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Ukraine/Russie

Le fiasco de la contre-offensive Ukrainienne met Volodymyr Zelensky sur le grill

Le Dialogue

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky se frotte le visage lors d'une conférence de presse conjointe avec le président du Conseil européen Charles Michel (non représenté) et la présidente moldave Maia Sandu (non représentée) à la suite de leurs entretiens à Kiev le 23 novembre 2023, au milieu de l'invasion russe de l'Ukraine. Michel a déclaré avant son arrivée à Kiev qu'il viendrait « exprimer le ferme soutien de l'UE » et préparer avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky un prochain sommet de l'Union européenne en décembre. Photo : Sergueï SUPINSKY / AFP.

 

Après des mois de lourdes pertes dans une contre-offensive largement bloquée contre la Russie, les tensions parmi les membres de l’exécutif en Ukraine ont récemment éclaté au grand jour, poussant même le président Volodymyr Zelensky à mettre le holà et a appelé à un arrêt des querelles politiques, c’est ce que révèle Siobhán O'Grady dans les colonnes du Washington Post dans son article intitulé : "As war frustrations rise, stalemate tests Zelensky and top general Zaluzhny", publié le 8 novembre 2023.

« Chacun devrait concentrer ses efforts sur la défense du pays en ce moment », a déclaré Volodymyr Zelensky le 6 novembre 2023. Il a ajouté qu’il fallait « se ressaisir et ne pas se reposer ; ne pas se noyer dans les querelles intestines ». La désunion pouvait avoir des conséquences dramatiques : « La situation est maintenant la même qu'auparavant — s'il n'y a pas de victoire, il n'y aura pas de pays », a-t-il averti.

L'appel de Volodymyr Zelensky fait assurément très largement écho au différend rendu public avec le commandant des forces armées de l'Ukraine, le général Valery Zaluzhny, sur le fait de savoir si la guerre avait bel et bien atteint un "point mort", car « la guerre est une impasse », comme l'avait affirmé du reste le général ukrainien dans une récente interview accordée à The Economist, le 1er novembre 2023. 

Le Président ukrainien avait rapidement rejeté ces remarques lors d'une conférence de presse avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

« Tout le monde est fatigué et il y a des opinions différentes », a déclaré Volodymyr Zelensky en parlant de la remarque du général Zaluzhny sur le "point mort". Il a également déclaré à l’antenne de NBC News qu'il ne pensait pas que cela soit un point mort. Mais l'un des conseillers du président est allé jusqu'à dire à la télévision ukrainienne qu'un commentaire comme celui du général Zaluzhny « facilitait le travail » de la Russie !

Or le général Zaluzhny, militaire de carrière, jouit d'une grande popularité nationale et il est largement considéré comme une menace potentielle pour le Président ukrainien s'il décidait de se lancer en politique. Jusqu'à présent, le général Zaluzhny n'a donné aucun indice qu'il envisageait une telle initiative.

Mais force est de constater qu’après 20 mois de guerre totale, l’unité nationale commencer à se fissurer.

La question de l'impasse est particulièrement prégnante. Du reste les responsables ukrainiens craignent que la situation actuelle, plutôt négative, puisse les pousser à des négociations avec la Russie qui les forcerait à céder ainsi des territoires. Pour autant, comme on pourrait s’y attendre, une majorité d'Ukrainiens s'opposerait à des concessions territoriales, commente la journaliste du Washington Post Siobhán O'Grady.

La friction entre les dirigeants est réellement palpable alors que l'Ukraine se prépare à la possibilité d'un autre hiver des plus rigoureux, sans aucun espoir de progrès significatif sur le front sud. Même le général Zaluzhny a-t-il martelé : « Il n'y aura probablement pas de percée belle et profonde ».

Ces désaccords ouverts « servent de distraction pour gagner la guerre et jouent certainement entre les mains de l'ennemi », a déclaré Alyona Getmanchuk, fondatrice et directrice du New Europe Center, un groupe de réflexion à Kiev. "Tout commence par... l'unité à l'intérieur de l'Ukraine", a ajouté Alyona Getmanchuk.

Parmi les civils, le moral est au plus bas, surtout à l’aune des craintes croissantes que la Russie renouvelle bientôt ses attaques contre les infrastructures énergétiques, ce qui pourrait rendre la vie difficile pendant les mois les plus froids de l'année.

Or la pression ne vient pas seulement du champ de bataille. L'attention internationale s'est largement détournée vers la guerre en Israël et à Gaza. Et à Washington, il y a désormais des désaccords entre les législateurs sur une aide militaire supplémentaire à apporter à l'Ukraine.

Le 6 novembre 2023, le Président Zelensky a rejeté publiquement la possibilité de tenir des élections présidentielles au printemps 2024, comme le calendrier politique du pays le prévoyait pourtant.

Dans ce contexte, Zelensky a déclaré que les discussions sur les élections étaient « totalement irresponsables » en temps de guerre. Le pays est en état de siège, ce qui interdit la tenue d'élections. « Outre les milliers de soldats combattant sur le front, des millions d'Ukrainiens ont été déplacés par la guerre, ce qui rend presque impossible la tenue d'élections justes » a-t-il insisté.

Jusqu'à présent, l'Ukraine avait montré, du moins publiquement, une unité nationale solide, avec les rivalités politiques mises de côté alors que le pays luttait contre " l' Opération spéciale" russe en Ukraine. 

Pour illustrer ces tensions internes au sein de l’exécutif ukrainien, on soulignera volontiers, qu’au début novembre 2023, par exemple, Volodymyr Zelensky a limogé le général Viktor Khorenko, qui dirigeait les forces spéciales du pays.

