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Ukraine/Russie

L’OTAN, garant de la sécurité collective ?

Le Dialogue

Des soldats de l'OTAN des États-Unis, de Roumanie et de Croatie participent à un défilé militaire à Varsovie à l'occasion de la Journée de l'armée polonaise, le 15 août 2023, pour commémorer l'anniversaire de la victoire de 1920 sur la Russie soviétique lors de la bataille de Varsovie pendant la guerre polono-soviétique. Photo : Wojtek RADWANSKI / AFP.

 

En trois ans et demi, l'Europe a changé d'une manière que personne n'aurait pu imaginer auparavant. Elle a d'abord été touchée par une pandémie, puis par une guerre. La première est principalement passée, mais pas la seconde, et elle ne le sera probablement pas pendant encore de nombreuses années. En conséquence, d'importants changements ont eu lieu sur le vieux continent. La vie est devenue plus chère (dans certains pays européens, jusqu'à un tiers de plus). On connaît une inflation qu’on n'a jamais connue auparavant. Les grandes puissances (Allemagne, France) sont au bord de la récession économique. La guerre est la chose la plus couteuse au monde.

Aucun pays n'est sûr si les luttes armées font rage à ses frontières. C'est particulièrement vrai pour l'Europe. En trois ans, nous, Européens, avons perdu l'une des caractéristiques les plus importantes qui nous ont accompagnés depuis 1945 :  la sécurité. On ne se sent plus en sécurité. Avant 2020, on n’aurait jamais pu imaginer une telle situation. La vie est plus chère, moins sûre et, peut-être ce qui est le plus difficile, sans perspective d'optimisme à l'horizon.

Qui est responsable de cela? Qui est à blâmer? Il serait difficile de pointer du doigt quelqu'un en particulier pour la gestion de la pandémie et de le déclarer bouc émissaire. Les institutions qui ont combattu la maladie étaient principalement multinationales, en plus des États-nations: l'Union européenne, l'ONU, l'OMS, peut-être l'UNESCO et d'autres. Étant donné que c'était quelque chose qu’on n’a pas connu depuis un siècle (la dernière étant la soi-disant grippe espagnole, à la fin de la Grande guerre), il y a eu beaucoup d'improvisations. À la fois au niveau des organisations multinationales et des États individuels. Il y avait aussi beaucoup d'interprétations sur ce que cette maladie était réellement, comment elle a été causée et comment la traiter. La lutte contre le Covid était quelque chose pour laquelle rien n'aurait pu nous préparer.

La guerre en Ukraine, c'est autre chose. Pour la réfuter, il aurait fallu un mécanisme de sécurité collective où les organisations multinationales pertinentes auraient dû s'engager, notamment celles sur lesquelles repose la paix en Europe. Certaines l'ont fait, mais comment? L'ONU a encore produit des déclarations, qui ont certes reçu un soutien majoritaire contre l'agresseur, mais qui sont restées des mots sur papier. L'UE ne s'est unifiée pour la première fois que le 15 mars 2022, trois semaines après l'attaque. C'était la première visite à Kiev après l'agression. Les présidents du gouvernement polonais, tchèque et slovène se sont rendus dans la capitale ukrainienne. Ils ont fourni à Zelensky ce dont il avait le plus besoin: des garanties d'une Union unifiée sur laquelle il pourrait compter pleinement pour son soutien, pendant la guerre et après, pour la reconstruction. Mais cela n'était pas une initiative de l'ensemble de l'UE, mais plutôt un projet quasi privé du groupe de Visegrad, spécifiquement du Premier ministre slovène Janez Janša, qui, quelques jours auparavant, à Versailles, avait obtenu le soutien du président français Emmanuel Macron, et à travers lui, la majorité de la partie occidentale de l'Union européenne, principalement l'Allemagne. De là, l'UE a agi de manière plus ou moins unifiée, mais toujours sans pouvoir décisif. La guerre en Ukraine continue, tout comme l'inflation et la hausse des prix.

