C’est aux années soixante-dix du siècle dernier que remonte l’utilisation vigoureuse , par les Frères musulmans, du slogan “L’Islam est la solution” , sur la scène politique et médiatique- politique des pays arabes et musulmans. Il pourrait tirer ses racines à une époque antérieure : la défaite de juin 1967 face à Israël qui, conjuguée au rendement économique et social des révolutions arabes des années cinquante, a frayé la voie à l’apparition de ce slogan comme s’il présentait la solution à des crises chroniques non par leur résorption mais par l’avortement intellectuel de toutes les solutions arabes par des tendances violentes et terroristes. En outre-historiquement parlant- la réforme était la solution adoptée au Moyen-Age européen, qui abritait l’obscurantisme de l’église et les guerres sectaires. L’apparition, au seizième siècle- de Martin Luther King et Jean Calvin constitua un séisme majeur qui ébranla la plus grande institution religieuse européenne comme il a ouvert largement la voie au développement d’autres idées qui concernent la science et la société. La réforme religieuse était concomitante aux prémices de l’apparition de « l’esprit» comme élément déterminant de l’évolution humaine. Plus tard, les premières découvertes scientifiques se sont accumulées pour repérer la position de la planète terre parmi les autres planètes ainsi que la place de l’homme parmi les autres créatures. Tout cela n’aurait jamais eu lieu à moins qu’il ne soit précédé par un prologue qui interprète d’une manière nouvelle la relation de l’homme avec son créateur.
A vrai dire, sortir du Moyen-Age était vraiment difficile. On vit la confusion entre deux termes contradictoires : la révolution et la réforme alors que la première est toujours qualifiée de populaire, radicale et parfois violente avec une forte effusion de sang et la seconde d’éclectique et de graduelle et ne reconnait ni le fait de brûler les étapes ni de faire des bonds. Pourtant, l’expérience historique nous montre souvent que les deux conceptions se recoupent par l’intérêt qu’ils portent au changement et au refus du statu quo basé sur l’immobilisme ou qui est outrepassé par le temps. Dans notre XXIème siècle, l’expérience occidentale de la fin du XVIIIème nous est édifiante. Vers la fin de ce siècle, la révolution américaine a éclaté et a renversé le colonisateur britannique ; et, au terme d’une guerre sanglante, ce fut la naissance des Etats Unis d’Amérique, C’est en cette même période que fut déclenchée la révolution française qui fut plus radicale et a renversé la royauté. Lui succédèrent les guerres napoléoniennes qui causèrent la prolifération de la révolution, de la guerre et de la violence dans le continent européen.
Bien que la passion effrénée du changement dévastât le monde entier, de l’Amérique à l’Europe, ses conséquences ont généré une grave inquiétude en raison de ses répliques qui ébranlèrent les sociétés et exercèrent des pressions sur les relations politiques entre les Etats. En outre, en dépit du prestige démesuré du deuxième président américain John Adams, il a échoué son amendement concernant l’abolition de l’esclavage à travers la Constitution américaine. Il a adopté les lois sur « les étrangers et la sédition» qui interdisaient aux révolutionnaires français d’entrer aux Etats Unis et arrêtaient leurs alliés par l’acte ou la pensée. En Europe, au lendemain de la défaite de Napoléon en 1815, quatre des forces conservatrices européennes- la Grande Bretagne, l’Autriche, la Prusse et la Russie qui furent rejoints plus tard par la France- ont établi un système européen et international qui a duré jusqu’à l’éclatement de la Grande guerre. C’est Henri Kissinger qui l’éternisa dans son célèbre ouvrage intitulé « Un monde restauré. ». Les cinq parties sont convenus non seulement de s’opposer à la révolution mais -essentiellement- de la nécessité d’une réforme radicale; en fait, la situation ne pouvait pas perdurer de la sorte sans déclenchement de guerres ou de révolutions.
