Des migrants africains du Niger se préparent à monter à bord des bus alors qu'ils sont rapatriés vers leur pays par les autorités algériennes le 2 juillet 2018 dans un centre de transit pour migrants à Tamanrasset, dans le sud de l'Algérie. Les groupes de défense des droits estiment que près de 100 000 migrants subsahariens sont entrés en Algérie ces dernières années. Photo de RYAD KRAMDI / AFP.
Le 26 août 2023, le gouvernement putschiste du Niger a expulsé du pays les ambassadeurs de France, Sylvain Itte, et ceux d'Allemagne et des États-Unis. Cette décision a marqué un nouveau tournant anti-français et anti-occidental au Niger. Notre chroniqueur revient sur le destin des pays du Sahel en général et du Niger en particulier, pays riche en uranium si stratégique pour Paris, pris en tenailles entre appétits russes, néo-colonialisme français supposé, et convoitises de la part du géant africain nigérian voisin…
Ensuite, il y a le rôle économique et coopératif peut-être plus réaliste, en Afrique, des Chinois, qui, comme on le sait, remplacent à leur tour, progressivement, l'ancien régime ex-soviétique, en influençant économiquement de nombreux États africains, allant jusqu'à la région centrale de l'Afrique. Puis il y a des inquiétudes compréhensibles exprimées par le président algérien Abdelmadjid Tebboune sur un possible conflit au Niger.
Le risque de migration massive et non contrôlable vers l'Afrique du Nord et l'Europe
Le président algérien ne craint pas seulement, à juste titre, une guerre à la frontière de plus de mille kilomètres entre son pays et le Niger. Il redoute également ce qui serait un véritable tsunami de crise migratoire massive, lequel menace l'Afrique du Nord et l'Europe.
Or vis-à-vis de la junte militaire nigérienne, Vladimir Poutine pourrait utiliser une méthode qui a déjà été testée ces dernières années aux frontières entre la Pologne et la Biélorussie, visant à canaliser massivement les migrants vers les frontières européennes, à travers le Sahara, le désert situé au nord du Sahel du Niger.
Le mot Sahel signifie en effet bord et il indique la limite qui délimite le désert du Sahara au sud. De plus, le Niger est d’ores et déjà la source du flux migratoire le plus important et le plus complexe en provenance des pays subsahéliens. Cette stratégie de déstabilisation pourrait être astucieusement exploitée, surtout si l'on tient compte du contrôle russe sur la moitié de la Libye. En pratique, la Libye et l'Algérie risquent d'être submergées par une avancée massive et insoutenable des réfugiés du Niger. Ce ne sont pas seulement des réfugiés issus d'une défaillance de l'État du Niger, ou fuyant une éventuelle guerre entre le pays du Niger et la CEDEAO/Ecowas, mais surtout de réfugiés qui se concentrent au Niger mais qui viennent de toute l'Afrique centrale.
Le terrorisme djihadiste extrémiste est aussi le fruit des sécheresses, des famines, des épidémies, et des micro-conflits locaux. Cette multitude de réfugiés se déplace constamment, opprimée et souffrante, à travers le Sahara et vers le nord en direction de l’Eldorado européen supposé. Le président algérien a également évoqué le problème susmentionné de l'effondrement possible du Niger, en tant qu'entité étatique autonome, avec la création aberrante, qui en résulterait, d'un nouvel État djihadiste extrémiste, d'une part, et la naissance, comme cela s'est produit en Libye, de deux États du Niger, un pro-russe et un pro-occidental, avec des conséquences dévastatrices et un effet domino sur la région.
Le problème des contingents militaires étrangers
Le chaos migratoire s'accompagne d'un problème tout aussi grave du point de vue de la sécurité militaire régionale : que feront les 1500 soldats français encore présents au Niger, vont-ils quitter le pays comme le font les 350 soldats italiens de la mission de coopération présents au Niger, présents jusqu’à peu et très rapidement évacués après le putsch ? Et qu'adviendra-t-il de la base des drones américaines au nord du Niger puis du millier de soldats américains encore présents dans le pays ? L'ambassadrice américaine Nuland aura certainement traité de la question lors de sa confrontation diplomatique avec la junte putschiste.