Outre l'ONU et l'UE, il existe un troisième élément clé de la sécurité collective, à savoir l'OTAN. Celui-ci a commis la plus grosse erreur irréparable. Malgré les appels répétés des autorités ukrainiennes pour que l'OTAN établisse une zone d'exclusion aérienne au-dessus de leur pays, l'alliance a rejeté cette demande en raison du risque d'une escalade supplémentaire et d'un conflit militaire direct avec la Russie. Ces arguments, pourtant,  étaient assez étranges. Pourquoi? Une escalade supplémentaire du conflit serait certainement survenue si les Ukrainiens n'avaient pas, cette fois avec un soutien occidental tardif et insuffisant, arrêté l'armée de la Fédération de Russie et l'avaient forcée à une guerre de position. Si l'Ukraine était tombée, les pays baltes et la Pologne seraient les prochains. C'est ce que les plans publiés du service de renseignement russe FSB ont révélé. Le 24 février, l'OTAN est donc entrée en guerre contre la Fédération de Russie, qu'on le veuille ou non. La continuation de la guerre en témoigne logiquement. Les Ukrainiens se défendent avec ses armes. Ils recevront ses avions. Pourtant, L'OTAN est en guerre avec la Russie, sans qu'il y ait eu besoin de cela.

Car l'OTAN aurait pu prévenir cette guerre. Les services de renseignement américains ont clairement indiqué en décembre 2021 et janvier 2022 que Poutine attaquerait l'Ukraine. Dans ce contexte, l'opinion des services de renseignement français était presque plus intrigante, en affirmant le contraire : que Poutine n'attaquerait pas. Ils ont basé leur évaluation sur le fait qu'il n'y avait pas d'infrastructure de soutien critique dans certaines parties de la Fédération de Russie et de la Biélorussie d'où l'attaque aurait pu être lancée, du moins pas en quantités suffisantes. Il s'agissait de véhicules médicaux, mais surtout, il n'y avait pas de grands centres logistiques d'où l'armée aurait pu être approvisionnée pendant l'attaque. C'est pourquoi à Paris, on a conclu qu'il s'agissait simplement d'une tactique d'intimidation.

De cela, une conclusion utile pourrait être tirée à la fois à Paris et à Washington. Comme on le sait, c'est précisément l'absence de soutien logistique qui s'est avérée être le talon d'Achille de l'invasion russe, en ce qui concerne les premières étapes. Cela devait être évident également à Moscou. Mais là, on comptait sur la désunion de l'Occident, c'était l'argument décisif pour l'attaque. Si l'OTAN avait clairement indiqué qu'en cas d'agression, il fermerait l'espace aérien au-dessus de l'Ukraine (déclarant une no-fly-zone) et s’il avait souligné qu'il le ferait à la demande du gouvernement souverain de la République d'Ukraine à Kiev, Poutine y aurait réfléchi à deux fois. Il aurait su que cela rendrait son entreprise déjà risquée encore plus risquée et qu'avec un soutien logistique insuffisant et un espace aérien fermé, les chances d'une guerre réussie seraient très faibles. Plus l'OTAN aurait été déterminé, plus Poutine aurait hésité.

Car la fermeture de l'espace aérien fonctionne et a toujours fonctionné. C'était le cas en Irak en 1991 et 2003, en Bosnie-Herzégovine dans les années 1990, et en Libye en 2011. On ne parle pas de moralité ni des raisons qui ont conduit à la fermeture de l'espace aérien. On parle seulement de son efficacité. Mais dans le cas de l'Ukraine, ce serait le premier acte après la Bosnie-Herzégovine basé sur la morale. Protéger l'agressé de l'agresseur, le faible du fort, surtout que les unités russes et les milices paramilitaires ont commis tant et tant de crimes documentés contre la population civile. En Ukraine, Poutine se comporte de manière similaire à Milošević en Bosnie-Herzégovine (1992-1995).

Il faut également souligner ceci : à chaque fois que l'Occident accepte les "arguments" selon lesquels il a lui-même provoqué la guerre en Ukraine, en étendant l'OTAN, il encourage en fait la Russie à des actes d'agression. Car il reconnaît son "droit", qui est purement imaginaire.

Avec la chute du mur de Berlin et la dissolution de l'Union soviétique, l'ère bipolaire était révolue. Mais l'Union soviétique pendant la guerre froide n'a pas été vaincue car elle ne pouvait l'être. Elle s'est effondrée, sans qu'une seule balle ne soit tirée contre elle. L'idéologie sur laquelle elle reposait s'est avérée fausse. La grande étoile rouge a simplement implosé, pour utiliser un terme de physique. La dissolution de l'URSS a été formellement marquée par la création de la Communauté des États indépendants, initiée par Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie et prédécesseur de Vladimir Poutine. C'est d’ailleurs Moscou qui a joué le rôle le plus actif dans la dissolution de l'ancien empire. Elle s’est également approprié la majeure partie de l'héritage. Dès le 24 décembre 1991, la Fédération de Russie, d'un commun accord avec les autres États de la Communauté des États indépendants (qui comprenait alors toutes les autres républiques sauf la Géorgie), a repris le siège de l'Union soviétique aux Nations Unies. Le lendemain, Gorbatchev a démissionné et remis ses fonctions à Eltsine. Le 26 décembre, le Conseil des Républiques, la chambre haute du Soviet suprême, a voté la dissolution de l'Union soviétique, mettant fin au plus ancien, au plus grand et au plus puissant État communiste du monde, la Russie devenant son successeur formel.