Viktor Khorenko, qui a servi sous les ordres du Général Zaluzhny, a déclaré le 6 novembre 2023 au média ukrainien Ukrainska Pravda qu'il ne connaissait pas la raison de son limogeage et qu'il « l'avait appris par les médias ».  Le Général Zaluzhny, a-t-il dit, semblait également pris au dépourvu par l'annonce, commente Siobhán O'Grady.

Le ministre de la Défense, Rustem Umerov, dont le prédécesseur Oleksii Reznikov avait été également destitué par la présidence en septembre 2023 dans le cadre d'une enquête pour corruption, a déclaré dans un communiqué publié sur Facebook qu'il ne pouvait pas divulguer publiquement les raisons du limogeage du le général Khorenko car de telles révélations pourraient favoriser la Russie.

Dans un commentaire en haut de page sur Facebook qui a été « liké » des centaines de fois, l'ancien vice-Premier ministre Pavlo Rozenko a critiqué la gestion du problème par Umerov. « Vous avez commis une très grosse erreur en faisant cette soumission derrière le dos du Général Zaluzhny », a indiqué Paylo Rozenko. « Et c'est précisément de telles erreurs qui affaiblissent l'Ukraine dans cette guerre !... Il est très regrettable que les intrigues politiques prévalent dans cette situation ! »

Beaucoup d'autres ont critiqué cette décision. Certains ont spéculé que Viktor Khorenko avait été licencié parce qu'il « était impossible de déloger le Général Zaluzhny ».

Or la garde rapprochée du Général Zelensky a de plus en plus de difficultés à convaincre, même ses alliés proches, de la quantité supplémentaire d'armements, d'argent et d'autres ressources dont ils ont besoin pour repousser les forces russes.

De plus, au cours du week-end du 4 et 5 novembre 2023, soit juste avant l'annonce de Volodymyr Zelensky quant au report sine die des élections en Ukraine, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s'est rendue à Kiev et a salué les efforts de l'Ukraine pour préparer des négociations officielles en vue de rejoindre l'UE, en osant affirmer que le pays avait fait… « d'excellents progrès » !

« Le déroulement de la contre-offensive a sapé les espoirs occidentaux que l’Ukraine puisse l’utiliser pour démontrer que la guerre est impossible à gagner, forçant ainsi le président russe Vladimir Poutine à négocier. Cela a également remis en cause l’hypothèse du général Zaluzhny selon laquelle il pourrait arrêter la Russie en saignant ses troupes. (…) C'était mon erreur », confesse le général dans les colonnes du The Economist.

Mais dans le même temps, certains États européens ont également commencé à revoir leurs engagements nationaux.

En effet, en octobre dernier, le nouveau Premier ministre slovaque, Robert Fico, a annoncé que la Slovaquie ne fournirait plus d'armes à l'Ukraine.

Et quid des commentaires récents de Giorgia Meloni ? 

La Présidente du Conseil italien, suggère assurément qu'elle aussi pourrait être méfiante à l'égard d'un soutien à long terme. Jusqu'à présent, Giorgia Meloni avait soutenu l'Ukraine et condamné Moscou, contournant les pressions internes, y compris des éléments au sein de sa coalition qui s’étaient montrées plus favorables à Poutine et à la Russie.

Mais fin octobre 2023, à l’aune des canulars téléphoniques menés de mains de maître par les fameux comédiens russes Vovan et Lexus, où Giorgia Meloni a été piégée, les lignes de failles sont clairement apparues au sein des États membres de l’Union Européenne. 

Cette dernière avait été invitée à faire une évaluation franche de la guerre en Ukraine. « Je vois qu'il y a beaucoup de fatigue. Je dois dire la vérité, de tous les côtés », a confessé Meloni lors de l'appel, qui a eu lieu en septembre 2023. Elle pensait apparemment s'adresser à des diplomates africains.

« Nous sommes proches du moment où tout le monde comprend qu'il faut trouver une issue », a déclaré l’Italienne. « Le problème est de trouver une solution acceptable pour les deux parties, sans détruire le droit international ».

La suite de la contre-offensive de l'Ukraine, a-t-elle poursuivi, « n'atteint pas » les espoirs de Kiev et il semble peu probable que cela change le « destin du conflit ». Elle a concédé que la guerre pourrait « durer de nombreuses années si nous n'essayons pas de trouver des solutions ».

Par la suite, la garde rapprochée de Meloni a exprimé « ses regrets » après ces déclarations qui méritaient de rester privé, et quant à son principal conseiller diplomatique… il a démissionné !  

Quoi qu’il en soit, piégée ou pas, les déclarations de la Présidente du Conseil italien, témoignent assurément, elles aussi, des craquements qui commencent à se multiplier au sein des États membres de l’Union européenne quant à l’aide militaire en Ukraine.

En attendant, Volodymyr Zelensky, dans son discours du 6 novembre 2023, a proclamé à qui voulait l’entendre, que l'Ukraine pouvait vaincre les envahisseurs russes à condition que le pays reste uni. « Notre victoire est réalisable. Nous y parviendrons si nous restons tous concentrés sur cet objectif », a-t-il déclaré. « Pas sur des avantages politiques ou personnels. Pas sur des querelles inutiles », a-t-il martelé.

On l’aura compris, la messe semble être dite : des lignes de fractures apparaissent au grand jour tant, dans la classe politique ukrainienne qu’au sein des États membres de l’Union européenne. Tout ceci ne laisse guère de doute quant à l’issue de "l’Opération spéciale" russe en Ukraine qui ne ressemblera sûrement pas à ce que claironnaient et espéraient beaucoup « experts » occidentaux…