Des députés français assistent à une séance de questions à l'Assemblée nationale à Paris le 31 octobre 2023. Photo : Emmanuel Dunand / AFP.
La nouvelle loi SREN sonnera-t-elle le glas de la liberté d’expression sur Internet ?
Après l’imposition du très controversé Digital Services Act (DSA) aux États européens par l’Union européenne en août 2023, notre liberté d’expression est en passe de se réduire comme peau de chagrin à la suite du vote de la loi SREN[1], adoptée le 17 octobre 2023 à l’Assemblée nationale (360 voix pour, 77 contre). Le gouvernement a reçu le soutien de LR, du PS, de la plupart des élus LIOT. Le RN, EELV et le PCF se sont abstenus. A noter également que le 8 novembre 2023, le commissaire européen Thierry Breton a annoncé le lancement d’une identité électronique dans l’Union européenne.
Une loi décriée
Vertement critiqué par les souverainistes, par une partie de la gauche et par certains députés du RN, le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique (SREN) a été épinglé par Florian Philippot, président du parti souverainiste Les Patriotes. Depuis plusieurs mois, il tire la sonnette d’alarme et avertit les Français que la loi SREN va imposer l'identité numérique[2]. Qualifiée de « véritable danger pour nos libertés » par Nicolas Dupont-Aignant, cette loi va instituer une traçabilité de tous les citoyens en liant l’identité numérique et bientôt l’euro numérique, avec la possibilité pour les gouvernements de bloquer à terme les dépenses individuelles, par exemple pour limiter la consommation énergétique ou les déplacements (pass carbone)[3]. Sous couvert de bonnes intentions et de protection des internautes, la censure arbitraire et généralisée des contenus mis en ligne sur Internet va désormais constituer une véritable chape de plomb et la porte d’entrée au crédit social à la chinoise. Par ailleurs, le renforcement des pouvoirs donnés à l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), une autorité administrative, mais aussi aux géants du Net - les GAFAM - au détriment de l’autorité judiciaire, pose problème.
La France insoumise, pour sa part, a estimé que le gouvernement installait par ce biais "les outils pratiques d'un contrôle social de masse" (Ségolène Amiot). LFI saisira le Conseil constitutionnel après l'adoption de la loi en commission mixte paritaire (CMP) en décembre prochain. Le projet de loi avait déjà été approuvé à l'unanimité au Sénat en juillet 2023.
Les médias français ont généralement choisi d’occulter ce sujet pourtant crucial, sujet qui a été également peu débattu par l'opposition au Parlement français. Il s’agit pourtant d’un « remake » de la fameuse loi Avia (du nom de la députée Laetitia Avia)[4] déjà jugée anticonstitutionnelle.
La loi SREN : un avatar de la loi Avia déjà jugée anticonstitutionnelle
Promulguée en juin 2020, la loi Avia visait officiellement à contrôler « les contenus haineux » sur Internet. Elle obligeait les réseaux sociaux et les moteurs de recherche à retirer dans un délai de 24 heures les contenus « manifestement » illicites après signalement, et même après seulement une heure si le signalement émanait de la police. Elle prévoyait pour ce faire la création d’un « observatoire chargé du suivi et de l’analyse de l’évolution des contenus haineux, en lien avec les opérateurs, associations et chercheurs concernés ». A l’époque, les sénateurs de l'opposition avaient saisi le Conseil constitutionnel. Cette institution avait jugé que certaines dispositions portaient atteinte de manière disproportionnée, inadaptée et inutile à la liberté d'expression et comportaient un risque de sur-censure de la part des plateformes. Le texte avait ainsi été jugé contraire à la Constitution française et retoqué.
Le Conseil constitutionnel a notamment considéré que la détermination du caractère illicite des contenus terroristes ou pédopornographiques, ne reposait pas sur leur caractère manifeste mais que celle-ci était dans la loi Avia, « soumise à la seule appréciation de l'administration, le délai laissé à l'opérateur pour s'exécuter ne lui permettant pas d'obtenir une décision du juge »[5]. La censure au lieu d’être judiciaire devenait ainsi administrative.
Le Digital Service Act européen
Cependant, loin de s’avouer vaincus et faisant fi des institutions nationales, les promoteurs de la loi Avia ont porté leur projet devant la Commission européenne. C’est ainsi que la fameuse loi a été entièrement absorbée avec ces dispositions anticonstitutionnelles dans le DSA (Digital Services Act) ou cadre législatif général relatif aux services numériques - un ensemble de directives européennes sur le commerce numérique qui, parce que le commerce est désormais une compétence exclusive de l’UE, s’impose au droit national français, et contourne ainsi la décision du Conseil constitutionnel[6].