Tout en reconnaissant que les similitudes historiques pourraient parfois être fausses, elles nous offrent, en même temps, de multiples visions qui pourraient nous aider à comprendre les événements présents. Les révolutions arabes de ces derniers temps sont survenues dans le cadre du « printemps arabe » qui a semé un terrible chaos et des guerres civiles généralisées et a généré un Etat terroriste du califat musulman ainsi que des vagues de terrorisme, de fanatisme et d’extrémisme. Sans entrer dans les détails, l’année 2015 a connu plusieurs évolutions historiques régionales qui reflètent, en première partie, jusqu’à nos jours, les dévastations post- révolution alors qu’elles ont généré, dans leur seconde partie, des vagues de réforme basées sur la notion de l’Etat- nation aux frontières sacrées à l’identité historique de citoyens aux droits égaux et au projet national à prédominance de développement et de progrès économique et social. Et, bien que l’Histoire ne témoigne pas d’exemples conformes ou identiques, elle jette la lumière sur des balises et des orientations qui pourraient nous éclaircir les chemins historiques. En fait, le monde arabe a connu nombre de ces tournants décisifs au lendemain de l’indépendance des pays arabes et du déclenchement des révolutions et des coups d’Etat arabes. Très souvent, l’essence même de ces nouvelles vagues portait le nom du « nationalisme arabe » ou de la « nation arabe » au message « éternel ». Les grands traits de l’histoire arabe de cette époque était la scission entre les pays arabes et leur statut à la remorque du développement mondial. Nous ne nous arrêterons pas à ce point mais ce qui importe pour nous est que le « printemps arabe », qui constitua la réaction à ce état des choses, se subdivisait en trois scénarios : le premier était le produit des « jeunes révolutionnaires » qui prévoyaient la viabilité infinie du chaos, le deuxième fut l’œuvre des Frères musulmans qui ont créé une reproduction arabe du système iranien; quant au troisième et dernier scénario, il était inspiré par le modèle afghan et a abouti à la création de ce qu’on appelle « Le califat islamique » sur les frontières syro-irakiennes. Et, si jamais, il existe une quatrième version de ce scénario, elle représente le point de mire de notre attention : car, depuis 2015, certains pays arabes ont posé « la réforme globale et durable » comme mode d’action, de vie, de développement et de progrès.
Le 11 octobre 2022, j’ai publié un article dans le quotidien égyptien « Almasry alyom » intitulé « Les lois de la réforme arabe »où j’ai traité ses premiers composants qui est l’Etat nation qui s’amalgame avec l’Etat nationaliste ou qui était installée dans les anciennes traditions arabes sous le nom de « L’Etat nationale » qui différait de l’Etat nationaliste unifié à naître un jour. Il ne serait jamais possible de concrétiser la réforme sans passer par l’Etat nationaliste avec son identité particulière et son territoire déterminé par le qualificatif de « patrie » et qui ne s’égare jamais en se plaçant sous une quelconque bannière religieuse mais dont toutes les factions convergent vers un seul projet national. Et, comme l’établissement de l’Etat- nation est le premier pas sur le chemin de la modernité, du changement et du développement, de nombreux pays arabes ont eu leurs propres codes ou prévisions s’étendant de 2015 à 2030 qui ont épousé des projets d’infrastructure ou autres de très grande envergure. Et, maintenant, alors que ce parcours entame sa huitième année, les Etats qui y sont engagés commencent à formuler trois types de relations internationales : le premier définissant leurs relations les uns aux autres à travers les consultations et la coopération dans des questions bien précises. Le deuxième le comportement commun vis à vis des grandes puissances internationales qui s’est concrétisé dans « le sommet arabo-américain » à Djeddah, « le sommet arabo-chinois » à Riyad et l’action commune à travers La « COP 27 » à Charm el-Cheikh et la coupe du monde de football à Qatar.
Simultanément à cette conjoncture où nous nous trouvons, le code de réforme est encore à ses débuts et sa traduction en une réalité beaucoup plus riche dans les relations réciproques entre les Etats réformistes d’une part et entre eux et les autres régions du monde d’autre part ont besoin de davantage de réflexion au sujet du progrès déjà enregistré et les types d’obstacles qui obstruent le parcours accéléré et la participation au concours international ; surtout que des surprises telles « la pandémie » et « la guerre ukrainienne » ont exercé de lourdes pressions sur les capacités de la réforme arabe.Il est encore tôt de mesurer la profondeur de la réforme dans le monde arabe. Ce qui est vraiment sûr est que la défaite des Frères musulmans en Egypte a eu concomitamment lieu avec une grande régression. Comme si la vague de « l’Islam est la solution » avait affiché marée haute sur les côtes égyptiennes pour connaître une marée basse, peut-être pour adopter de nouvelles formes ou pour signifier que l’histoire arabe a enfin atteint la solution réformiste qui ne serait que le point de rebond d’une nouvelle histoire.