Bien que Sound of Freedom ait connu un succès énorme cet été aux États-Unis, sa sortie en France le 15 novembre s'est faite dans la difficulté. A titre d’exemple, à Paris, il n’est diffusé que dans 3 salles. D’ailleurs, sans l'initiative tenace de l'ex-animateur télé Karl Zéro, ce film ne serait probablement jamais sorti en France. Malgré son budget modeste de 14,6 millions de dollars et les nombreuses controverses, le film a surpassé, outre-Atlantique, des blockbusters tels qu'Indiana Jones 5 et Mission Impossible 7.
Il est indéniable que la presse française, dans son immense majorité, dans la lignée de la presse américaine, ne soutient pas ce film. Une opposition farouche se manifeste à travers des critiques acerbes, principalement axées sur l’accusation selon laquelle le film véhicule et fait le jeu des théories conspirationnistes. Ce qui est certain, c’est que le réalisateur s’en défend et que le film en lui-même ne vise nullement des personnes ou des organisations spécifiques. On n’aurait pu donc s’attendre à des critiques plus nuancées faisant la part des choses entre le film d’un côté, et de l’autre, l’existence des mouvements conspirationnistes qu’il ne faut pas ignorer. Cela n’a pas été le cas et cette levée de boucliers unanime surprend, voire révolte de nombreux spectateurs. Mais en réalité, cette hostilité collective s’avère totalement cohérente. Elle découle même d’une logique implacable. Explications !
Tout d’abord, quel est le sujet du film ? Sound of Freedom est un thriller dénonçant le trafic d’enfants pour des réseaux pédophiles. Il s’inspire de faits réels en s’appuyant sur l’expérience de Tim Ballard, ancien agent fédéral américain, incarné par l’acteur Jim Caviezel. Ce dernier se lance dans une opération de sauvetage pour sauver des enfants victimes de réseaux les réduisant à l’esclavage sexuel. L’action se déroule en Amérique Latine. Le film est à la fois captivant, haletant, dérangeant, dur et bouleversant. Il ne tombe jamais dans une sorte de voyeurisme glauque et malsain. On en ressort pour le moins perturbé. Son scénariste et réalisateur, Alejandro Monteverde, de nationalité mexicaine, veut mettre en lumière le trafic d’êtres humains et particulièrement la traite d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle.
L’un des reproches fait au film tourne autour de l’inexactitude des chiffres avancés concernant ce trafic d’êtres humains. Mais n'est-ce pas un faux problème ? Comme le souligne le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l'Homme (HCDH), cette traite est difficilement quantifiable en raison de sa nature clandestine. Néanmoins, sur le site officiel du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, on peut lire que la traite des êtres humains serait l’une des formes les plus rémunératrices dans le monde, et générerait jusqu’à 150 milliards de dollars de profit par an. Le nombre de personnes « recrutées » et exploitées à travers le monde chaque année est estimé à 25 millions de personnes dont principalement, des femmes et des enfants. Par ailleurs, on peut lire qu’en 2021, dans le monde, 85 millions de vidéos et photos impliquant des abus sexuels sur mineurs auraient été signalés. Parallèlement, les autorités dans de nombreux pays, expriment leur inquiétude face à l’augmentation croissante des viols en ligne de très jeunes enfants, s’accompagnant parfois d’actes de barbarie et de tortures. Et particulièrement, depuis la crise du Covid-19. Il est clair que certains chiffres peuvent être inexacts car ils ne peuvent être vérifiés. Malgré le caractère estimatif de ces données, ce phénomène ne peut nullement être considéré comme insignifiant. Polémiquer sur ces chiffres est inutile et n’est pas de nature, quoi qu’il en soit, à minimiser la gravité de la situation.
La polémique la plus virulente vient du fait que le trafic d'enfants est au cœur de théories conspirationnistes, en particulier celles propagées par le mouvement américain QAnon. Ce mouvement soutient, entre autres, que des élites mondiales dirigent des réseaux pédophiles parmi lesquels se trouveraient ceux qualifiés de satanico-pédophiles. En ce qui concerne ces derniers, les partisans de cette mouvance avancent l'idée que des enfants subiraient des sévices afin d’extraire de leur sang de l’adrénochrome, substance prétendument dotée de propriétés rajeunissantes. L'acteur principal, Jim Caviezel, et le héros dont s’inspire le film, Tim Ballard, auraient tous deux relayé certaines théories conspirationnistes au grand dam d’Alejandro Monteverde qui s’est totalement désolidarisé sans ambiguïté, des prises de position de ces deux personnages.
