Les participants à la réunion du Conseil de l'Atlantique Nord (NAC) sont photographiés lors du sommet de l'OTAN à Vilnius le 11 juillet 2023. Photo : Paul ELLIS / POOL / AFP.
« Ce sommet de l’Alliance atlantique a été celui de l’unité, de la détermination et de l’efficacité… nous défendons la Charte des Nations unies et notre stabilité internationale ». Ainsi s’exprime le Président français en clôture du sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Vilnius les 11 et 12 juillet derniers. Bien lointaine est l’appréciation sévère portée sur l’Alliance par Emmanuel Macron le 7 novembre 2019, évoquant la « mort cérébrale » de celle-ci. Lazare serait-il l’autre qualificatif de l’OTAN ? En tout état de cause trois apports majeurs sont à mettre à l’actif de ce dernier sommet atlantique : l’entrée de nouveaux membres, le rôle charnière de la Turquie et le renforcement de l’organisation.
De nouvelles adhésions : Finlande, Suède… et Ukraine ?
Le 4 avril 2023, la Finlande est devenue membre à part entière de l’OTAN en remettant son instrument d’accession, la première étape ayant été sa demande officielle le 18 mai 2022. Tel a été le paradoxe de l’agression russe : la Finlande était restée neutre depuis 1945 afin de ne pas provoquer son voisin, et c’est justement le déclenchement de la guerre qui l’a décidée à rejoindre l’Alliance… La Suède a demandé son adhésion à la même période et elle est « invitée » depuis juin 2022, mais s’est d’emblée heurtée au veto turc, qui n’a été levé qu’in extremis, autorisant enfin l’entrée de son 32° membre à l’OTAN. Ce point sera traité plus loin.
La question qui retenait l’attention de tous était celle de l’adhésion de l’Ukraine.
Le sommet de Bucarest en 2008 avait fait montre d’une réserve certaine : « L’OTAN se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance… nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN » (Déclaration du 3 avril 2008). Le souhait alors de ne pas contrarier la Russie avait conduit à cette formulation des plus timide. Le déclenchement des hostilités a changé évidemment les positions des membres de l’Alliance. La France, malgré ses réticences initiales, fortement critiquées par le Président ukrainien Volodymyr Zelenski, est désormais en faveur de l’adhésion future de l’Ukraine : « La France se résout à soutenir l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN » (juin 2023).
Cependant, le Président Biden - avant même le début du sommet - a déclaré que l’Ukraine n’était pas prête à rejoindre immédiatement l’OTAN. Si tel était le cas, les alliés seraient ipso facto en guerre avec la Russie de par les règles de l’Alliance. C’est pourquoi le communiqué final de Vilnius précise : « Nous serons en mesure d’adresser à l‘Ukraine une invitation à rejoindre l’Alliance lorsque les Alliés l’auront décidé et que les conditions seront réunies ». Il n’y a donc pas d’invitation de la part des pays membres et des structures dirigeantes de l’OTAN pour une invitation de Ukraine formelle.
L’Ukraine n’est pas pour autant négligée.
Tout d’abord, un Conseil OTAN-Ukraine est institué et il s’est réuni d’emblée le 12 juillet, ayant pour finalité un dialogue politique suivi. Un programme pluriannuel a été ainsi établi afin de remplacer les équipements et normes soviétiques par ceux de l’OTAN, de favoriser l’interopérabilité et l’efficacité des forces armées ukrainiennes, et en prenant la suite d’un programme similaire présenté au sommet de 2022. Le soutien s’étend au-delà de l’Alliance, Le G7 et l’Union européenne s’engageant à une aide militaire et économique sur le long terme. Les Etats unis vont fournir des armes à sous munitions, particulièrement meurtrières… Il est donc établi que l’Ukraine bénéficie d’un appui occidental solide et continu, bien loin de la présumée « paralysie » affligeant les démocraties.
Le rôle charnière de la Turquie
Dès la demande de la Suède et de la Finlande d’intégrer l’Alliance, la Turquie avait fait part de son opposition, reprochant en particulier aux royaumes nordiques leur complaisance vis à vis des terroristes séparatistes kurdes du PKK et de ses alliés (mouvements kurdes au cœur de la géopolitique d’Ankara), et fustigeant le refus de pays du Nord de l’Europe d’en extrader les membres puis d’avoir interdit en 2019 les exportations d’armes vers la Turquie.
