Grand reporter, un titre largement mérité pour Anne-Laure Bonnel, celle qui défie les journalistes à roulettes parisiens et joue à l’OVNI depuis plus de dix ans. C’est à cœur ouvert, avec force et beauté qu’elle a boxé les trolls et répondu à nos questions.
La caméra filme l’homme en rouge, un obus tombe non loin, un cri, l’homme avance perdu tel un zombie, une voix féminine le rattrape : « venez monsieur ! venez », l’homme n’en a cure, il fonce vers les bombardements. Anne-Laure qui le filme tente de le dissuader d’aller vers la mort : « les gens veulent mourir maintenant tu vois ?? » dit-elle pour la caméra... L’homme désespéré exprime son désarrois « pendant la Seconde Guerre mondiale j’ai vécu dans les caves et maintenant mes petits-enfants aussi... », il ne peut retenir ses larmes, son regard vous prend aux tripes, elle lui donne la main, c’est ça la force, c’est ça la sagesse. C’est ça ALBO, presque le nom d’une boisson énergétique pour reporters planqués dans les hôtels miteux loin des zones de guerre, avec des extraits de vagin et de burnes de vrais reporters à l’intérieur ! Remettez-moi une tournée générale Thénardier !
Usine cassée
Des comme elle on n’en fait plus du tout, car même chez LCI et TF1, tout est surprotégé, sur-préparé et cent fois sécurisé, in fine, le sujet est plat, réchauffé, du déjà vu, insipide comme dirait le chef Etchebest... Les rédac chefs ont un pattern à suivre que ce soit pour le Mali, Israël, l’Ukraine et même pour les émeutes en banlieue : pas de place à l’impro, au réel, TOUT est codifié, scripté. De nos jours, il n’y a plus aucune séquence brute, réelle, où les reporters et réalisateurs doivent vous prendre par la main avec eux, pour vous accompagner, afin de créer une expérience unique pour le spectateur, pour l’occidental dans sa zone de confort, loin des bombes, loin du cœur : l’expérience que des gens, qui, hier étaient comme vous, sont aujourd’hui au cœur de la guerre... c’est ça notre travail ! et pas faire mumuse avec des grilles pour vendre des flans bio au sucre sans sucre.
Partie plusieurs fois, à ses risques et périls, Anne-Laure est revenue pour prendre plus de coups sur Internet et dans certains médias de gauche (dits féministes) que n’importe lequel d’entre nous. Elle a rampé sous les salves des trolls affamés des réseaux cas sociaux, regard profond, vocabulaire acéré, elle a maché son protège dents et a monté les gants pour distribuer quelques crochets – toujours dans les règles – car ALBO n’a pas besoin de tricher comme certains. Anne-Laure Bonnel est une journaliste et réalisatrice française, spécialisée dans les reportages de guerre et les documentaires, notamment connue pour son film de 2016 sur le Donbass et pour son documentaire de 2020 sur le Haut-Karabagh.
Son fait de gloire ? La pseudo polémique après son intervention sur CNews, le 1er mars 2022, où elle a dénoncé les frappes ukrainiennes sur la population russophone du Donbass. Elle a osé faire son travail sans juger ni prendre parti : elle a démontré que le gouvernement de Kiev commettait des crimes contre l’humanité, car ça AUSSI il faut le montrer. C’est elle AUSSI qui a mentionné le chiffre de 13 000 morts depuis le début du conflit en 2014, chiffre qui correspondra au bilan alors établi par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH). 2-0, deux K.O debout pour le petit club des bienpensants à roulettes de la gauche coke-caviar et ses petits sbires fascisants, au moins, ALBO n’a plus rien à prouver... elle a ses médailles et son bagou : Interdite de territoire par le gouvernement ukrainien pendant dix ans pour avoir filmé l’autre côté ? Elle s’en fout, tant que ça démontre l’absurdité de ceux qui ne veulent pas nous laisser bosser. Qu’ils comprennent, nous irons en Ukraine, en Russie, A Gaza, En Israël, avec les uns et avec les autres, car si on ne veut couvrir qu’un côté, alors c’est foutu. Seul bémol pour nous tous : l’Usine – qui a fabriqué ces grands reporters du calibre de Anne-Laure – a été bombardée, elle n’existe plus. Seul persistent les « petits soldats du journalisme » aux ordres de ceux qui veulent nous empêcher de travailler. ALBO est devenue notre ambassadrice avec force, beauté, sagesse et un charme fou !
Le Dialogue : Vous avez évoqué un fait très violent en Ukraine qui a été ignoré des médias français en 2014
Anne-Laure Bonnel : Le Donbass a été l'élément déclencheur de la guerre civile en Ukraine et dans son continuum a été la suite de l'invasion du 24 février. Mais qu'est ce qui s'est passé en 2014 dans le Donbass et qui aurait dû être davantage considéré ? On avait déjà de fortes tensions entre deux parties de l'Ukraine. Et là, je résume très, très grossièrement, sans rentrer dans les détails, ça se joue entre une partie russophone russophile, une partie plutôt portée côté Europe, dite pro Maïdan. Mais avant même que les combats commencent, il y avait déjà dans cette zone-là, notamment à Odessa, des tensions très importantes. En mai 2014, plusieurs pro-russes faisaient étaient la cible de combats assez sanglants, ils ont été brûlés vifs lors d'une manifestation qui a très mal tourné : elle s'est terminée avec plus de 50 morts côté pro-russe. A ce jour, on est donc en 2023. Il n'y a toujours eu aucun jugement, ni aucune enquête sur ce qui s'est passé en mai 2014. Donc vous voyez bien que le Donbass était déjà une zone, un oblast, une région problématique avant même le début de la guerre. Il faut savoir que les premiers combats ont commencé également à Slaviansk.