Le DSA, soutenu par le commissaire européen Thierry Breton, impose une férule de l’UE sur les réseaux sociaux en posant de nouvelles obligations pour les plateformes qui ont plus de 45 millions d’utilisateurs. Il est entré en vigueur le 25 août 2023 dans l’Union européenne. Les grandes plateformes digitales telles que Google, Facebook, X (ex-Twitter) ou TikTok, sont désormais obligées de censurer les contenus jugés illicites ainsi que les « fake news » avec tout ce que cela peut comporter de subjectif. La pilule est enrobée sous le prétexte qu’il faut « agir davantage contre les contenus illicites » sur Internet. En cas de non-respect du DSA, les amendes sont dissuasives, incitant ainsi les plateformes à anticiper et à censurer encore plus tout contenu en amont. Il s’agit en effet d’amendes allant jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires, voire, en cas de récidive, à la fermeture totale de leurs services sur le territoire de l’UE. Il est intéressant de savoir que Thierry Breton a été le PDG de la société ATOS spécialisée dans les QR codes de 2009 à 2019[7].
Les opposants au DSA dénoncent le caractère arbitraire de la censure hors de tout cadre scientifique, telle qu’elle va être mise en œuvre par le biais d’une multitude de nouveaux « vérificateurs de la vérité » et autres « signaleurs de confiance », qui seront employés par l’UE et qui auront un pouvoir démesuré.
Florian Philippot fait notamment observer qu’en cas de crise, la censure sera activable directement depuis l’Exécutif européen par le biais d’un mécanisme de réaction aux crises. Dans les crises climatiques, sécuritaires et sanitaires, il est prévisible que la censure, actionnée depuis Bruxelles, battra son plein, afin de faire régner un nouvel « ordre public numérique ».
La loi SREN, un coup de poignard dans le flanc des détracteurs du politiquement correct
Pire que la loi Avia en matière d’envergure de la censure, la loi SREN est non seulement le résultat de la transposition dans le droit français du DSA, mais aussi l’expression de la volonté du gouvernement de donner un tour de vis à Internet qui échappe partiellement à son contrôle. Elle serait le prétexte pour imposer une fois pour toutes une identité numérique d’Etat à tous les citoyens. Un article publié par Konbini estime que le projet de loi SREN pourrait détruire les libertés fondamentales d’Internet[8]. Et ce, sans parvenir aucunement à réguler les dérives sur Internet et à renforcer la protection de ses utilisateurs, surtout des mineurs. En effet, le gouvernement n’ignore pas que des mesures similaires de filtrage et de vérification d’identité sur Internet, déjà tentées par le Royaume-Uni et l’Australie, ont échoué en 2019 par impossibilité technique de les appliquer. La loi SREN ne serait donc qu’un prétexte.
Un article très intéressant de La Quadrature du cercle du 12 septembre 2023 intitulé : « Projet de loi SREN : le gouvernement sourd à la réalité d’internet », souligne qu’« en voulant instaurer une censure autoritaire et extra-judiciaire, en voulant mettre fin à l’anonymat en ligne et en répétant les erreurs déjà commises avec la loi Avia, le gouvernement fait une nouvelle fois fausse route »[9].
La loi SREN vise en effet à mettre fin à l’anonymat en ligne sous couvert de protéger l’exposition des personnes mineures aux sites de pornographie (articles 1er et 2). Cette disposition va de fait imposer l’utilisation d’une identité numérique et une censure administrative qui supplantera la censure judiciaire, le juge ne faisant que vérifier la légalité de la mesure.
Par le biais de la loi SREN, le gouvernement vise notamment à bloquer des sites web directement dans le navigateur. L’article 6 oblige notamment les développeurs à installer une fonctionnalité technique qui permettra cela. Cet article est particulièrement contesté par les créateurs de navigateurs qui dénoncent par exemple le fait que cette loi renverse non seulement « des décennies de normes établies en matière de modération des contenus », mais qu’elle va « fournir également aux gouvernements autoritaires un moyen de minimiser l’efficacité des outils qui peuvent être utilisés pour contourner la censure »[10].
A cet égard, la loi prévoyait l’interdiction des VPN (réseaux privés virtuels), qui permettent, en effet, de contourner la censure déjà existante partout dans l’UE. Pour rappel en France, des plateformes telles que Rumble, ont dû cesser leur activité en raison du bannissement de chaînes russes, à l’instar de la Chine, où de nombreux réseaux sociaux sont bannis. Il est intéressant de voir le journal Le Monde taxer Rumble de plateforme de « l’ultradroite », mettant ainsi en lumière la subjectivité et la partialité des censeurs. Le projet d’interdiction des VPN (amendement porté par le député Renaissance Mounir Belhamiti et signé par d’autres élus de la majorité), a finalement été abandonné après avoir soulevé un tollé[11].
Par ailleurs, la loi SREN est présentée aux parlementaires comme un moyen de lutte contre la fraude, alors que de nombreux outils de protection existent déjà contre des logiciels malveillants et contre l’hameçonnage (phishing). Selon un article publié sur le blog de Mozilla, les mesures prévues par cette loi telles que l’imposition par le gouvernement de listes de blocages, auraient pour résultat « d’instaurer un précédent inquiétant et des capacités techniques que d’autres régimes exploiteront à des fins bien plus néfastes ». Celui-ci conclut que « cette mesure qui vise à bloquer des sites web directement dans le navigateur serait un désastre pour un Internet libre et serait disproportionnée par rapport aux objectifs du projet de loi ».
