Accueil recherche MENU

Les Enquêtes exclusives du Dialogue

Enquête : Yacoub Sidya, la grande traque … [ 1 - 3 ]

Le Dialogue

Les troupes sahraouies défilent lors des célébrations marquant le 45e anniversaire de la déclaration de la République arabe sahraouie démocratique (SDAR), près de la ville de Tindouf, dans le sud-ouest de l'Algérie, le 27 février 2021. Photo : RYAD KRAMDI / AFP.

 

Activités criminelles, détournement des sanctions et appui à des groupes armés ainsi qu’au leadership du Polisario : comment un entrepreneur mauritanien millionnaire et un oligarque russe déchu surfent sur les frontières de la légalité et du crime pour piller l’Afrique en agissant comme des barons locaux. Une enquête en 3 parties, inédite et exclusive pour Le Dialogue, entièrement réalisée en OSINT. Révélations. 

 

Une enquête de Louis Beaumont, Zyad A. (en Espagne) Loubna H. et Boubacar O. (en Mauritanie et BSS) et correspondances particulières.

 

Il y a tous ces satellites de renseignement au-dessus de l’Afrique, des yeux et des oreilles que la France a projeté dans l’espace dédiés au renseignement d’origine électromagnétique (la constellation CERES) mais encore les satellites « optiques » dont Hélios, la constellation Pléiades et récemment CSO : la Composante Spatiale Optique est une série de trois satellites de reconnaissance optique faisant partie du programme d'armement français MUSIS (Multinational Space-based Imaging System). On écoute les ondes, on photographie et on regarde depuis les cieux mais avec des outils militaires, sans oublier la composante humaine, les « OBS » les observateurs ou « capteurs » des différentes unités spécialisés ou régiments de « rens » (renseignement militaire) comme le 13e Régiment de dragons parachutistes : des yeux et oreilles humaines assistés d’outils et capteurs électroniques au sol ou dans les airs (une caméra sous forme de fausse roche, un drone léger...). 

Tout ceci, notamment dans la bande sahélo-saharienne (BSS), permet de lutter contre le terrorisme islamiste, les trafics et parfois même l’immigration illégale. Conduite par les armées françaises, en partenariat avec les pays du G5 Sahel, l’opération Barkhane a été lancée le 1er août 2014. Elle repose sur une approche stratégique fondée sur une logique de partenariat avec les principaux pays de la bande sahélo-saharienne (BSS) : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad. Elle regroupe environ 5 100 militaires dont la mission consiste à lutter contre les groupes armés terroristes et à soutenir les forces armées des pays partenaires afin qu’elles puissent prendre en compte cette menace. Depuis les putsch récents, la donne a changé, mais le renseignement reste la priorité, aussi pour la DGSE, les services extérieurs français qui opèrent en clandestinité pour des opérations ciblés, des exécutions de HVT (cible VIP) ou des opérations de contre-ingérence, même dans le cyber...

Au-delà de tous ces outils, il existe l’OSINT, c’est-à-dire le renseignement en sources ouvertes (open source intelligence) qui pourtant n’a rien de strictement cyber : le terme désigne tout simplement l’exploitation de sources d’information (mais aussi big data) accessibles à tout un chacun (journaux, sites web, conférences…) à des fins de renseignement. Cependant, l’essentiel de ces informations existe désormais sous une forme numérique, et les systèmes informatiques permettent leur découverte et leur traitement de manière automatique et massive. Le renseignement en sources ouvertes est surtout un outil important du monde du renseignement économique et, depuis quelques années, du monde de l’enquête/investigation journalistique. 

C’est ce que nous avons réalisé pour Le Dialogue avec cette première et longue série d’enquêtes très poussées en sources ouvertes. Le potentiel est quasiment illimité, nos cibles sont très souvent bavardes sur les réseaux ou exposent leur business, sociétés, objectifs, pays, relations et interactions entre clients et/ou partenaires. Il suffit de quelques experts, el l’occurrence ici des analystes civils, des reporters, des juristes et des spécialistes en traitement des données. Aucun piratage n’a été nécessaire pour mener cette enquête dont voici l’environnement. 

 

La prochaine frontière

S'il y avait un doute sur la polarisation croissante du monde, l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a définitivement supprimé les moindres de ces doutes. La guerre en Ukraine a ouvert une nouvelle ère de politiques semblables à celles de la guerre Froide, car les pays se sont divisés : les uns en camps occidentaux et les autres en pro-russes, tandis que le Sud global a essayé « de jouer » les deux camps l’un contre l’autre. En effet, des pays comme l'Inde et le Brésil tentent de concilier les exigences occidentales et russes sans s'aliéner l'une ou l'autre, une sorte de diplomatie « marche sur les œufs » que tentent les BRICS depuis peu. 

C'est dans ces moments-là que les alliances traditionnelles sont mises à l'épreuve, que des pactes inavouables émergent et que les acteurs destructeurs montrent leur vrai visage. Les États-Unis et la plupart des pays européens se sont ralliés à l'Ukraine, apportant un soutien international fort à la guerre d'autodéfense menée par Kiev. À l'inverse, des régimes autoritaires comme le Belarus, l'Iran et l'Algérie se sont fermement alliés à la Russie, tandis que la Chine a apporté un certain soutien à Moscou dans les forums internationaux. 