La Finlande a rapidement cédé, mais la Suède a été plus réticente. Cependant, elle a adopté une nouvelle législation antiterroriste en juillet 2022 qui autorise finalement la facilitation des poursuites pour le financement du terrorisme. Puis elle a révisé sa constitution, renforcé sa coopération dans la lutte contre le terrorisme et a annoncé la reprise de ses ventes d’armes à la Turquie, sans préjudice de la signature d’un nouveau pacte de sécurité bilatéral.
Le président Erdogan a ensuite fait monter les enchères en liant l’entrée de la Suède dans l’OTAN à la réouverture des discussions sur le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Cette exigence - que d’aucuns ont jugé proche du chantage - a pourtant porté ses fruits. Le secrétaire général de l’OTAN a ainsi déclaré que la Suède avait accepté « comme membre de l’UE, de soutenir activement les efforts visant à redynamiser le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE et de contribuer à la modernisation de l’accord d‘union douanière UE-Turquie et à la libéralisation des visas ». A l’évidence, cette attitude suédoise approuvée par l’Alliance démontre l’importance d’Ankara à ses yeux, ce que le Président turc sait pertinemment. Les propos du Président Biden sont à cet égard fort révélateurs : « impatient » d’accueillir Stockholm comme 32° Etat membre, il est prêt à travailler avec le Président R. T. Erdogan « au renforcement- de la défense et de la dissuasion dans la zone euro-atlantique ». C’est pourquoi celui-ci a finalement levé son veto et affirmé que le protocole d’adhésion de la Suède serait transmis dès que possible au Parlement turc.
Le renforcement de l’organisation
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine les alliés ont opté pour le renforcement de la dissuasion et de la défense. La Russie et la Chine sont désignées clairement comme des menaces majeures. La seconde est accusée d’utiliser « un large éventail d’outils politiques, économiques et militaires pour accroitre son empreinte mondiale et projeter sa puissance ». Elle met en cause la sécurité de l’Alliance par des opérations hybrides et cybernétiques malveillantes. Il n’est guère de région du monde qui ne revête une importance stratégique : mer noire, Moyen Orient, Afrique, indo-pacifique… C’est pourquoi l’accent est mis sur le renforcement de la défense dans la partie orientale de l’Europe par la posture de dissuasion par déni, c’est à dire dissuader toute avancée russe par une présence armée opposée à tout attaquant éventuel. Au déploiement de forces armées en Pologne et dans les pays baltes après la crise de 2014 en Ukraine répond l’accroissement de leurs effectifs et un nouveau déploiement en Roumanie, Bulgarie, Hongrie, et Slovaquie.
Mais l’OTAN est plus ambitieuse. Trois plans régionaux de défense seront dressés afin de préciser où et comment les postures de défense seront renforcées (Atlantique et Arctique, Baltique et Europe centrale, Europe du sud), concrétisant le nouveau modèle de force évoqué en 2022 qui prévoit l’institution d’une force opérationnelle de 300 000 hommes.
Ces projets impliquent les efforts budgétaires en relation. En 2014 l’engagement avait été pris de consacrer à échéance de 10 ans près de 2% du produit intérieur brut à la défense. En 2023 seul un tiers des Etats a atteint ce pourcentage de ce qui dorénavant est un seuil et non plus un plafond. Le sommet formule autrement l’engagement : les membres investiront au moins 2% de leur PIB dans la défense.
L’Alliance d’après le Président Macron pose le principe « que l’Union européenne et ses membres assument ensemble de plus grandes responsabilités pour la sécurité du continent », et cite l’Europe de la défense. Pour autant ce n’est encore qu’un vœu pieux car les relations institutionnelles sont minimales entre les deux entités, et le pilier européen de l’Alliance en est encore au stade incantatoire.
Le conflit russo-ukrainien oriente les choix et les engagements des alliés au détriment de la mise en œuvre des desseins de l’Alliance, et probablement pour un temps certain.