Cette combinaison d'images créée le 24 mai 2023 montre le gouverneur de Floride Ron DeSantis lors d'une soirée électorale primaire à Hialeah, en Floride, le 23 août 2022 et le président américain Donald Trump à l'aéroport international General Mitchell de Milwaukee, Wisconsin, le 2 novembre. 2020. Photo : CHANDAN KHANNA et Brendan Smialowski / AFP.
2024 sera une année décisive pour les États-Unis. Garderont les démocrates la Maison Blanche ou les républicains réussiront la reconquête ? L’avenir de la planète n’est jamais indifférent aux choix américains. La course à droite est en marche, deux candidats puissants se disputent déjà l’attention de leurs concitoyens, l’ancien président Donald Trump et le gouverneur de Floride, Ron DeSantis.
Trump, le retour
Il aurait dû être écarté. Il aurait dû être châtié. Il aurait dû être oublié. Rien de cela ne s’est produit, Donald Trump est blessé, mais il n’est pas mort. Beaucoup pensèrent que l’écart temporel entre 2020 et 2024 serait suffisant pour que la droite américaine passe à quelque chose d’autre – ils se sont trompés.
La longévité de Trump ne devrait pas être réduite à son charisme et à son franc-parler. Trump est un symptôme d’un malaise profond dans la société américaine. Les problèmes qu’il dénonça en 2015 et 2016 demeurent – la porosité de la frontière avec le Mexique, les ravages de la drogue, l’insécurité grandissante un peu partout en Amérique.
La scène internationale s’est développée d’une façon assez favorable au discours trumpien. Il est vrai que l’électeur lambda ne connaît point le monde au-delà des frontières des États-Unis, mais il est également vrai qu’il sait que l’Amérique sous Biden a permis l’invasion russe de l’Ukraine et que la sortie de l’Afghanistan fut rocambolesque. S’il est vrai que Trump aurait difficilement empêché la Russie, il est encore plus vrai qu’il aurait très probablement géré l’Afghanistan différemment. Pour son électorat il suffira de continuer ce qu’il dit déjà : la présidence Biden n’a pas été à la hauteur de notre pays, l’Amérique est moins respectée et Hunter – fils de Joe Biden – est une disgrâce pour l’image de notre nation.
Récemment Maria Bartiromo a interviewé Trump. La conversation démarre sur la Chine et Trump explique à la journaliste qu’il connaît Xi Jinping assez bien. Très rapidement il introduit la Russie dans l’échange. Il compare la situation taïwanaise avec la situation ukrainienne, ce faisant il donne des gages aux maximalistes de la politique extérieure ; il suggère que son Amérique ne permettra pas un scénario ukrainien à Taïwan. Il utilise intelligemment la Russie pour cibler la Chine. Mais il jette toute la culpabilité du dossier ukrainien sur son successeur – il profite de son absence aux affaires pour reconstruire sa respectabilité. Il est bien rodé et il sait ce qu’il fait.
DeSantis et sa Floride
L’adversaire plus redoutable que Trump trouvera pendant la primaire républicaine sera probablement le gouverneur de Floride. Notre assertion peut sembler prématurée, nous écrivons ces lignes en août, 2023. Peut-être l’avenir la démentira, mais pour l’instant elle paraît indéboulonnable. Ron DeSantis est jeune, courtois, imperturbable et combatif.
DeSantis est conscient qu’il n’est pas le favori. Son but, pour l’instant, consiste en élargir la portée de son message. Contrairement à Trump, DeSantis n’a pas été adoubé nationalement, il demeure une figure régionale. Il a besoin d’atteindre un niveau supérieur rapidement, préférablement en 2023. Le péril pour DeSantis est son terroir, la Floride est sa plus grande alliée et, au même temps, le piège à éviter.
Trump n’a pas hésité, DeSantis est devenu une cible savoureuse. L’ancien président voit les choses d’une manière simple, voire simpliste : il a fait DeSantis, donc il peut le défaire. Sans l’appui de Trump l’aventure politique de DeSantis serait sans doute moins brillante, mais prétendre que le gouverneur de Floride est aujourd’hui, en 2023, une créature de Trump est méconnaître profondément ses exploits.