Sur les crimes contre l’Humanité, vous avez annoncé des chiffres qui ont d’abord été contestés puis validés par des instances officielles, notamment le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH).
Ils ont fait énormément de morts. C'est d'ailleurs dans cette période-là, début 2014, jusqu'aux accords de Minsk en 2015. Décembre, janvier février 2015 où on a eu le plus de morts dans le Donbass, on a comptabilisé ce chiffre. Et vous savez que c'est très difficile d'être précis sur le nombre de morts parce que pendant une guerre, évidemment, chacun cache ses pertes. Les chiffres côté OSCE, valident les enquêtes d'ONG et se portent à quelques 14 000 morts, militaires et civils des deux côtés. Donc, ce que l'on peut dire dans un premier temps, c'est que le Donbass était une zone de combat, une zone avant même le début des combats, de tensions avec des dissensions meurtrières.
Mais pourquoi ? Quel a été le déclencheur ?
L’Entente des gens entre l'Est et l'ouest de l'Ukraine ne fonctionnait pas. Elle était ponctuée d'événements sanglants, de manifestations sanglantes. Ce fut le résultat de la révolution de Maïdan que je ne critique pas ! Mais soit on en parle et on donne toute l’information soit on se tait et on a alors choisi un côté... Tous les peuples ont le droit de faire une révolution. Mais cette révolution, on le sait aujourd'hui, été plus ou moins manipulée des deux bords. Alors ça, on a encore du mal à le dire. Mais c'est une réalité manipulée par des forces pro-russes, elles-mêmes manipulées par des forces pro-américaines. Du coup l'Ukraine et le Donbass en particulier, se sont retrouvés au milieu de tensions qu’on peut alors déjà qualifier de tensions internationales.
Vous mettez le doigt sur une partie de la population ukrainienne à qui le gouvernement de Kiev à tout coupé...
Effectivement suite au conflit dans le Donbass, le gouvernement de Kiev a catégorisé cette zone comme « terroriste ». Les deux oblasts de Donetsk et de Lougansk, qui font partie de ce qu'on appelle le Donbass. S'est alors suivi la coupure des aides, des retraites et des indemnisations des pensionnés. L'accès à l'aide humanitaire était quasi impossible. Et donc l'oblast de Donetsk et Lougansk, qui fait partie de ce Donbass, a été coupé du reste de l'Ukraine et isolé. Zone qui a fait l'objet – des deux côtés, je le répète – de bombardements, donc de la part aussi bien de Kiev sur cette zone dans le Donbass que la population dite pro-russe.
Kiev a donc exacerbé les russophones pour faire monter la pression ?
Pour eux, il n'y avait plus aucun sentiment d'appartenance. Des retraites n'étaient plus octroyées... Et cette zone-là, comme je vous le dis, a été coupée du reste de l'Ukraine. Il y avait des checkpoints et la population ne pouvait plus sortir ni entrer sans autorisation du gouvernement de Kiev. Donc elle était totalement isolée, elle était isolée parce que dite « zone terroriste » et Kiev a considéré que cette zone pro-russe était donc en guerre contre le reste de l'Ukraine. Les choses ne sont jamais aussi simples que ça. Evidemment qu'il y avait une aide russe dans le Donbass. Mais il y avait également une aide occidentale de l'autre côté. Vous voyez donc c'est très compliqué et c'est là où on peut dire que malheureusement, ce pays, l'Ukraine et le Donbass en particulier, a fait les frais d'un manque d'analyse de sécurité sérieuse.
L’Occident était peut-être sur la mauvaise grille de lecture après 1991 non ?
Post 1991 on n'a pas été capable, ni la communauté internationale, ni les Russes, ni les Ukrainiens, ni l'OTAN en général, de penser à un système de cohabitation qui puisse satisfaire l'ensemble des acteurs de cette zone-là. On le voit également dans d'autres aspects. Depuis 91, il y avait eu des référendums qui demandaient déjà une autonomie du Donbass et de la Crimée, mais ça tout le monde a déjà oublié. Tout ceci n'a pas été assez pensé et réfléchi. Finalement après la chute du mur, au lieu de régler déjà ces tensions qui étaient extrêmement chaudes et dangereuses pour la sécurité de l'Europe, ont été simplement déconsidérées. Ensuite, il y a un deuxième facteur qu'il ne faut pas oublier et qui est tout simplement le fait de la realpolitik.
Dans la realpolitik, il n'y a pas de morale et il y a simplement des intérêts. On peut retrouver les stratégies américaines en reprenant Brezinski avec l’endiguement de la Russie... puis il faut l'analyser en termes de relations internationales. Les Etats-Unis ont considéré que l'Ukraine était une zone pivot : Si l'Ukraine était rattachée à la Russie elle devenait alors une puissance qui aurait été susceptible de mettre les intérêts américains en danger…
Donc, au fur et à mesure et après la dissolution de l'URSS, on a vu plus ou moins des ingérences diverses et variées de la part des Américains avec le financement de certaines ONG, ainsi que l’ingérence dans des élections politiques, le soutien à des révolutions en 2004, et cetera... Tout cela est pratiqué, j'insiste bien, par tous les pays, tous les états, partout dans le monde. Et qu'est-ce que ça a généré ? Ce financement et cet élargissement des pays de l'Est qui ont intégré l'OTAN, c’est à juste titre ou pas ? Ça a généré un sentiment d'insécurité de la part des Russes qui ont eu l'impression d'être encerclés et de ne pas avoir de possibilité de rapports de confiance avec les Occidentaux.
La suite dans notre entretien vidéo dont voici le lien :