L’Etat- nation est le premier pas franchi sur la voie du développement dans notre monde contemporain. C’est dans son cadre que la stabilité politique pourrait être réalisée ainsi que la cohésion entre les habitants de l’Etat et en vertu duquel ils deviennent des citoyens qui bénéficient de l’égalité à l’intérieur de ses frontières et de la représentativité à l’extérieur de cet Etat délimité qui jouît d’une certaine existence dans l’ordre international. Cette entité politique est relativement nouvelle dans l’histoire humaine. Elle a effectué ses premières enjambées au début du dix-neuvième siècle pour s’élancer dans un bond prodigieux au lendemain de la révolution française à l’époque où les empires ont commencé à flétrir et à se rétrécir à l’intérieur de leurs premières frontières avant leur extension géographique. Cent ans plus tard, plusieurs empires se sont écroulés tels l’autrichien, le Hongrois, l’Ottoman. Les Etats colonialistes ont connu plusieurs remaniements en représentant l’ordre international soit sous l’emprise de la Communauté des Nations ou des Nations Unies. L’Etat- nation ou « national » est devenu le cadre à l’intérieur duquel la technologie est utilisée pour relier entre ses diverses parties et ses frontières à travers la voirie, les chemins de fer et les nouveaux moyens de communication. En somme, les citoyens sont devenus représentants d’un marché unique où s’effectuent les opérations de production, de consommation, de services, d’éducation, de santé et de tout ce qui pourrait leur remporter des bénéfices et les munir contre les dangers. Il n’ y a nul doute que tout Etat a ses propres symboles depuis la science jusqu’à la direction politique et toute autre autorité de nature à refléter la civilisation de l’Etat, sa propre culture, ses relations et réactions avec tous les autres pays du monde sur les plans sécuritaire, économique et politique. Alors que plus de deux siècles se sont écoulés depuis l’avènement de l’Etat-nation, sa structure nationale ou nationaliste vit toujours des opérations de fusion entre les citoyens à travers la Constitution et les lois et relier entre elles les localités de l’Etat -si élargies- de manière à resserrer les écarts régionaux ou sociaux qui se creuseraient à leur intérieur. Très souvent, les processus d’intégration et d’insertion dans l’Etat affrontent d’énormes problèmes lorsque l’Etat est constituée par de nombreux sectes ethniques ou religieux et, par conséquent, doit traiter avec d’autres formes de modernité qui assurent la pénétration de l’Etat et coordonner les moyens d’éducation sociale et politique qui proviennent de l’enseignement, des mass-médias, de la culture, et des institutions de l’Etat. Le murissement de cette forme de l’Etat moderne était le but ultime recherché par le mouvement historique dans la région arabe et islamique au cours des décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale et l’accession à l’indépendance de plusieurs Etats. Ce processus de maturation constituait- à lui seul - l’une des raisons clés de la réalisation du lien national. Cependant, les partis et les groupes religieux, avec à leur tête la confrérie des Frères musulmans, ne voyaient pas d’un bon œil tous ces processus qui portaient sur maints partis et constitutions civiques diverses pour les faire passer à la modernité par diverses procédés possibles. Crée en 1928, ce groupement affichait une position adverse vis à vis de l’Egypte moderne depuis sa première naissance au dix-neuvième siècle par Méhémet Ali et jusqu’à l’époque contemporaine au vingt et unième siècle lorsque le guide suprême du mouvement Mahdi Akef a déclaré qu’il méprisait l’Etat égyptien et qu’il était prêt à accepter un dirigeant malaisien tant qu’il était un vrai musulman. D’ailleurs, nous préférons détailler l’histoire des Frères musulmans dans un prochain article. Dans celui-ci , nous mettons l’accent sur les groupes religieux qui accèdent à la politique arabe non pour réaliser l’union nationale, fonder l’Etat moderne ou rallier le monde développé; mais ils s’y intègrent sous le couvert de la religion qui appartient à un monde vaste qui omet l’idée de l’Etat appartenance pour ancrer plutôt celle de la confrérie religieuse et son degré de propagation et de dissémination à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Etat.