Les lettres de noblesse de Ron ont été reçues dans un domaine très important. Un domaine où nous oserions même dire qu’il est supérieur à Trump – the culture war ou Kulturkampf. Trump est un briseur de glace, il est là où vous ne l’attendez pas, il a gagné contre Hillary Clinton grâce au Rust Belt, presque personne ne croyait en cette possibilité. DeSantis est beaucoup plus prévisible, son camp est plus défini que la nébuleuse trumpiste. La querelle classique entre progressistes et conservateurs a permis à DeSantis son ascension, notamment dans la bataille contre l’idéologie de genre et le narratif LGBT.
Nonobstant, l’Amérique est un État fédéral. Il est impossible de prendre l’expérience d’un état fédéré – la Floride – est l’imiter à l’échelle nationale. Pourtant, DeSantis peut essayer quelque chose, sinon exportable pour toute la nation, du moins pour les États républicains. Les conservateurs regardent les lois protégeant les enfants des spectacles sexuels et d’autres bizarreries woke d’un bon œil. Or, ces lois trouvent leur plus grand aboutissement en Floride…
L’enjeu communicationnel
Les réseaux sociaux, on le sait, ont changé la donne. Niall Ferguson dans son ambitieux The Square and the Tower (La Place et la Tour en français) avança l’idée que l’un des atouts majeurs de Trump contre Clinton fut sa supériorité numérique. Ferguson croit que Trump a dominé Clinton en deux champs de bataille clefs – Twitter et Facebook. Il ajouta ensuite que sans ces plateformes Trump aurait été forcé à conduire une campagne plus traditionnel et que Clinton – qui a dépensé plus du double de Trump – aurait eu un avantage décisif. Le traditionnel DeSantis devra s’améliorer, s’adapter à son époque ; garder sa tenue mais au même temps devenir plus moderne, plus branché. Néanmoins, il court le risque de se perdre dans une arène inconnue et âpre, une arène où son compétiteur se sent chez lui.
Axios reporta récemment, début juin, que YouTube – un autre champ de bataille important – avait renoncé à modérer les vidéos d’election denialism. Un message passé presque inaperçu en Europe. Vous vous demandez : qu’est-ce que l’election denialism ? Tout simplement dire que l’élection de 2020 aurait été volé, ou qu’elle aurait été victime d’irrégularités importantes, ou que les machines électorales n’étaient pas fiables.
La Silicon Valley a souvent un coup d’avance sur les mortels. Elle sait, très probablement, des choses que nous ignorons. Cette décision pointe vers une direction : une autre présidence Trump est absolument possible. La Valley craint que Trump soit moins accommodant la seconde fois, donc elle essaie de détendre les tensions en se préparant, selon elle, pour le pire.
Il est fort probable que Trump continue à représenter DeSantis comme quelqu’un prêt à tout céder aux puissants, y compris les puissants du numérique. Un choix binaire s’ouvrira devant le gouverneur de Floride : soit il se laisse prendre à l’hameçon et il dénonce les excès de Trump, soit il essaie d’en faire plus que Trump. Il est trop tôt pour dire quel chemin il suivra. Une chose paraît néanmoins définitive, il aura un allié de poids en Elon Musk, l’extravagant Sud-Africain a déclaré son intention de vote.
Les limites de la présidence
Trump et DeSantis paraissent seuls, de loin les deux candidats les plus solides, mais ils ne le sont pas. Le vice-président de Trump, Mike Pence, est candidat. Le quatrième homme est Vivek Ramaswamy, un illustre inconnu aux racines indiennes. D’autres se joindront avec le but ultime d’être le nouveau président des États-Unis, cette place si mythifiée – le leader du monde libre – et si fantasmée.
En réalité le président américain est très ligoté, pas nécessairement juridiquement mais politiquement. Au-delà de l’Atlantique le président n’a pas le même pouvoir qu’il aurait en Russie ou en France. Il est placé dans un système de checks and balances (freins et contrepoids en français) où son pouvoir est dilué. Les dernières décennies l’ont démontré. Mais l’Histoire, toujours imprévisible, peut nous porter dans un monde où un président plus puissant sera recherché…