Et parallèlement, qu'adviendra-t-il des nombreux techniciens et experts d'Europe de l'Ouest encore présents au Niger et dont le sort est incertain ?
Quel effet aura la présence de miliciens russes et de conseillers et contingents militaires russes à l’entrée ? Parmi les conséquences envisageables figure un « effet Syrie », ou similaire à l'intersection très étrange et presque absurde de présences conjointes contradictoires en Syrie : des contingents militaires américains, russes, turcs…
Une autre comparaison pourrait être faite avec la guerre du Golfe de 1991 et avec la présence militaire américaine gardant les champs pétrolifères koweïtiens près de l'Irak.
En fait une alliance militaire est envisagée qui existe déjà, entre le Mali, le Niger et le Burkina-Faso et le Soudan…, les quatre États putschistes pro-russes, qui ont créé une ceinture d'États pro-russes qui contrôle désormais la région prés de le Niger et qu’il est antagoniste directement aux États pro-occidentaux de la CEDEAO Ecowas, tels que le Nigéria, la Côte d'Ivoire, la Gambie, le Ghana, le Sénégal…
Le jeu dangereux autour de l'uranium du Niger
Personne n'ose le dire, mais l'uranium du Niger qui alimente en partie les besoins des centrales nucléaires françaises et d’autres pays risque de tomber entre de très mauvaises mains... Il pourrait en effet, on ne peut l'exclure, être utilisé par les Russes, non seulement pour répondre aux besoins nucléaires civils russes, mais aussi et surtout pour soutenir la menace nucléaire militaire russe envers l'Europe. L'uranium est une ressource fondamentale pour une Russie qui se concentre sur la menace atomique avec des missiles SS300 en Biélorussie, ses missiles Poséidon et ses Sarmat à tête nucléaire.
L'uranium du Niger ce n'est donc pas seulement un problème d'efficacité énergétique de la France, qui fonde en grand partie ses ressources électriques sur le nucléaire, mais c'est aussi un problème militaire, étant donné que personne, pas même les Nations Unies, ne pourrait imposer à la seconde puissance nucléaire mondiale, de ne pas utiliser l'uranium nigérien dans le cadre de ce que le président biélorusse Loukachenko appelle lui-même ” l'horizon d'éventuelles explosions nucléaires".
Les ethnies et les cultures du Niger à travers l'histoire
Le Niger est depuis de nombreux siècles un pays uni, fort et même central dans l'histoire de l'Afrique. Ce n’est qu'en 1898 qu'il perdit son indépendance - et pour moins d'un siècle seulement- jusqu'en 1960. Rappelons qu’en 700 et 1800, encore, le Niger était indépendant et non colonisé et qu’il avait sa propre dignité de pays africain souverain. Aussi la brièveté de la colonisation française et l'intensité de l'exploitation coloniale et postcoloniale du pays expliquent en fait en partie la haine anti-française généralisée actuelle. Rappelons que le royaume indépendant de Samori Tourè, appartenant à un peuple du groupe Mandé, qui comprenait une partie du Niger actuel, régna en antagonisme direct avec l'expansion coloniale française et occidentale, en 1800. Peu en Occident se souviennent que la capitale historique du Niger n'est pas la capitale actuelle, Niamey, née seulement en 1800, comme capitale d’une coloniale, mais l'ancienne ville de Zinder. Le Niger faisait alors partie de l'empire endo-africain du Kanem Bornu, depuis le Moyen Âge. La civilisation islamique s'y était propagée via les populations nomades du Niger, à travers les confréries des Quadiryya. À partir du seizième siècle, les sultans de Zinder et de Sokoto contrôlaient la région. L'ethnie historiquement la plus importante et liée au sultanat médiéval, est celle des Haoussa. Dans le cadre de ce sultanat haoussa, le Niger atteint entre 1700 et 1800 une richesse extraordinaire, grâce notamment au commerce de l'or, des matières premières, ceci bien avant le commerce actuel de l'uranium. L’époque des Haoussa ne subsiste aujourd'hui que dans la mémoire historique transmise oralement, une mémoire typique des peuples africains, même si l'ethnie haoussa reste essentielle au Niger encore aujourd’hui. D’autre part, il est vrai que l'aspect négatif de l'ancien commerce du Niger était celui de l’esclavage, qui ne tarda pas à être exploité par les Européens et les Nord-Américains. Aujourd’hui, l'esclavage n'est pas encore complètement éradiqué au Niger, et il reste comme un triste héritage du passé d'une forme inhumaine de commerce déloyal.
