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Les accords Sykes-Picot ou le copinage franco-anglais sur le dos des arabes

Le Dialogue

À partir du XIXe siècle, chancelant et moribond, l’Empire ottoman devient peu à peu « l’Homme malade de l’Europe ». Français et Britanniques lorgnent sur les territoires levantins de l’Empire déliquescent. Depuis plusieurs décennies déjà, les Européens nouent des contacts avec les différentes communautés autochtones pour assurer leurs sécurités et ainsi prétexter un droit de regard.    

Faisant le choix de s’allier à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie durant la première guerre mondiale, l’Empire ottoman devient de facto un ennemi de Paris et de Londres. Lors de longues tractations et négociations, Anglais et Français décident conjointement de se partager les provinces arabes du Moyen-Orient en fonction de leurs intérêts respectifs.  

Un empire chancelant 

Dès la fin du XIXe siècle, les territoires de l’Empire ottoman se réduisent comme peau de chagrin. Après avoir perdu la Grèce en 1830, « la Sublime porte » est contrainte d’abandonner ses possessions européennes avec les indépendances de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Serbie et du Monténégro. 

Confronté à des difficultés économiques et sociales et face aux visées coloniales européennes, l’Empire ottoman est obligé de céder peu à peu ses régions africaines. Il perd successivement l’Algérie puis la Tunisie qui passent sous protectorat français, à partir de 1882 la Grande-Bretagne administre l’Égypte et la Libye devient une colonie italienne en 1911. À l’agonie, l’Empire se recentre sur le Levant et l’Anatolie. Or au sein même de ses provinces arabes, un sentiment national émerge contre le joug ottoman. Les nationalismes arabe et kurde revendiquent plus d’autonomie vis-à-vis du pouvoir central. Anglais et Français attisent conjointement cette colère pour faire imploser cet empire vacillant. 

Conscient des desseins franco-anglais au Moyen-Orient et espérant reconquérir ses anciennes possessions, l’Empire ottoman décide de s’allier à l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie durant la première guerre mondiale (1914-1918). Parallèlement, le Sultan Mehmed V lance un appel au Djihad en novembre 1914 à tous les citoyens musulmans pour contrer les troupes franco-anglaises. Or, cet appel se heurte aux revendications nationalistes arabes toutes confessions confondues. En effet, les difficultés économiques et la répression brutale des élites arabes par le pouvoir central ottoman (pendaison des nationalistes sur les places publiques, famine du Mont Liban, massacres systématiques des communautés chrétiennes orthodoxes) poussent les populations locales à se rapprocher de Londres et de Paris. En échange de ce soutien, une promesse d’indépendance est faite aux Arabes. 

Cependant, au détriment de ces promesses initiales, les deux puissances européennes entendent sanctuariser des zones d’influences au Moyen-Orient. À ces promesses d’Arabie indépendante, la France veut consolider son rôle dans une « Grande Syrie » francophone et francophile. Quant à l’Empire britannique, il veut sécuriser une voie de passage vers les Indes et s’intéresse à l’approvisionnement des hydrocarbures en Irak. 

 

Les dessous de l’accord 

Dès novembre 1915, Français et Anglais entament des négociations secrètes pour se partager les provinces arabes de l’Empire ottoman. Après plusieurs mois de relations épistolaires entre le diplomate anglais Mark Sykes et le diplomate français François Georges-Picot, un accord est signé le 16 mai 1916 par Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres, et Edward Grey, secrétaire d’État au Foreign Office. 

Cet accord secret prévoit à terme le découpage des provinces arabes de l’Empire ottoman en aires d’influences françaises et anglaises. Cette coopération franco-anglaise reçoit l’aval de l’Empire russe et de l’Italie. Le Proche-Orient est de fait découpé en 5 zones bien distinctes : 

  • Une zone française d’administration directe comprenant le Liban actuel et la Cilicie (province turque) 
  • Une zone d’influence française comprenant une bonne partie de la Syrie avec la province de Mossoul 
  • Une zone anglaise d’administration directe formée par le Koweït et une partie de l’Irak jusqu’à Bagdad 
  • Une zone d’influence anglaise composée de l’actuel Jordanie, de la Palestine mandataire et du Sud de la Syrie 
  • Une zone d’administration internationale comprenant Saint Jean d’Acre, Haïfa et Jérusalem 

Cependant, cet accord ne demeure pas secret bien longtemps. Lors de la révolution bolchévique de 1917, l’administration russe dévoile au grand jour les conclusions du traité. De plus, les Etats-Unis du Président Wilson, veulent contrecarrer les plans franco-anglais dans la région en théorisant sur l’autodétermination des peuples. Cet accord est finalement parachevé à la conférence de San Remo en 1920. Conférence au cours de laquelle la France cède la province de Mossoul à l’administration britannique en contrepartie d’une participation aux bénéfices pétroliers de la région irakienne de Kirkouk. La même année lors du traité de Sèvres, l’Empire ottoman vivant ses dernières heures, renonce officiellement et définitivement à ses provinces arabes et maghrébines. 