Si le film aborde un sujet authentique et d’une grande importance, s'il n'est pas porteur de théories conspirationnistes et si le réalisateur n'est pas accusé de les promouvoir, il est alors légitime de s'étonner du manque de nuances dans les critiques qui convergent toutes dans la direction du navet complotiste. Il aurait été facile de faire preuve de discernement, et de saisir l’opportunité de dévoiler l'absurdité, voire la folie, des théories propagées par le mouvement QAnon. Cela n’a pas été le cas et le conspirationnisme « d’ambiance » a été finalement le prétexte pour essayer de discréditer le film. Les raisons véritables de cette charge contre ce film résident ailleurs et ne sont pas explicitement énoncées. Elles sont en fait d’ordre idéologique et politique.
Tout d’abord, ce film ne s'inscrit pas du tout dans le cadre de l'idéologie progressiste qui domine largement le domaine de l'audiovisuel. Non seulement il ne satisfait pas à certains critères, mais en plus, il va à l'encontre de cette idéologie. Il suffit de regarder les publicités, les séries télévisées, les productions hollywoodiennes, les films Disney, etc., pour comprendre qu’un produit audiovisuel, aujourd’hui, doit impérativement faire la promotion de l’inclusivité, de la diversité et du « bien vivre ensemble » pour obtenir l’approbation des milieux « autorisés et autorisables ». Sans cette approbation, les portes resteront massivement fermées, les critiques seront vives et la recherche de fonds et de subventions aura toutes les chances de rester vaine. Il est évident que le film Sound of Freedom ne présente pas de personnages affiliés explicitement à la communauté LGBT, ni de personnages souffrant de handicap. Les acteurs principaux sont majoritairement masculins et de race blanche. Et quand diversité il y a, avec notamment des personnages secondaires mexicains et colombiens, elle est associée au clan des trafiquants. Et là, forcément, cela ne va pas dans le sens du « bien vivre ensemble ». Faute impardonnable aux yeux des progressistes qui promeuvent l’immigration massive, le multiculturalisme et la mixité.
Puis, ce film et son « écosystème » véhiculent des valeurs conservatrices, ce qui ne manque pas de déplaire aux progressistes. Par exemple, dans le film, les références à Dieu sont assez fréquentes. L’acteur principal, Jim Caviezel, qui s’était fait remarquer dans le rôle-titre de La Passion du Christ de Mel Gibson, est dépeint comme un catholique intégriste. Tim Ballard, le héros dont s’inspire le film, est présenté comme un mormon très engagé et père de 9 enfants. Toutes ces personnes font indirectement la promotion de la famille traditionnelle. Sans oublier la société de distribution du film, Angel Studios, qui serait un distributeur spécialisé dans les films évangélistes. Et pour couronner le tout, on apprend que les adeptes du mouvement QAnon sont des sympathisants du parti républicain, et que le film ainsi que Tim Ballard ont gagné la sympathie de Donald Trump. De quoi rendre fous les progressistes.
Ce rejet massif de ce film est malheureusement symptomatique de notre époque. Le clivage idéologique et la politisation extrême de tous les événements quels qu’ils soient, conduisent à une logique de clans dans lesquels les perceptions et les raisonnements sont sélectifs. L’appartenance au clan prime sur tout le reste. Elle dicte ce sur quoi, on a le droit de réagir, de s’indigner, de s’apitoyer et de raisonner. Une logique clanique où règne la mauvaise foi, la partialité, l’aveuglement, le deux poids deux mesures et le relativisme. En ce qui concerne ce film, ce n’est pas la cause qui est importante mais c’est « celui » qui la porte ! Et puis, il y a les causes qui vont dans le sens de l’idéologie dominante, et il y a les autres. Peu importe leur importance, ce qui compte c’est leur contribution à la défense et à la promotion des valeurs progressistes. Dans le même registre, il y a des réalités qui ne comptent pas et qu’il ne faut pas voir car elles sont dérangeantes. Et si elles arrivent à passer le filtre de la censure, elles seront alors minimisées voire invisibilisées. Sur de nombreux sujets, il ne s’agit pas de penser, mais de bien penser. L’idéologie étouffe l’intelligence, la raison, l’esprit critique, l’objectivité et le libre arbitre. Elle génère le sentiment d’injustice. Le progressisme prône l’ouverture à « l’autre » mais certainement pas à « celui » qui n’est pas dans le clan perçu comme le bon, celui du « bien ».
Le rejet massif et sans nuances de ce film, avec une approche brutale, caricaturale et dogmatique, ne favorise pas la mise en lumière légitime de la cause qu'il défend, à savoir la lutte contre la traite des enfants à des fins d'exploitation sexuelle. Cela aurait même tendance à desservir cette cause, ce qui constitue un terrible paradoxe pour des gens se présentant dans le clan du « bien ». Enfin, l’absence de discernement n’est pas de nature à combatte les théories conspirationnistes. Au contraire, cette union massive des médias est totalement contre-productive et ne peut faire que le jeu des mouvements qui poussent ces théories. Ironie tragique !