J’ai emprunté une partie du titre de ma chronique à un film québécois de 1986, non pas pour relater le déclin de l’Amérique dans le monde, mais plutôt pour m’intéresser à l’affaiblissement de sa vitalité interne. Quant à Statler et Waldorf, il s’agit de deux marionnettes du Muppet Show, deux vieillards acariâtres au balcon.
Pourquoi ce rapprochement ? Parce que toute démocratie est liée aux hommes qui la font vivre.
La République Romaine débuta par des hommes d’exception (Cincinnatus, Mucius Scaevola…) avant de se faire Empire, avec cependant le projet de perpétuer les vertus romaines. L’Empire sombra cependant lentement, sali par les excès d’hommes tels que Tibère, dans sa vieillesse débauchée, l’extravagant Caligula, les infâmes et sanguinaires Néron, Domitien et Commode, sans parler de l’imbécile Claude, du crapuleux et cruel Vitellius et de l’atroce Héliogabale.
Il semblerait que les Etats-Unis d’Amérique, devenus Empire après 1945, prennent le même chemin, succombant à leur tour à la faillite morale qui fut le fléau de la civilisation romaine.
Les prochaines élections présidentielles américaines s’annoncent comme particulièrement éclairantes sur ce point avec deux personnages qui illustrent la faillite du système démocratique américain, au point que je serais bien embarrassé si j’étais citoyen américain de savoir pour qui voter.
Il ne s’agit pas tant d’une critique sur le fond de la politique menée. Donald Trump a curieusement été plutôt un bon président pour le reste du monde : en négociateur brutal, il a mis un coup d’arrêt à la montée de la Chine et a su avec les accords d’Abraham faire avancer la paix au Proche-Orient. Ses résultats économiques ont également été plutôt bons. De la même manière, Biden a plutôt collectionné les erreurs en politique étrangère mais il a apaisé la scène internationale et a bien géré l’économie.
Le problème est ailleurs.
Trump incarne à la perfection le caractère détestable de la politique moderne : de l’argent, beaucoup d’argent ; de la vulgarité, beaucoup de vulgarité ; des mensonges, beaucoup de mensonges. Poursuivi pour avoir commis un crime d’insurrection en ayant appelé ses partisans à prendre d’assaut le Capitole, il a été progressivement lâché par un grand nombre de ses soutiens qui ont révélé ses turpitudes fiscales, ses mensonges grossiers sur le fait que les élections de 2020 aient été truquées pour le faire perdre, ses crises nerveuses et son égocentrisme qui font douter de sa capacité à présider convenablement le pays.
Il a pourtant écrasé le match des primaires républicaines, obligeant Mark Spence à abandonner. Quant à Ron DeSantis, le rival outsider de Trump, il tenait à peu près le même discours, le charisme en moins, et a lui aussi été englouti.
Comment donner le pouvoir suprême à une personnage aussi déséquilibré ?
En face, on pourrait se rassurer en disant qu’il y a Joe Biden, 80 ans, candidat naturel des Démocrates. Dans ce match, il incarne la vieille Amérique à l’ancienne, sage et traditionnelle. Néanmoins, il est permis aussi de douter sur ses capacités à conduire le pays à un âge aussi avancé. On pourrait même, en relevant le nombre de ses bourdes, s’interroger sur ses capacités cognitives. Qu’on en juge : en 2010, selon le Time, lors d'une célébration de la Saint-Patrick à la Maison Blanche, Joe Biden (alors vice-président) avait pleuré la mort de la mère du Premier ministre irlandais alors qu'elle était vivante ; le président américain a confondu en 2022 la guerre en Ukraine avec la guerre d’Irak et prétendu que son fils était mort là-bas (Beau Biden, fils de Joe, n’est absolument pas mort en combattant dans le Golfe mais d’un cancer du cerveau dans un hôpital du Maryland en 2015) ; il avait aussi dans un autre discours confondu l’Ukraine et l’Iran ; Plus récemment, Joe Biden s’est illustré en lisant sur prompteur tout le texte, y compris les instructions intercalées à son attention pour le prononcé, sans paraître s’en apercevoir ou en concluant un discours consacré à la lutte contre la violence par armes à feu par un vibrant « God Save the Queen » en 2023.
Comment donner le pouvoir suprême à un homme qui semble sénile ?
Plus grave, il flotte dans l’entourage proche de Biden un soupçon de corruption, qui rappelle les sulfureuses années Clinton. Hunter Biden, le fils de Joe, est impliqué dans des affaires de corruption en Ukraine et en Chine, où il aurait reçu 20 millions de dollars de la part de sociétés écrans dans les deux pays, alors que son père était vice-président. Outre le fait d’avoir échappé à l’impôt en 2017-2018, Hunter a été alcoolique et toxicomane, et éclaboussé par des images compromettantes, dévoilées par la fuite de son disque dur en 2019, telles que des preuves de transaction douteuses, des vidéos d’ébats sexuels et de consommation de drogues. Voilà qui rappelle le Monicagate, en pire.
Pourtant Hunter Biden conserve une grande influence sur son père président.