En 1994, cette même Russie s'est engagée par traité international à Budapest à respecter l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Vingt ans plus tard, elle a violé cet accord avec l'occupation de la Crimée. Pendant ce temps, l'Occident n'a pas pris une seule mesure menaçant l'intégrité territoriale de la Russie. Au contraire, il a accueilli la Russie dans le club le plus élite qu'il possédait, le G8. Cependant, la Fédération de Russie a pris toute une série de mesures menaçant l'intégrité territoriale d'États souverains et reconnus internationalement. La Géorgie et l'Ukraine sont les exemples les plus flagrants. Mais on ne doit non plus oublier le 4 mars 2022. Ce jour-là, la demande de Poutine de retrait de l'OTAN d'Europe de l'Est et la première menace de confrontation nucléaire ont éclipsé le monde.

 

Risque de guerre nucléaire, mythe ou probabilité ?

On pense d’ailleurs que le chien qui aboie ne mord pas, comme le dit le proverbe. Il est peu probable qu'il y ait une confrontation nucléaire sous Poutine, car c'est un homme extrêmement rationnel. On sait que dans une guerre de la sorte, il n’y a pas de gagnant. Tous perdent, à jamais. De plus, la dissuasion nucléaire, depuis 1949, lorsque l'URSS a obtenu sa première bombe atomique, a toujours fonctionné dans le sens d'empêcher des conflits frontaux de dimensions inimaginables. Rien ne s'est produit pour que cela ne soit plus vrai aujourd'hui. 

 

Revenons à l’histoire de la succession de l’URSS 

Les successeurs de l'Union soviétique n'avaient plus aucune compétence sur les anciennes "colonies", pour les nommer en des termes un peu plus impérialistes. De plus, il est constamment dit que depuis 1991, seuls les intérêts vitaux d'un des successeurs de l'Union soviétique, à savoir la Fédération de Russie, ont été violés. Mais les autres anciens États de l'URSS auraient également été en droit d'exercer certaines formes de souveraineté sur les anciens membres du Pacte de Varsovie en Europe de l'Est et centrale, si l’on poursuit la même logique. Il y en a 15 : Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Estonie, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Lettonie, Lituanie, Moldavie, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Ukraine et Ouzbékistan. Or l’on n’a jamais entendu dire que l'une de ces nations se soit plainte de l'expansion de l'OTAN. Mais si l'une d'elles l'a fait, c'était toujours à l'instigation de Vladimir Poutine. On ne mentionne pas la Fédération de Russie, car son premier président, Boris Eltsine, ne s'est jamais plaint à ce sujet. Il en résulte donc que les lamentations concernant l'expansion de l'OTAN ne sont dues qu'à un seul homme, sans lequel il n'y aurait pas eu de guerre en Ukraine. Il est inutile de mentionner à nouveau le nom le plus cité de 2023.

 

En guise de conclusion

Cependant, l'OTAN n'a pas fermé son espace aérien jusqu'à présent, permettant ainsi le développement d'une guerre de position dans laquelle l'Europe est maintenant bloquée. Elle est tombée dans le même piège que la Société des Nations à la fin des années 1930, lorsqu'elle n'a pas pris de mesures décisives contre l'expansion de l'Allemagne d'Hitler. Ou comme l'ONU en 1994, qui a permis deux génocides : celui au Rwanda et celui en Bosnie.

Lorsque la guerre sera terminée, une fois dans les années qui viendront, des analyses sérieuses devront aborder ce qui est souligné ci-dessus. Mais ce ne sera pas pour bientôt. D'ici là, nous, Européens, paierons le prix, avec l'inflation, un sentiment d'insécurité et des perspectives sombres pour ce qui concerne notre avenir. Cela affecte considérablement la qualité de vie, quelque chose qui est essentiel à notre existence. Merci, OTAN.