Un manifestant palestinien passe devant un graffiti du défunt dirigeant Yasser Arafat lors d'affrontements avec les forces de sécurité israéliennes à la suite des funérailles du policier palestinien Tareq Badwan, abattu par les troupes israéliennes lors d'affrontements avec des manifestants dans la ville de Jénine, au nord de la Cisjordanie, dans le village d'Azun, le 7 février 2020. Photo : JAAFAR ASHTIYEH/AFP.
Yasser Arafat est le miroir du peuple palestinien. Plusieurs fois en exil dans différents pays arabes, il a passé sa vie à lutter pour la cause palestinienne. Un temps guérilléro, il s’est mué en diplomate au gré de la conjoncture. La vie d’Abou Ammar est le symbole du militantisme de son peuple : en perpétuel questionnement, isolé ou convoité par ses voisins à des fins politiques.
Né en 1929 au Caire, il est le fils d’un commerçant originaire de Gaza et d’une mère originaire de Jérusalem. Yasser Arafat affirme être né à Jérusalem. Ceci a pour but de légitimer encore un peu plus son combat pour la cause palestinienne.
Il passe les premières années de sa vie au Caire, puis il est envoyé à Jérusalem en 1936 chez l’un de ses oncles maternels. C’est à cette époque, qu’il constate l’injustice latente dont fait l’objet le peuple palestinien. En effet dans les années 30, l’immigration juive se fait au détriment des autochtones palestiniens qui doivent souvent délaisser leurs terres d’origine. Devant ces vexations et exactions de plus en plus régulières, Yasser Arafat assiste impuissant à plusieurs révoltes palestiniennes.
Après avoir passé 4 ans dans la ville Sainte, il rentre au Caire où il continue ses études et entame parallèlement sa formation politique. Le jeune Yasser se passionne rapidement pour la Palestine, il étudie les penseurs panarabes ainsi que les théoriciens du sionisme Theodor Herzl et Vladimir Jabotinsky. Initialement proche des Frères musulmans égyptiens, il s’en écarte par la suite. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, en raison des crimes nazis, les puissances occidentales de l’époque reconnaissent l’obligation et l’importance de la création d’un État juif en Palestine.
Du militantisme au leadership palestinien
Mohamad Abd-al Rauf Arafat, dit Yasser Arafat participe à la première guerre israélo-arabe en 1948. Cette cuisante défaite représente une catastrophe (Al-Nakba en arabe) pour toute la région. Ce premier opprobre est le prélude à la longue agonie du peuple palestinien.
De retour au Caire, Le jeune Yasser obtient son diplôme d’ingénieur civil en 1956. Dans les années 50, il devient président d’un groupe d’étudiants exilés au sein duquel émerge la conscience et la vision d’un nationalisme palestinien. Il sert tout de même l’armée égyptienne lors de la crise du canal de Suez en 1956 contre l’agression tripartite française, anglaise et israélienne.
Peu à peu, le jeune militant palestinien prend ses distances vis-à-vis des gouvernements arabes, qu’il juge incapables de délivrer la Palestine. Selon lui, la solution doit provenir de l’intérieur et non d’un pays arabe à l’instar de l’Égypte ou de la Syrie. Yasser s’installe finalement au Koweït en tant que chef d’entreprise. C’est dans ce pays qu’il fonde le mouvement de libération de la Palestine, parti rapidement renommé le Fatah (La conquête en Arabe) avec Salah Khalaf, Khalil al-Wazir et Farouk Kaddoumi. Yasser Arafat emprunte le nom de guerre d'Abou Ammar, en hommage à Ammar Ben Yasser, un compagnon du prophète Mahomet.
L’objectif principal est l’établissement d’un État palestinien faisant fi de la reconnaissance de l’État israélien. Son positionnement et sa volonté d’utiliser l’action militaire l’écartent encore un peu plus des dirigeants arabes. Il réfute catégoriquement que la cause palestinienne soit utilisée à des fins de propagande démagogue. Ainsi, il crée en 1959 un journal intitulé Filistinuna (Notre Palestine) qui parachève la rupture entre sa vision et celle du panarabisme.
Dans ce journal, Yasser Arafat théorise son idéologie et explique l’importance de la lutte armée pour les réfugiés palestiniens (en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Égypte). En effet, il conceptualise l’idée du fedayin palestinien (notion qui signifie littéralement le fait de se sacrifier pour une cause). Devant l’atonie des gouvernements arabes et l’accaparement des terres par les Israéliens, Yasser Arafat veut agir seul, pour mobiliser et former des groupes de commandos.
Une lutte armée qui ne fait pas consensus
Au lendemain de la défaite de la guerre des six jours contre Israël en 1967, Yasser Arafat est conforté dans son idée que le salut de la Palestine ne peut venir d’un pays arabe (en l’occurrence la Syrie et l’Égypte). Lors du congrès du Fatah à Damas en juin 1967, Yasser Arafat prône des actions armées en Cisjordanie, territoire conquis par Israël la même année. Il devient la tête pensante et agissante des fedayins. Les attaques ciblent les intérêts israéliens par l’entremise de sabotages, de détournements d’avions, d’attentats et de prise d’otages. Yasser Arafat se lance dans une guerre d’usure contre « l’ennemi sioniste ». Or, Israël réplique avec force, obligeant les Palestiniens à établir leurs locaux en Jordanie. Ceci alimente les tensions entre le royaume hachémite jordanien et les combattants palestiniens.
