Trois ans après l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, le collectif des familles des victimes ont participé à une marche commémorative impressionnante à travers les rues de Beyrouth. Prises par les sentiments de colère et d’injustice, elles ont scandé des appels à la vérité et à la justice. Les deux ministères américain et français des affaires étrangères ont critiqué le retard dans la procédure de l’enquête et ont revendiqué la diligence dans la mise en accusation des responsables de la tragédie. L’Organisation de l’Amnistie Internationale a indiqué que les autorités libanaises usent du droit pour protéger les responsables qui doivent être jugés.
L’explosion du port de Beyrouth est l’une des plus grandes explosions non nucléaires de l'histoire qui a tué 220 personnes et blessé environ 7000 dont 100 enfants sans compter la destruction de milliers de bâtiments, de propriétés et de voitures.
En fait, l’explosion est d’une importance telle qu’on ne peut ni la dissimuler ni détourner l’attention publique de ses causes ou auteurs; et, bien que la Russie en ait présenté à la justice libanaise les images satellitaires, l’enquête a été politisée que les poursuites ne sont pas encore terminées. L’accusation n’a été adressée à personne et l’enquête a été suspendue pour treize moi ; mais aussitôt reprise, elle s’est arrêté.
Sont pointées du doigt les objections émises par certaines forces politiques libanaises qui ont entravé l’enquête. Le Conseil des députés a refusé de lever l’immunité parlementaire de certains de ses membres et d’anciens ministres mis en examen; le ministre de l’intérieur a refusé d’autoriser certains grands responsables sécuritaires à déposer devant le juge d’instruction chargé de l’affaire. Objet d’un mandat d’arrêt et d’amener, l’ancien premier ministre Dr. Hassan Diab a quitté le pays à destination des Etats Unis à la date même où il devait comparaître pour déposition, alors que les autorités sécuritaires en étaient averties.
Dès le départ, ces forces avaient lancé des campagnes de discréditation du juge d’instruction : d’abord contre Fadi Sawan jusqu’à le dessaisir de l'enquête sur l'affaire de l'explosion du port de Beyrouth en février 2021; Son successeur Tarek Bitar lui a emboîté le pas et a poursuivi les responsables de l’explosion jusqu’à être mis en examen: il a fait l’objet de plus de vingt charges différentes devant la Haute juridiction jusqu’à le dessaisir-lui aussi- du même dossier. Plus d’une fois, l’investigation fut suspendue jusqu’en janvier 2023 lorsque le juge Bitar a annoncé sa reprise. Il a mis en accusation un certain nombre de responsables dont le procureur général près la Cour de cassation Ghassan Oueidate qui est le cousin d’un des responsables de l’explosion meurtrière.
En réaction aux décisions de Bitar, Oueidate a rendu l’arrêt de libérer toutes les personnes arrêtées et mis en examen dans ce dossier. Il a annulé ses décisions sous prétexte qu’elles contredisaient la loi et l’a accusé d’usurper le pouvoir. Il ne s’est pas arrêté à ce stade, il est allé jusqu’à interdire à Bitar de quitter le territoire et a réclamé de le dessaisir de l’enquête. Par conséquent, Bitar a déclaré, en février, le report des audiences d’investigation. Un bras de fer judiciaire s’est déclenché : Bitar et Oueidate se sont échangé les accusations. L’enquête est entrée dans un tunnel sans issue.
En fait, le juge d’instructions tente de trouver la réponse à deux grandes questions: premièrement, qui a décidé l’interception du navire « Rhosus » qui est arrivé au port de Beyrouth en direction de Mozambique en novembre 2013 avec une cargaison de 2750 tonnes de de nitrate d’ammonium pour ensuite décider de son déchargement au hangar numéro 12 du port ? Dans l’intérêt de qui cette décision a été prise? Deuxièmement, Quelle responsabilité assument les diverses directions successives en gardant cette cargaison explosive dans les entrepôts du port pour d’aussi longues années et sans la transporter pour un lieu sûr? alors qu’elles savaient que le port est un lieu civil qui ne doit jamais conserver de matières inflammables. Il s’avère évident que des personnalités et instances politiques éminentes ont réussi à entraver la poursuite de l’enquête et l’audition des témoins pour trouver une réponse plausible à ces deux questions.
C’est pourquoi le collectif des parents des victimes et des ONG concernées par les droits de l’homme ont adopté l’idée de créer une commission internationale d’enquête au sujet de cette explosion, à l’instar d’une autre créé à l’occasion de l’assassinat de Rafiq Hariri. Les adeptes de cette idée la trouvent irremplaçable : devant la situation de crise qui règne au Liban, l’absence de président et la présence d’un gouvernement intérimaire qui ne dispose pas pleinement de ses compétences, la justice libanaise se trouve inapte à poursuivre l’enquête et à découvrir la vérité. Quant à ses détracteurs, ils craignent l’internationalisation de l’enquête et signalent que les grandes puissances ne sont pas des « agneaux » et qu’elles poursuivent leurs intérêts et entretiennent des contacts auprès de parties libanaises, d’où le manque d’intégrité de l’enquête qui serait menée par cette commission. Des efforts de rapprochement entre les deux camps ont été déployés : la constitution d’une commission d’enquête mixte réunissant des juges libanais et étrangers ou une commission internationale qui vaquerait uniquement à la présentation de preuves tangibles et qui exercerait ses fonctions en parallèle avec la juridiction libanaise.
Bref, l’histoire nous apprend que l’impunité n’est jamais éternelle et que la justice advient toujours même en retard tant que le combat pour la vérité se poursuit.