamnés à perdre nos illusions, nous sommes condamnés à un comportement solidaire avec le gouvernement que nous soutenons (je parle pour le député de la majorité que j’étais à l’époque), et nous avons bien du mal dans un calendrier que nous ne maitrisons pas à continuer à faire vivre nos illusions et nos idéaux. Mais, divine surprise, il peut nous arriver de porter au plus haut des initiatives qui vont dans le sens de nos convictions. C’est ce qui m’est arrivé avec la « loi sur la sécurité globale » dont j’ai participé à la rédaction, que j’ai défendu et qui a été votée. Mais soyons clair ça n’est possible que si vous êtes connu, si vous avez une spécialité, si vous êtes influent, c’était peu ou prou mon cas. Pour les députés anonymes c’est la galère quotidienne car le système tourne autour du nombril de quelques-uns.
Vous insistez beaucoup sur la force du pouvoir décisionnel, la place du « Chef » dans vos écrits. Notamment dans les moments les plus paroxystiques où vous avez eu des vies entre vos mains. Pour vous, la prise de décision, que vous soyez chef du RAID ou décideur politique, fait-elle forcément « mal » ?
Le chef du RAID est issu des corps des commissaires de police, leurs rôles quotidiens sont de gérer les services et de prendre les décisions difficiles sur le terrain. Sur le terrain j’insiste, car les décisions opérationnelles se prennent au contact des difficultés et à portée immédiate de vos hommes et femmes. Disons-le, tout net, un chef ne peut pas commander en temps de crise, de son bureau. Être à proximité de ses troupes, c’est être dans l’exemplarité, c’est cette attitude qui créée la confiance et la confiance permet quant à elle la bonne exécution des décisions prises.
Et justement c’est à la décision que s’arrête la collégialité. La décision c’est l’apanage du chef et c’est un toujours un crève-cœur. A ce moment précis le chef est seul et doit trancher (decisio : trancher en latin), il est en limite de ses savoirs et de ses intuitions et restera dans cette incertitude jusqu’au résultat final. Un chef, et en particulier politique doit pouvoir supporter cette pression fait d’un curieux mélange de solitude, d’incertitude et d’attente des effets de son choix.
Pour couronner le tout, en cas de résultat positif il convient de partager la gloire avec toute son équipe (la victoire a plusieurs pères), l’échec par contre, n’appartient qu’au décideur (l’échec est orphelin).
Ces inconvénients majeurs et ces dangers nécessitent une force d’âme, ce qui explique que dans le domaine politique comme dans d’autres, on ait peu de décideurs et beaucoup de critiqueurs.
D’après vous, en 2023, qu’en est-il de la menace terroriste en France, qu’elle soit islamiste ou autre ? Et est-on autorisé à tout pour lutter contre la barbarie et sauver l’état de droit ?
La menace terroriste est toujours présente aujourd’hui, même si elle a changé de paradigme. Cette menace n’est plus (pour l’instant) une menace de réseau, c’est une menace endogène (la France nourrit en son sein, comme d’autres pays, son propre terreau de terrorisme). Il est donc nécessaire de ne pas relâcher notre attention et de débusquer les menaces qui s’infiltreraient à l’intérieur de nos systèmes démocratiques. C’est exactement ce type de danger et de rebondissement qui est aussi développé dans « les hommes en noir », sous une forme originale que je vous laisse le soin de découvrir.
Votre dernière question est aussi une des thématiques du roman est-on autorisé à tout pour lutter contre la barbarie ?
Ma réponse d’ancien policier et homme politique est clairement non, mais à la condition expresse d’adapter nos législations à la mouvance régulière des menaces car il ne faut jamais laisser notre démocratie sans défense.