Du 30 novembre au 12 décembre, le monde entier se retrouve aux Émirats arabes unis (EAU) pour la 28ème COP, la conférence des parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Quand je dis le monde entier, c’est presque une vérité puisque 70 000 personnes sont attendues, dont le pape François (une première) et le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres. Seul deux invités de marque manqueront : Xi Jinping, ce qui n’est guère étonnant, et Joe Biden, ce qui l’est plus.
Le choix du Dubaï, qui a une des pires empreintes carbones de la planète (22 tonnes, par habitant et par an, en 2022) pour accueillir ce grand raout mondial a fait l’objet d’intenses polémiques parmi les milieux écologistes : certes, on confie bien le harem aux eunuques, mais comment un pays qui a fait sa fortune sur le pétrole pourrait présider aux destinées de la lutte contre le réchauffement climatique ? Les EAU produisent en effet 4 millions de barils de pétrole par jour.
Au sein du système onusien, c’est une problématique vieille comme le monde, qui pourrait faire écho aux critiques des Etats-Unis ou d’Israël sur la commission (devenue conseil) des droits de l’Homme des Nations-Unies, dont des régimes autoritaires comme la Chine, Cuba et le Venezuela ont pu faire partie. Mais s’agissant des EAU, la critique est assez malvenue. En effet, produire du pétrole n’est ni un péché, ni une violation du droit, n’en déplaise à tous ceux qui veulent diaboliser le fossile. Rappelons que pour ce petit pays très pauvre qu’étaient les EAU en 1960, le pétrole a représenté une manne financière inespérée. Avant l’arrivée du pétrole, la moitié des bébés et un tiers des mères mouraient en couches. En d’autres termes, le pétrole a été un médicament plus efficace que le PNUD pour sortir du tiers-monde.
Aussi, dans cette affaire, je crois qu’il faut plutôt voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Le fait qu’un pays qui a bâti sa richesse sur le fossile (l’un des principaux producteurs de pétrole mondial, 14ème producteur de gaz naturel) s’empare du sujet est une bonne nouvelle. Ce n’est d’ailleurs pas un coup de communication : en 2009, les EAU avaient déjà soufflé à la barbe de l’Allemagne le siège de l’agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA, de l'anglais International Renewable Energy Agency).
Ne prêtons donc aucune arrière-pensée aux émiratis. Ces pays pétroliers ont compris depuis longtemps l’imminence d’un big-bang énergétique dont ils ne veulent pas être les perdants, après plusieurs décennies d’enrichissement extraordinaire. Les Émirats visent la neutralité carbone en 2050 alors que leurs réserves de pétrole sont estimées d’après British Petroleum à 67 années de production annuelle. Dubaï, qui pèse moins de 10% du pétrole des EAU, n’aurait que 10 ans devant elle.
On peut même s’autoriser à penser qu’il n’y a pas mieux pour sécuriser un accord global, alors que la pression s’accentue pour que la sortie du fossile soit mise sur la table. L’UE a ainsi fait de ceci son objectif prioritaire à la COP 28 en ciblant l’élimination des énergies fossiles brûlées sans captage du CO2, avec un pic de leur consommation mondiale dès cette décennie. L’UE cherche donc une voie d’entente médiane, en distinguant le (bon) fossile dont on peut capter les émissions (à la sortie des cheminées d’usine ou des pots d’échappement notamment) et le mauvais fossile.
L’évènement est présidé par le Sultan Ahmed Al Jaber, ce qui a également été critiqué car il est PDG de la compagnie pétrolière émiratie Adnoc (l’Abu Dhabi National Oil Company) et ministre de l’Industrie. C’est oublier qu’il est aussi le président de Masdar, un projet gigantesque de ville écologique dans l’émirat d’Abou Dhabi qui devrait accueillir une université des énergies renouvelables. Cette « double casquette » est très utile pour trouver un compromis. Jaber a ainsi beaucoup œuvré pour que le dialogue se renforce entre pays producteurs de fossiles et pays consommateurs, et il a progressivement intégré la question de la réduction du fossile dans ses éléments de langage. Évidemment réduire n’est pas sortir, et Jaber n’a pas donné de date. Mais, la bonne volonté et la peur du réchauffement climatique ne suffiront pas à annihiler les intérêts nationaux légitimes que les États défendent pour leur industrie et leur développement économique. Ne lui demandons pas non plus de changer le monde d’un coup de baguette magique.
L’erreur des COP précédentes est d’avoir cherché « le grand soir » alors que, comme la température du globe, les efforts ne peuvent être qu’incrémentaux. Le vrai problème de la COP 28 n’est pas qu’il soit arbitré par un pays pétrolier, mais plutôt que les présidents de la Chine et des États-Unis, respectivement premier et deuxième plus gros émetteur de CO2 dans l’atmosphère, en soient absents. Pour Biden, la guerre à Gaza a bon dos : il faut sans doute plutôt comprendre que jusqu’aux prochaines élections présidentielles, l’Amérique sera concentrée sur elle-même. Le monde attendra.