Ainsi, la loi SREN, sous couvert de lutte contre les contenus nocifs et contre la fraude, va inévitablement mettre les lanceurs d’alerte sur la sellette et écraser toute possibilité pour les internautes de contester la vérité proclamée. Des idéologies wokistes, telles que la sexualisation des enfants, ne pourront plus être remises en question sur les réseaux sociaux dans le pays. Mais il pourrait certainement en être de même en ce qui concerne des scandales de corruption par exemple. Comme le résume bien Florian Philippot, la loi SREN ouvre la porte au règne de l’arbitraire, ce qui pourrait conduire in fine à l’instauration d’une tyrannie numérique.
Une loi qui rappelle étrangement la censure des réseaux sociaux par le Parti communiste chinois
Cette loi se fonde sur volonté de lutter « contre la haine, la manipulation et la désinformation », qui sont autant de notions non-juridiques et subjectives et qui dépendent de « celui qui chapeaute la loi ».
Dans un article intitulé : « L’internet en Chine, entre Etat et opinion publique »[12], l’universitaire Giuseppe Richeri, expert des médias chinois, explique qu’en 2017, les règles concernant Internet ont été codifiées sous forme de loi selon la volonté de Xi Jinping, toujours au motif louable de protéger les internautes. Désormais, « dans la loi sont indiqués les contenus qui ne peuvent circuler sur Internet et qui doivent être censurés au travers d’une série de mécanismes automatiques, mais aussi au travers de la collaboration directe des entreprises qui offrent des services via les réseaux. Ces dernières sont tenues à ne pas donner accès aux sites à qui ne respectent pas les règles et à les dénoncer aux autorités. La même chose se produit pour le courrier électronique : les messages qui contiennent des contenus considérés comme « dangereux » du point de vue politique, violents, ou pornographiques, ou d’un autre type sont bloqués automatiquement grâce à des applications logicielles spécifiques et les fournisseurs de services doivent indiquer l’identité des personnes qui les leur ont transmis ». C’est ainsi que Facebook, Twitter(X), Netflix etc, qui n’ont pas accepté ces règles liberticides, n’ont pu entrer en Chine.
Manifestement, l’exemple de la Chine communiste semble séduire nos dirigeants européens avec quelques années de retard et cette fâcheuse tendance est fort regrettable. C’est pourquoi afin de sauver ce qu’il leur reste de libertés individuelles et d’esprit critique, les Français seraient, à cet égard, bien inspirés de regarder outre-Atlantique, où un projet de loi sur la protection de la liberté d’expression (le Free Speech Act) a été déposé par les sénateurs républicains Rand Paul et Jim Jordan, à partir du constat selon lequel la censure constitue désormais de nos jours une menace majeure[13].
« Les Américains sont des gens libres et nous ne prenons pas à la légère les atteintes à nos libertés. Le temps est venu de résister et de récupérer le droit à la liberté d’expression que Dieu nous a donné », a déclaré Paul Rand à cet égard. "En vertu de ma loi sur la protection de la liberté d'expression, le gouvernement ne pourra plus se cacher derrière le secret pour porter atteinte aux droits des Américains liés au premier amendement [de la Constitution ]."
Les libertés fondamentales des Français mériteraient aussi plus que jamais, d’être défendues par une nouvelle loi en faveur de la liberté d’expression. Le public saura-t -il enfin mesurer l’ampleur de ce défi ?
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000047533100/
[2] https://www.youtube.com/watch?v=Ow67nljG2V4
[3] https://twitter.com/dupontaignan/status/1714319341280243868
[4] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042031970
[5] https://www.vie-publique.fr/loi/268070-loi-avia-lutte-contre-les-contenus-haineux-sur-internet
[6] https://www.youtube.com/watch?v=F5VI4U64lZc
[7] https://www.liberation.fr/checknews/2020/09/23/edouard-philippe-chez-atos-la-haute-autorite-pour-la-transparence-est-elle-vraiment-favorable_1800071/
[8] https://www.24matins.fr/vpn-la-majorite-abandonne-lamendement-visant-a-les-interdire-1364026
[9] https://www.laquadrature.net/2023/09/12/projet-de-loi-sren-le-gouvernement-sourd-a-la-realite-dinternet/
[10] https://blog.mozilla.org/netpolicy/2023/06/27/francaise-bloquer-sites/
[11] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/02/rumble-une-plate-forme-de-videos-non-moderee-est-bloquee-en-france_6148205_4408996.html
[12] https://www.cairn.info/publications-de-Guseppe-Richeri--687621.htm
[13] https://judiciary.house.gov/media/press-releases/chairman-jordan-senator-paul-fight-protect-americans-first-amendment-rights