Une larme rouge est peinte sur le visage d'une manifestante lors de la "Marche de solidarité pour l'Iran" à Washington, DC, le 15 octobre 2022. (Photo de Stefani Reynolds / AFP)
Depuis le 12 Septembre, la mort dans des conditions atroces de la Masha Amini, cette jeune kurde iranienne coupable de ne pas avoir respecté le code vestimentaire érigé par la dictature de Téhéran a sécrété un climat de révolte dans tout l’Iran (notamment chez les femmes et chez les jeunes) et, à fort juste titre, déclenché des vagues de protestations et de condamnations à l’échelle de la planète. Témoin, par exemple, le poignant appel de Enzareh Alizeraï, en France quelques jours après l’exécution de deux jeunes manifestants, Moshen Shekari et Majed Rahnavard. Aucun démocrate ne peut rester indifférent à semblable situation…
Mais il faut peut-être évoquer avec prudence le proche avenir. Certains « experts » nous annoncent depuis quelques semaines la disparition très prochaine du régime des mollahs. Un « spécialiste autoproclamé » n’hésitait pas, il y a quelques jours, à proclamer : « le régime va disparaitre avant l’arrivée de l’hiver. ». Il est vrai que ce même expert avait déclaré en Janvier 2022 que « la Russie n’envahirait jamais l’Ukraine », puis, au lendemain du déclenchement des hostilités, affirmé toute honte bue, que la guerre ne durerait que quelques semaines !
Fermons la parenthèse et essayons d’aborder la situation iranienne avec, et ce n’est certes pas facile, un peu de recul.
Ces manifestations de révolte face au régime autocratique installé à Téhéran depuis la chute du Shah ne sont malheureusement pas un fait nouveau. Témoins, par exemple, les spectaculaires troubles de 1999, le « mouvement vert » de 2009 (précurseur du « printemps arabe ») ou les très vives tensions de 2017 et de 2019 …tous férocement réprimées par les « Gardiens de la Révolution ». Y compris, et on l’oublie trop souvent en Europe occidentale (aveuglement ou naïveté ?) lors des présidences assumées par des personnalités jugées comme « modérées ». Présidences qui n’ont rien changé à la donne, tant avec Mohammad Khatami qu’avec l’actuel chef d’ Etat Ibrahim Raïssi. Très contesté par les « pasdarans », ) ce dernier est élu en Mars 2021,est , de facto, jugé comme « modéré » par la communauté internationale. Tout est relatif ! Cet ancien procureur fut proposé naguère comme Ministre du Renseignement par l’ultra radical Ahmadinejad (dont l’objectif majeur était tout simplement de rayer israël de la carte du monde) et chef d' un système judiciaire régulièrement accusé de crimes contre l’humanité par Amnesty International.
Au delà de ces constats relatifs à la spécificité interne de l’Etat iranien, deux facteurs aux conséquences internationales nous paraissent incontournables lorsque l’on privilégie, dans une tentative d ’analyse géopolitique, face aux « variables contemporaines , (certes non négligeables) les « tendances lourdes » liée à la Géographie et à l’Histoire :
1) L’hypothèse du rétablissement d’un « Empire iranien » :
On évoque aujourd’hui, ici ou là, le « retour des Empires ?
Pour certains observateurs, l’empire iranien, ou, si l’on préfère, l’empire perse, serait presque rétabli. Leurs arguments ne sont pas , loin de là, négligeables :
De la Mer Caspienne à la Mer méditerranée, le régime chiite des mollahs a réussi à encercler la seule puissance régionale du Golfe Persique susceptible de contrecarrer ses ambitions impérialistes, l’Arabie Saoudite.sunnite.
De Téhéran au port libre de Tyr, en passant par Bagdad et Damas (axe stratégique névralgique), l’Iran peut apparaitre plus que jamais comme une puissance méditerranéenne majeure, tout en confortant sa présence dans le Golfe persique (cf.son rôle clef dans la gestion des avatars contemporains du Yemen).
Ce type d’analyse était repris, par exemple, en 2017, par Pierre Vaud (Revue Défense nationale), évoquant la lente marche de l’Iran vers un Empire sous régional :
« Organisé en République islamique depuis 1979, l’Iran n’échappe pas à un passé qui est monolithiquement impérial et qui, depuis la civilisation de Jïroft puis du royaume élémite, s’est construit autour de seuls rapports de force et d’expansions territoriales, réussies ou contrariées, au cours des cinquante et un siècles de son histoire ».
2) Et l’hypothèque…nucléaire !
En 2021, nous rappelions l’historique du programme nucléaire iranien (Cf « La mondialisation dangereuse »): … Il a défrayé la chronique internationale en 2002, quand un dissident du régime, Jafarzadeh, annonçait urbi et orbi, preuves à l’appui, que Téhéran avait secrètement construit un site d’enrichissement d’uranium à Natanz. Une déclaration officiellement confirmée par le Président Mahmoud Ahmadinejad, proclamant que l’Iran allait rapidement rejoindre les puissances nucléaires….
Après de multiples palabres et autres gesticulations diplomatiques, le 14 Juillet 2015, un Accord était signé le 14 juillet 2015, à Vienne entre Téhéran et le groupe P5+1 (les membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU et l’Allemagne)
Cet Accord comportait trois volets :
-une limitation du programme nucléaire iranien, pendant au moins dix ans, illustrée concrètement par des modifications technique de la centrale d’Arak lui interdisant la possibilité de produire du plutonium enrichi) :
-un renforcement de contrôles, via le corps des Inspecteurs de l’AIEA ;
-et, en contrepartie, la levée, au moins partielle, des sanctions économiques qui avaient été imposées à l’Iran.
Bien que le rapport de l’AIEA d’Aout 2017 déclarait «que l’Iran tenait ses promesses et respectait ses engagements en renonçant à poursuivre la construction de son réacteur et en maintenant son uranium enrichi sous le seuil exigé des 30 kgs » Trump dénonçait unilatéralement l’Accord en Mai 2018.
Au cours de ces dernières années (illustrées notamment par l’assassinat du père de la bombe atomique iranienne, Fakhrizadeh, en Novembre 2020) Joe Biden a contribué à la reprise des négociations et signé en juin 2021 avec le Président iranien Raïssi, entrainant ici ou là vent d’optimisme ou sévères critiques ( Ce projet a été par exemple qualifié très rapidement « d’accord de dupes » par Tel Aviv).
Aujourd’hui, Beaucoup de spécialistes considèrent que la République islamique d’Iran serait arrivée « au seuil du nucléaire » et serait capable de disposer en quelques semaines d’assez d’uranium enrichi pour avoir « sa » bombe. Une sombre hypothèse qui aurait, nul n’en doute, de très graves conséquences tant au plan régional que mondial.
Pour les Occidentaux, la situation est d’autant plus délicate qu’il s’agit à la fois de poursuivre les négociations et de concrétiser un accord satisfaisant les parties concernées et de dénonçer les exactions commise par le régime des mollahs sur son propre peuple.
Alors ? Un Empire perse doté du nucléaire ? Une perspective singulièrement inquiétante. D’autant que si la Russie réglait ses problèmes internes, on pourrait imaginer dans la région sensu lato une trilogie conflictuelle potentielle, de la Méditerranée au Golfe, en passant par la Mer Noire : un empire iranien (chiite) un empire russe (orthodoxe) et un empire ottoman (sunnite),le rêve de Recip Erdogan. Recip Erdogan, le « Maître des horloges » ? Mais ceci est une toute autre histoire…