Outre les Haoussa, les groupes ethniques du Niger sont aujourd’hui les Touaregs, qui ont développé une culture autonome (également en termes de musique), et les Djerma Songhaï, les Kanuri, les Boudouma, les Peuls, les Tebu et les Arabes du Niger. Donc le pays fait vivre sur le même sol de nombreuses ethnies, ceci sur un total de 24 millions d'habitants répartis sur un territoire aussi vaste que complexe, qui va des confins forestiers au Sahara au nord, jusqu'à l'immense réserve naturelle du W du Niger, ainsi appelée depuis en forme de W, qui suit le cours du fleuve Niger, réserve située à la frontière avec le Bénin. Éleveurs et agriculteurs y cohabitent dans un ensemble qui, sans les manipulations venues de l'extérieur, serait continuel et équilibré.
En guise de conclusion
Si l'on considère que depuis l'indépendance du Niger, il y a eu de nombreux coups d'Etat et juntes paramilitaires et que même le président nouvellement déchu, Bazoum, a subi trois tentatives de coup d'Etat, on comprend comment l'État Islamique du Grand Sahara EIGS, quartier général des djihadistes, a pu profiter grandement de la crise au Niger, comme l'a démontré l'attentat au Mali, qui a eu lieu récemment, contre l’armée malienne. La longue vague de réfugiés alors désireux de partir vers l’Europe, en provenance du Niger, est à son tour chassée par des terroristes extrémistes, dont la geste violente et prédatrice rappelle les incursions de pirates et barbares venus d’Afrique du Nord au temps de l'Europe méditerranéenne médiévale. Cette violence, qui monte de l'hémisphère sud, risque de rejoindre, tôt ou tard, la violence de l'est, qui vient de la guerre d'Ukraine, donc d'Europe de l'Est. L'Europe elle-même et la France se trouveront au centre et pris en tenaille entre ces deux menaces venues du sud et de l'est, dans les années à venir.
C’est précisément pour cette raison qu’il ne faut pas abandonner ou négliger le Sahel, le Niger et l'Afrique centrale. Notre action peut être décisive pour prévenir de futures catastrophes militaires, migratoires et humanitaires et des guerres en Europe. Maintenant, les pays de la CEDEAO, en particulier le Nigéria, le Bénin et la Côte d'Ivoire, se préparent, à la suite d’une autre réunion du CEDEAO, à une action militaire. Le Nigéria dispose d'une armée forte et la Côte d'Ivoire a mis en place un contingent militaire ad hoc, tandis que le Bénin dispose d'un important débouché sur la mer, que le Niger n'a pas et qui est décisif pour son économie.
La France soutient avec Macron l’éventuel effort militaire de la CEDEAO, mais elle souhaite ainsi surtout défendre les mines d'uranium, confrontée qu’elle est au paradoxe de devoir agir à nouveau soit directement comme une puissance militaire coloniale, soit indirectement avec le CEDEAO.
Ceux qui pourraient finalement bénéficier le plus d'une guerre de ce type seront certainement les djihadistes du sud du Niger, et le Nigéria qui, en plus de s'accréditer comme la nouvelle puissance militaire et économique de l'Afrique centrale, pourrait venir briguer des intérêts territoriaux au Niger... Un tel revers pour la junte nigérienne pro-Moscou verrait les Russes contraints de perdre leur but de projeter la Grande Russie africaine” réduits à l'échec de voir naître un Grand Nigéria centrafricain… L'Afrique est donc en pleine mutation, mais on ne sait pas si et comment l'Afrique sera vraiment contrôlée par les Africains.