Le Liban nous offre un exemple concret de la négation de la nationalité de l’Etat et de sa dépendance de fortes parties étrangères. La secte chiite qui représente la majorité de la population libanaise et qui est dirigée en grande partie par Hezbollah nous en offre l’exemple : elle a perdu sa virginité libanaise qui la lie par la culture et l’identité aux autres factions libanaises pour devenir le prolongement du monde chiite et de son Etat puissant l’Iran plus que des autres Libanais. Et, pour la première fois, on trouve parmi tous les sectes libanais un groupe qui ne brandit pas le drapeau libanais mais son propre fanion et avec des photos de l’Imam Khomeiny et du guide suprême Ayatollah Khamenei et avec des appels à la révolution iranienne. Hezbollah est devenu de plus «le délégué » exclusif de la sécurité nationale libanaise. Quel que soit la situation au gouvernement, au Conseil des députés ou dans l’armée, ce parti armé de pieds en cap dispose désormais, à lui seul, du droit de prendre les décisions de la guerre ou de la paix concernant l’Etat. Si souvent le consensus est en question ; reste à régler des questions d’apparence par le tiers inactif au conseil des ministres qui a le droit de s’opposer ou le droit de veto contre certaines décisions. En somme, la démocratie de consensus n’est plus possible. Le pays s’est trouvé donc embourbé dans les guerres civiles syrienne, irakienne et yéménite. Et, en fin de compte, le Liban est tombé sous le coup des sanctions internationales qu’il endure jusqu’à nos jours où les symboles de l’Etat- du gouvernement au président- ont disparu. En fait, le Hezbollah libanais n’est pas le seul exemple de l’acteur ayant joué un rôle majeur dans l’émiettement de l’Etat national libanais et dans l’aggravation de ses blessures en interdisant leur cicatrisation. L’étude des expériences des Etats arabes sous le fanion de ce que nous avons appelé « le printemps arabe » illustre que les forces religieuses avec à leur tête les Frères musulmans cherchent ardemment des fois à consacrer cet état de désagrégation en tablant sur les castes, les tribus ou les régions distinctes et d’autres fois à faire échouer l’Etat à accomplir ses fonctions par la création d’organisations et de formations politiques parallèles aux parlements et aux syndicats. Du reste, elles usurpent à l’Etat sa fonction principale qui consiste à se monopoliser légalement l’usage des armes par la création de milices armées de manière à saper les fondements de la stabilité, de la sécurité et du pouvoir de l’Etat à étendre son emprise sur ses différentes régions. La promotion des milices armées qui ont emprunté des parcours religieux en Lybie , en Irak et au Yémen ainsi que les factions de l’armée libre en Syrie et les milices sectorielles au Liban notamment Hezbollah a eu pour conséquence l’escalade des menaces internes qui guettent la viabilité et la cohérence de l’Etat. L’arme politique fatale à laquelle les mouvements religieux ont eu recours est celle de « l’identité », jugée par la plupart des observateurs comme l’une des questions les plus soulevées depuis le déclenchement des révolutions arabes comme l’une des retombées de la montée politique des courants islamiques. En Egypte, à titre d’exemple, l’identité n’a pas constitué l’un des chapitres clés de la Constitution qu’au lendemain de l’accession au pouvoir du courant islamiste vers la moitié de 2012. Ceci s’applique également aux conflits de sectes entre les Houthis et le parti de la coalition yéménite de la réforme et le conflit enclenché au Yémen. Insérer la religion dans la politique, l’économie et la culture d’un pays arabe donné a semé, des fois, les graines de la dissidence interne et parfois de la guerre civile, à l’instar de la Syrie, du Liban et du Soudan ou, d’autres fois, réaliser un haut degré d’exposition externe comme c’est le cas dans la plupart des pays arabes et qui s’est concrétisé dans les pressions externes exercées contre un grand nombre de pays arabes en ce qui concerne la situation des droits de l’homme ou dans des interventions étrangères à l’exemple de l’intervention militaire de l’OTAN en Libye, la guerre de procuration en Syrie et le lien entre l’Iran et les Houthis au Yémen et Hezbollah au Liban. La division du Soudan en deux pays l’un au Sud et l’autre au nord est une conséquence de l’introduction de la religion dans la politique soudanaise que ce soit par le groupe des Frères musulmans ou par des dirigeants politiques alliés. A peine la division accomplie entre les deux Etats que nous nous rendions compte que chacun d’eux croule sous le joug d’une conjoncture plus sévère et désagrégationniste que ne l’est du temps de l’union entre les deux. Néanmoins, le rôle dévastateur accompli par les groupes religieux dans la construction de l’Etat- nation n’est pas plus maléfique que ne l’est celui accompli par le mouvement Hamas, d’obédience frériste, dans l’obstruction vers l’Etat du parcours nationaliste et dans la division de l’entité nationale palestinienne entre Gaza et la Cisjordanie. Tel sera le sujet de notre prochain article.