Après l'échec de la contre-offensive estivale de l'armée ukrainienne et malgré les coups d'éclats médiatiques du franchissement du Dniepr et des attaques contre la flotte de la Mer noire, la situation de l'Ukraine a empiré avec d'une part la reprise des frappes stratégiques russes sur le potentiel industriel et les infrastructures énergétiques du pays. Sur le front, les offensives locales russes se poursuivent également et permettent de « grignoter » du terrain. Pour faire face, Kiev voit son potentiel humain et matériel fondre chaque jour un peu plus alors que l'aide occidentale se tarit.
Les frappes russes
Le 29 décembre 2023, les forces russes ont démarré une nouvelle campagne de frappes de missiles et de drones sur les installations stratégiques ukrainiennes sur la totalité du territoire ukrainien. Des centaines de missiles de croisière et de missiles balistiques (dont des missiles nord-coréens) ont touché les grands centres urbains (Kiev, Kharkov, Dnipro, Lviv, Odesse, Zaporijia) en visant à la fois les entrepôts de l'armée ukrainienne, les usines d'armement (notamment de drones), les centres de commandement ainsi que les certaines infrastructures énergétiques. Malgré les bombardements de représailles ukrainiens sur la ville de Belgorod le lendemain, la campagne de frappes entamée par Moscou se poursuit depuis le 2 janvier 2024. Après les déclarations fantaisistes des responsables de la DCA ukrainienne concernant le nombre d'interceptions réalisées contre les missiles et les drones russes, il apparaît aujourd'hui que Kiev a décidé de ne plus communiquer sur ce sujet avec autant de légèreté et reconnaît que le taux d'interception chute faute de munitions pour les systèmes de DCA fournis par l'OTAN. A l'heure où nous écrivons ses lignes, la dernière frappe massive date du 8 janvier. A l'inverse des campagnes de frappes précédentes, les Russes opèrent autant de jour que de nuit. En visant les usines d'armement cela permet non seulement de détruire le potentiel industriel mais cela peut, le cas échéant, entraîner la mort de personnels qualifiés difficilement remplaçables. Par ailleurs, les attaques de jour, essentiellement le matin, empêchent Kiev de dissimuler l'efficacité des frappes et l'absence croissante de moyens de sa DCA. Soulignons enfin que ces frappes dans la profondeur sont couplées avec des bombardements aériens classiques quotidiens avec des bombes planantes de 500 kg à 1,5 tonnes sur l'immédiat arrière-front pour détruire les dépôts de matériels et de munitions ainsi que les postes de commandement. Faute de nouvelle aide substantielle de la part de l'OTAN et principalement des Etats-Unis, la DCA ukrainienne devrait être définitivement à court de munitions d'ici la mi-janvier si les frappes se poursuivent à ce rythme[1]. Le même problème se posera également à moyen terme pour les munitions d'artillerie. On vient d'apprendre que le nombre de coups tirés par l'artillerie ukrainienne était tombé à 2 000 en moyenne par jour contre plus de 6 000 l'été dernier, tandis que côté russe, grâce aux importations nord-coréennes, le nombre de coups tirés au quotidien était désormais de 10 000 contre 5 000 au cours de l'été 2023[2].
La mobilisation générale
Alors que les langues commencent à se délier au sein de l'appareil d'état ukrainien au sujet des pertes[3], Zaloujny est venu demander avec force et colère à la Rada de décréter sans attendre la mobilisation de 500 000 conscrits, dont probablement 10 % de femmes, pour combler les pertes subies – 500 000 hommes – depuis le 24 février 2022 et l'augmentation du nombre de blessés irrécupérables[4]. A cette heure, la Rada n'a toujours pas trouvé un compris sur le texte définitif tandis qu'aux frontières de l'Ukraine, le nombre de jeunes hommes qui tentent de fuir le pays ne cesse d'augmenter car personne n'a envie de finir dans l'un des sacs à feu créé par l'armée russe pour poursuivre son entreprise d'attrition à grande échelle des forces armées ukrainiennes. Par ailleurs, tous les jours sur les réseaux sociaux, des vidéos montrent de plus en plus de résistance de la part des conscrits lorsque les recruteurs viennent les interpeller dans la rue ou à leur domicile. L'impopularité d'une telle mesure semble freiner le pouvoir politique tant on redoute un vaste mouvement de contestation populaire si la Rada finissait par trouver un accord. Néanmoins, même si le pays parvient à mobiliser au moins 450 000 nouveaux personnels, il faut au minimum trois mois d'instruction pour les former correctement au combat avant de les envoyer au front. Est-ce que l'armée de Zaloujny dispose aujourd'hui de ces trois mois ? Probablement non. Il est donc clair que les nouveaux enrôlés seront jetés avec une formation rudimentaire de six semaines maximum dans la fournaise des combats uniquement comme fantassins (on ne forme pas correctement un artilleur ou un tankiste dans des délais aussi court) face à des unités russes qui ne cessent de monter en puissance et en expérience. Bref, à part prolonger la guerre de quelques mois, cette mobilisation risque de coûter très cher à l'Ukraine, tant sur le plan démographique que sur le plan de la politique intérieure.
Le grignotage russe
Sur la ligne de front, de Rabotine à Koupyansk, les Russes poursuivent inlassablement leurs offensives locales avec quelques gains tactiques notamment autour de Bakhmut où la contre-offensive en tenaille de l'armée ukrainienne rêvée par Bernard Henri-Lévy a fini par perdre tout le terrain qu'elle avait conquis de haute lutte l'été dernier. Les Russes semblent opérer un remodelage de la ligne de front en profitant de l'hiver via ces opérations avant, probablement de passer à une phase plus mobile dans certains secteur clés à partir du printemps et surtout, après l'élection présidentielle en Russie. Malgré les affirmations de certains observateurs OSINT et les cris d’orfraie des services de renseignement britanniques, il est peu probable qu'en l'état, l'armée russe bascule sur une offensive grand style avant le printemps. L'essentiel pour l'heure est de poursuivre l'attrition de l'armée ukrainienne et l'engagement de ses dernières réserves de munitions pour défendre les secteurs attaqués puisque Kiev s'entête à ne pas vouloir céder le moindre mètre carré de terrain pour raccourcir son front, créer une nouvelle réserve stratégique et contraindre les Russes à opérer de nouveau sur une échelle plus importante. Cette approche suicidaire n'est pas sans rappeler la politique des Festungen/Festplatz mise en œuvre par Hitler à partir de mars 1944. Dans ce contexte de grande difficulté, il est clair que la Russie est plus que jamais maîtresse du calendrier des opérations et que le pourrissement de la situation intérieure de l'Ukraine favorise ses objectifs. De toute évidence, l'année 2024 sera décisive pour Zelenski et son régime de plus en plus corrompu au point que les soldats ukrainiens s'en plaignent ouvertement[5], et ce n'est pas la course à la Maison Blanche qui viendra sauver l'ex-comédien devenu président.
[1] https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-l-armee-ukrainienne-redoute-une-penurie-de-munitions_6282558.html
[3] https://www.eurasiantimes.com/it-will-be-a-shock-ukraine-lost-500000-soldiers-in-w