D’après une enquête de CNN, près de la moitié des électeurs inscrits déclarent que « tout candidat républicain à la présidentielle serait un meilleur choix que Biden en 2024 ». Pourtant, il n’y a nul espoir de nouvelle génération : aucun des ambitieux qui rêvaient de perturber le match n’a réussi à percer. Quant à Robert Kennedy JR - une autre grande famille patricienne - il se présentera en indépendant, et non en démocrate, avec cependant des idées qui ne relèveront pas le niveau : militant anti-vaccination, conspirationniste (les gouvernements aiment le covid car ils peuvent contrôler les peuples), comparaison entre passe vaccinal et nazisme…
Ce qui frappe dans ce tableau désolant, c’est l’air de déjà-vu. Tous les évènements, personnages, scandales sonnent comme une réédition du passé, un peu comme si l’Histoire s’était d’abord produite une première fois, comme un drame, puis désormais une seconde, comme une pathétique comédie.
Premier effet de répétition : les candidats. Alors que le mandat de quatre ans est censé permettre un turn-over important des candidats, force est de constater que de 1990 à 2020, la démocratie américaine a été dominée par deux grande dynasties patriciennes - les Bush et les Clinton - chaque élection étant l’occasion de les voir s’affronter directement ou indirectement. Trente années, c’est long, et lorsque le cycle semble s’être achevé avec la disqualification d’Hillary Clinton, détestée jusque dans son propre parti, voici un second cycle répétitif qui s’est mis en place, en pire, avec un mano a mano Trump - Biden en 2020 comme en 2024.
Trump, c’est la brutalité un peu simplette de Bush Jr avec l’absence totale de tabou. Biden, c’est le côté lisse et propret de Bill Clinton, sans le charisme. Les deux candidats de 2024 reproduisent l’éternel combat de l’Amérique des campagnes et des rednecks contre l’Amérique des villes et des élites, mais avec le poids des années sur les épaules. Déjà en 2020, à respectivement 77 et 74 ans, Biden et Trump étaient les deux plus vieux candidats démocrate et républicain à la présidence dans l'histoire américaine. Quatre ans plus tard, cela ne s’est pas arrangé.
Second effet de répétition : le détraquage de la machine électorale. On se souvient qu’en 2000, il fut impossible de déclarer qui d’Al Gore ou de Georges Bush avait remporté l’élection, obligeant la Cour suprême, profondément divisée par une décision prise à la majorité de ses membres 5 voix contre 4, à clore le scrutin et proclamer l'élection de George W. Bush en tant que président. Le juge Stevens, minoritaire, fit cette analyse dans un dictum resté célèbre : « Nous ne saurons sans doute jamais avec certitude l'identité du vainqueur de l'élection présidentielle de cette année. Mais l'identité du perdant ne fait aucun doute. Il s'agit de la confiance portée par notre Nation au juge en tant que gardien impartial de l'État de droit ».
En 2020, s’est rejoué, en pire, le scénario de 2000 : Trump a refusé de concéder sa défaite, portant des accusations de fraude électorale sur le vote par correspondance, et l’affaire dérapera le 6 janvier 2021 avec la prise d’assaut par les supporters de Trump du Capitole et la mort de 5 personnes.
On ne peut que redouter le décompte des voix en 2024…
Troisième effet de répétition : l’usage des armes constitutionnelles et judiciaires pour revenir sur le résultat des votes. Bill Clinton avait en son temps été menacé (1998) pour avoir menti sous serment à propos du Monicagate, une affaire de mœurs. Georges Bush Jr, président mal-aimé, fut la cible plus sérieuse d’une procédure d’impeachment, en raison de ses mensonges sur l’Irak et la controverse du programme de surveillance électronique des citoyens américains par la NSA (2008). Obama fut menacé d’une procédure similaire, sous des qualificatifs d’accusation fantaisistes (2013). Donald Trump fut également la cible d’une telle procédure à la suite du Russiagate (2019).
Aujourd’hui, la scène politique est devenue un champ de tir et le recours aux juges, une habitude, au point que chacun des deux candidats de 2024 ont leur épée de Damoclès : Les Républicains ont mis en place une commission de la Chambre afin d'ouvrir une enquête formelle en destitution. Joe Biden est accusé d'avoir "menti" au peuple américain sur son implication dans les affaires de son fils, Hunter Biden, à l'étranger.
L'ancien président américain Trump est quant à lui sous le coup d’une procédure fédérale avec quatre chefs d’accusation, dans l’enquête menée par le procureur spécial Jack Smith sur les élections de 2020 ("complot à l'encontre de l'État américain", "atteinte aux droits électoraux", "complot" et "entrave à une procédure officielle"). Il est également poursuivi pour des motifs similaires en Géorgie, pour des soupçons de tentatives d'inverser les résultats de la présidentielle de 2020 dans cet État. Il est aussi Inculpé pour avoir conservé des documents présidentiels confidentiels et, au tribunal de Manhattan, à New York, inculpé, de 34 chefs d’accusation dans le cadre de l’affaire le liant à l'actrice et réalisatrice de films pornographiques Stephanie Clifford (mieux connue sous le nom de Stormy Daniels).
Que les rênes de la première puissance mondiale soit l’objet d’un énième remake des présidentielles précédentes avec en guest stars deux vieillards aux capacités cognitives soit altérées, soit confuses, et à la moralité en partie questionnée, devrait faire peur au monde. Le crépuscule de la démocratie américaine semble être amorcé, alors que le monde n’a jamais eu autant besoin d’un Roosevelt ou un Eisenhower.