Pour autant, les fedayins obtiennent leur premier succès en mars 1968 à Karameh en Jordanie. Après avoir assiégé et bombardé le camp de réfugiés, les Israéliens font face à une résistance surprenante de la part de 300 Palestiniens et d’une centaine de jordaniens. La base de Karameh est finalement rasée mais l’armée israélienne est obligée de quitter les lieux. Auréolé de cette victoire symbolique, Yasser Arafat assoit encore un peu plus sa légitimité et préconise une rupture totale avec les gouvernements arabes. De surcroît, quittant la clandestinité, il est nommé Président du comité exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en février 1969. La charte de l’organisation nie l’existence de l’État hébreu.
Cependant cette consécration est de courte durée tant les luttes intestines et interarabes prennent le dessus sur la lutte contre Israël. En effet, les commandos palestiniens indisciplinés se heurtent régulièrement à l’armée jordanienne. Très vite, ils constituent « un État dans l’État » et outrepassent de loin les fonctions régaliennes de l’État jordanien. Finalement, le roi Hussein de Jordanie ordonne le massacre de plusieurs milliers de Palestiniens, civils et militaires en septembre 1970. Cet épisode dramatique dans l’histoire de la cause palestinienne est connu sous le nom de Septembre noir.
En raison du durcissement de la politique jordanienne à l’égard des Palestiniens, Yasser Arafat et l’OLP s’établissent à Beyrouth en 1970.
Faute de reconnaissance internationale de l’OLP comme unique représentant du peuple palestinien, Yasser Arafat veut faire du Liban un territoire acquis à sa cause. Lors du sommet arabe de Rabat en octobre 1974, l’OLP est reconnue comme seul représentant légitime du peuple palestinien.
Les Palestiniens sont présents au Liban depuis 1948 et la première défaite arabe contre Israël. À l’arrivée de l’OLP, Yasser Arafat organise et lance avec l’aide de certaines populations locales des actions militaires contre les villes israéliennes depuis le Sud-Liban. Ses actions s’inscrivent dans la légalité depuis les accords du Caire en 1969. Ces derniers autorisent les mouvements palestiniens à utiliser le Liban comme base arrière dans sa lutte contre « l’ennemi sioniste ». Or, les représailles israéliennes détruisent méthodiquement les structures économiques (port, aéroport, centrales électriques, ponts…). Une fois de plus, les commandos de Yasser Arafat enveniment la situation dans le pays d’accueil.
Le Liban sombre en 1975 dans une guerre dévastatrice. Au fil des années, le pays devient une mosaïque d’alliances complexes et hétérogènes. Les Palestiniens affrontent essentiellement les milices chrétiennes puis les forces pro-syriennes. Hafez el-Assad souhaite s’emparer de la cause palestinienne à des fins politiques. Des atrocités sont commises dans les deux camps. De surcroît, Yasser Arafat échoue à faire reconnaître la Palestine comme État indépendant lors des accords de camp David en 1979. Devant l’incapacité du gouvernement libanais à contenir les opérations palestiniennes, Israël intervient militairement et tente d’éliminer l’OLP en 1978 puis en 1982 en envahissant le Liban jusqu’à Beyrouth.
Frôlant la mort lors d’un bombardement israélien sur la capitale libanaise, l’OLP et Yasser Arafat sont expulsés, à bord d’un navire marchand battant pavillon grec, l’Atlantis, protégé par une escorte conjointe franco-américaine, vers Tunis en 1982. Face à cet échec cuisant les fedayins sont contraints de se disperser en Algérie, en Irak et au Yémen.
L’obligation de négocier
Arafat évite la mort le 1er octobre 1985 lorsqu’un avion de chasse israélien F-15 bombarde le siège de l’OLP à Tunis où devait se tenir un meeting entre les dirigeants du mouvement, réunion à laquelle Arafat arrive en retard. Exilé, Yasser Arafat ne verra pas son peuple se soulever lors de la première intifada en 1987. L’éclatement de la première l’Intifada précipite la proclamation depuis Alger d’un État palestinien dans la nuit du 14 au 15 novembre 1988 et Arafat est élu par le Conseil national palestinien, président de ce nouvel État.
Son alliance diplomatique avec Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe l’isole du reste des pays arabes qui avaient pris fait et cause pour la coalition internationale. L’Arabie saoudite et le Koweït cessent le financement de l’OLP.
Yasser Arafat a eu plusieurs vies en une. Dans son rôle de résistant et de tacticien, il prêche consciencieusement la guérilla armée contre l’ennemi israélien. Cependant, il n’a pas les moyens de ses ambitions et s’enferme dans sa propre logique nationaliste, refusant tout parrainage arabe. À défaut d’avoir libéré la Palestine par les armes, il est contraint dans les années 90 de trouver un compromis par la diplomatie avec Israël lors des accords d’Oslo en 1993. Suite à ces accords, il obtient le prix Nobel de la paix avec Yitzhak Rabin et Shimon Pérès en 1994.
L’arrivée au pouvoir de Benyamin Netanyahu en 1996 et le durcissement de la politique israélienne par l’entremise de la colonisation et de l’occupation renvoient aux calendes grecques le processus de paix israélo-palestinien. La mort de Yasser Arafat le 11 novembre 2004 en pleine seconde intifada laisse impuissant un peuple palestinien, pris en étau par la montée de l’influence du Hamas, l’atonie du nouveau chef de l’OLP Mahmoud Abbas et l’impunité dont jouit l’État d’Israël.