Ces partenariats sont motivés par des intérêts communs qui existaient avant la guerre en Ukraine, mais qui se sont accélérés à cause d'elle. Alors que le monde libre s'efforce de trouver une solution rapide et pacifique à cette guerre, les alliés de la Russie récoltent les fruits du chaos et du conflit. L'Afrique du Nord en particulier est vulnérable à cette dynamique inquiétante. En alimentant la machine de guerre russe, l'Iran a profité des ventes d'armes tout en élargissant sa liste de clients parmi les régimes autoritaires, dont l'Algérie. On a aussi pu voir comment l’Algérie a « militarisé » ses exportations d'énergie pour nuire au Maroc et faire pression sur la France et l’Europe en général. 

Une enquête récente du Middle East Institute à mis en évidence un réseau d'activités claire des violations des sanctions parmi les acteurs dont l'alliance avec la Russie implique un cocktail troublant d’activités criminelles :  transactions d'armes, renforcement des groupes militants locaux et de corruption à grande échelle. Ces personnes et organisations de haut rang se placent résolument dans le camp anti-ukrainien et menacent la stabilité en Afrique du Nord, c’est souvent une alliance de circonstance ou d’opportunité financière, plus que d’idéal politique pro-Russe. 

 

Le Front Polisario, un front criminel

Le Front Polisario, situé dans les camps de Tindouf en Algérie - qui se trouve être le principal soutien du Polisario - en est un exemple flagrant. Formé à l'origine pour établir son propre État dans les territoires contestés du Sahara occidental, le Front Polisario est devenu célèbre en tant que mandataire de l'Iran dans le nord-ouest de l'Afrique et a connu un réchauffement de ses relations avec la Russie. Premier bénéficiaire des contrats d'armement conclus par Moscou avec Alger, qui se poursuivent malgré la guerre en Ukraine, le Polisario reçoit des armes de l'Algérie pour alimenter son arsenal. Des preuves flagrantes ont été montrées dans la presse et à la télévision sur l’implication dans les camps du Polisario d’éléments du Hezbollah et du Hamas, l’un soutenu par l’Iran, l’autre par le Qatar, avec en toile de fond l’organisation terroriste « Frères Musulmans » alias Ikhwan al Muslimin. Dans les sables du Sahara, se mêlent combattants islamistes, banquiers et diplomates arabes, financiers et mécènes, tous marionnettes des états cités plus haut. 

L'enquête que nous avons réalisée (en sources ouvertes, doit-on le rappeler) a révélé les liens clandestins entre les dirigeants du Polisario et des hommes d'affaires russes ainsi que d'autres criminels en col blanc notoires faisant l'objet de sanctions de la part du Trésor américain. Prenons l'exemple de Mouloud Saïd, représentant du Polisario à Washington. Bien qu'il vive et travaille à deux pas du Trésor américain, il entretient des relations d'affaires étroites avec Yacoub Sidya, un homme d'affaires mauritanien tristement célèbre pour avoir enfreint les sanctions, blanchi de l'argent et flirté avec des criminels.

Bien qu'il soit le soi-disant « ambassadeur » du Polisario aux États-Unis, Mouloud Saïd figure sur la liste des directeurs de l'une des sociétés de Yacoub Sidya en Espagne, dont Phoenix Precious Metals. Phoenix a récemment été démasquée pour contrebande illégale d'or, évitant ainsi (aux frontières) les taxes, les douanes et les réglementations destinées à lutter contre le blanchiment d'argent. « Il s'agit probablement d'une société écran créée pour blanchir de l'argent elle est inactive dans le sens qu’il s’agit d’une coquille vide et a fait l'objet de nombreuses accusations de fraude » explique l’un de nos spécialistes qui a participé à l’enquête.  

Pour compliquer encore les choses, Yacoub Sidya est également de mèche avec Alexay Mordashov, récemment sanctionné, propriétaire de Nordgold, une société minière possédant des actifs et des opérations dans le monde entier. Alexay Mordashov fait l'objet de sanctions de la part des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Union européenne, alors que l'autoproclamé « ambassadeur itinérant » aux États-Unis entretient des relations d'affaires avec Mordashov et ses associés. Yacoud Sidya et Alexay Mordashov sont la définition même de « criminels transnationaux en col blanc » avec l’implication de Mouloud Saïd dans le schéma des entreprises financières mutuelles. Cela indique une tendance plus large d'activités criminelles de la part d'organisations militantes alignées sur la Russie. 

En outre, les relations étendues du Polisario avec l'Algérie, la Russie et l'Iran sapent les efforts occidentaux visant à isoler Moscou sur le plan international, tout en donnant à Téhéran un point d'appui aux portes de Rabat, ce qui ne manquera pas de déstabiliser la région. Les résultats catastrophiques de l'Iran en Syrie, au Sud-Liban et au Yémen parlent d'eux-mêmes « un autre mandataire ne fait qu'attiser l'instabilité et déclencher des conflits, ce qui intensifie la migration de l'Afrique du Nord vers l'Europe » analyse notre expert data.