 

Conséquences et répercussions 

Malgré les promesses d’indépendance, les Arabes de la région se retrouvent soumis à la tutelle d’une puissance tierce. Le Liban et la Syrie sont administrés par la France, la Jordanie, l’Irak et la Palestine par la Grande-Bretagne. 

Le gouvernement français entend faire du protectorat syro-libanais un pont pour la culture et la langue française. Paris s’appuie majoritairement sur les communautés chrétiennes (notamment les Maronites) avec qui elle avait déjà noué des liens par le passé. En 1920, la France participe activement à la création d’un « Grand Liban » indépendant et autonome vis-à-vis de son voisin syrien. De ce fait, la présence française se heurte à une vive opposition en Syrie où plusieurs manifestations sont matées. Paris régionalise consciencieusement les différentes provinces syriennes en fonction de leurs appartenances religieuses. Cette politique coloniale française est hasardeuse. Elle crée les soubassements des tensions et des conflits ultérieurs. 

De son côté, l’Empire britannique, maître d’un territoire allant de la Palestine au Golfe persique, participe activement à la mise en place d’un oléoduc transportant le pétrole irakien vers la Méditerranée. De surcroît, cette présence au Proche Orient lui assure une meilleure sécurisation des routes commerciales vers les Indes. À l’instar des Français, les troupes anglaises sont également confrontées à de nombreuses révoltes. L’Irak, pays tribal et multiconfessionnel, est difficilement administrable. De ce fait, la militarisation de la présence anglaise s’intensifie dans la région. De plus, depuis le traité Balfour de 1917, stipulant la création d’un foyer national juif en Palestine, les autorités britanniques font face à de nombreuses contestations de la part des populations locales palestiniennes. 

Le façonnement des frontières du Proche Orient, bravant les différentes ethnies et religions des populations locales, est perçu comme une humiliation par les Arabes, à qui on avait promis un État indépendant. Or, il faut savoir que cette époque est une période de domination coloniale, de partages territoriaux entre grandes puissances et de négociations secrètes faisant fi des volontés autochtones. Tout comme le congrès de Berlin en 1885, prévoyant le partage de l’Afrique, les accords de Sykes-Picot ont modelé les frontières d’une région selon les intérêts européens. 

Depuis, ces frontières « artificielles » résistent à l’épreuve du temps. Même le nationalisme arabe des années 50-60 n’arrive pas à les gommer. En effet, l’ancrage politique et souverain de ces nouveaux États s’inscrit bon an mal an dans la durée, parachevant de fait les frontières coloniales de 1916. Ces accords sont « menacés » par Daech en 2014, qui veut redéfinir les frontières du Moyen-Orient selon ses propres conceptions et théories. 

Aujourd’hui encore, les accords Sykes-Picot font l’objet de nombreuses critiques. Certains analystes jugent qu’ils sont la cause du chaos actuel. Les signataires ont inventé « une paix qui ressemble à la guerre ». Ces frontières héritées de la période coloniale sont soumises aux soubresauts de l’Histoire. Les multiples conflits, « les printemps arabes » et les menaces terroristes rabattent les cartes des acquis territoriaux. 

 

Bibliographie : 

https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-5-page-17.htm 

https://www.lesclesdumoyenorient.com/Accords-Sykes-Picot.html 

Jean-Paul Chagnollaud et Sid-Ahmed Souiah, « Les frontières au Moyen-Orient », L’Harmattan, 2004 

https://orientxxi.info/documents/glossaire/accords-de-sykes-picot,0678 

https://www.monde-diplomatique.fr/2003/04/LAURENS/10102 

James Barr, « Une ligne dans le sable », Tempus Perrin, 2017 

http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20160516-accords-sykes-picot-redessinaient-moyen-orient-syrie-irak-siecle