Le processus d’élaboration des politiques générales, diplomatiques, défensives et économiques affronte des défis majeurs non seulement dans les pays pauvres ou en voie de développement mais au niveau du monde entier. Des défis qui semblent inédits pour la génération actuelle de politiciens: après avoir vécu plus d’un siècle pivotant autour de l’axe du pouvoir de l’Occident, le monde témoigne actuellement de son déplacement vers l’Orient, créant ainsi des troubles géopolitiques globaux. De graves répercussions se font sentir telles la guerre d’Ukraine et la pénurie alimentaire et énergétique.
Sont également sans précédent, les défis écologiques auxquels fait face le monde de nos jours et qui sont parfaitement ignorés par cette génération de politistes: les institutions où ils ont été formés considéraient- jusqu’aux derniers temps- le discours portant sur l’environnement et les risques prévus comme exagéré, terrifiant et injustifié. Aujourd’hui, la colère de la nature menace des pays vulnérables tels le Bangladesh, le Pakistan et la Somalie autant que des pays industrialisés comme les Etats Unis. A cela s’ajoute les catastrophes sanitaires qui ont dévasté le monde : la pandémie du Covid-19 et, par ricochet, ses retombées humaines, économiques et sociales.
Du reste, le monde a traversé de graves crises économiques qui pointent du doigt les preneurs de décisions eux-mêmes et leur mauvaise évaluation de la conjoncture mondiale. En 2021, jugé transitoire par les responsables de la FED, l’inflation- qui aurait pu être jugulée facilement- a été combattue tardivement par les autorités financières. Elles n’ont entrepris leur maximum de mesures draconiennes pour la contrecarrer et la dominer que lorsqu’elle a pris des dimensions monstrueuses pour devenir le garou universel des quarante dernières années. Le monde entier et surtout le monde en développement paye la facture de cette mauvaise évaluation et de l’inflation qui en a découlé, concrétisée par un taux galopant de la pauvreté et de l’endettement. Un long chemin reste encore à parcourir surtout après que la FED a haussé- mercredi dernier- le taux d’intérêt américain à son plus haut niveau depuis 2007.
L’Egypte paie double le coût des défis
Comme tout autre pays du monde, l’Egypte paye le prix de la confrontation de défis sans précédent surtout régionaux, sur les plans géopolitique et économique qui mettent en jeu la sécurité de ses frontières, de son économie et de sa société. Elle paye donc le coût de conditions qui lui sont imposées et ne dépendent nullement de son bon vouloir. De plus, elle déploie tous ses efforts pour que ses erreurs de gestion de sa politique économique ne soient pas surfacturées, vu que l’économie est l’échine dorsale de la force, tant que c’est l’excédent de la puissance économique qui nourrit le pouvoir militaire, diplomatique et l’équilibre dynamique de la société. Et, il va sans dire- sans extrapolation- que le déficit économique génère de fortes pressions qui pèsent sur ces forces. Et pour combler le déficit et « le besoin de la force», certains pays ont recours à « l’emprunt à court terme » afin de bâtir les potentialités à long terme et réaliser la force durable. Nous avons vu comment les dettes internes des pays industrialisés sont montées en flèche pour atteindre un niveau tel, dépassant le PNB. Les Etats Unis, le Japon et le Royaume Uni en sont l’exemple. Des pays en développement - dont l’Argentine et l’Egypte- ont trouvé indispensable l’emprunt pour financer la demande locale mais au lieu de l’utiliser pour combler un déficit à court terme, ils en ont usé pour financer des ambitions à long terme engendrant ainsi des difficultés multiples qui exigent une grande sagesse pour arrondir leurs ongles en premier lieu et s’en débarrasser en deuxième lieu. Et tant que les pays en développement souffrent du besoin de financement, ils auraient dû mettre en application la règle selon laquelle « la nécessité est mère de l’invention » - un chemin long et cahoteux qui mène à la construction durable des potentialités - et non celle, créée de toutes pièces par leur propre logique, qui dit que « la nécessité est mère de l’emprunt » : un chemin court et facile au démarrage mais qui pourrait être catastrophique à son issue.
Une politique du savoir
Le distinguo entre les deux logiques n’est pas autant basé sur une conception idéologique sociale que sur une autre qui met en valeur les considérations de la performance et de l’action qui augmente la productivité et favorise le passage d’une logique qui cherche à « réaliser le gain par la supercherie » à une autre qui vise à réaliser l’accumulation et l’excédent économique par « le travail ». La supercherie est une voie rentable à court terme, aléatoire, sujet au hasard et a parfois besoin de la connivence. Quant au travail, il a pour armature le savoir, la planification et la technologie. Le monde entier est convenu qu’il a besoin de ces trois armes pour réaliser le développement durable. Nous savons qu’au cours des dernières décennies, les Egyptiens connaissent un développement démographique annuel de l’ordre de 2%. Comment pourrait-elle être traduite au niveau de l’économie? La demande connaitra au moins la même augmentation pour garder tel quel le niveau de vie de la population. Néanmoins, si l’on cherche à hausser le niveau de vie de 2%, nous aurons besoin d’un rythme de développement réel d’au moins 4% par an, à condition de garantir une distribution équitable et de mettre fin aux disparités. C’est une condition sine qua none pour empêcher une concentration des richesses entre les mains d’une minorité de groupes d’intérêt. Mais, si en tant que pays en développement, l’Egypte aimerait naviguer de conserve avec les pays en développement émergents et emprunter le chemin de la compétition dans les marchés internationaux, elle doit réaliser un taux de développement moyen de 7% par an, à l’instar du Vietnam, de la Thaïlande, du Cambodge et de l’Inde.
Sinon, partira en chute libre le niveau du bien-être social et s’annihilera la compétition. Cette détérioration deviendra forte en cas d’échec d’une juste «répartition des charges économiques» de manière à engendrer des phénomènes négatifs qui auront des impacts profonds tels la pauvreté, l’analphabétisme et la maladie et entraveront la construction de la société du savoir. Et comme ce savoir est une condition préliminaire de la fondation de la résilience, la société perdra, par la suite, son pouvoir de résistance. L’esprit social s’érodera graduellement et le « trait d’esprit » deviendra l’arme de l’impuissance et de l’incapacité à résister. Et, avec ce sens de l’humour, et ce type de comportement, la nonchalance empiètera sur le travail.
Dans ce cas, les hommes mènent leur vie selon un mode de pensée défaillant, rapide et à court terme. Cette logique a été disséquée par le « prix Nobel d'économie » en 2002 et professeur en sciences du comportement Daniel Kahneman dans son ouvrage intitulé « Thinking Fast and Slow ». Il a fait évoluer la théorie du comportement du consommateur qui a abouti au changement de la courbe de la demande en ajoutant «les perspectives des consommateurs » de manière à en faire l’une de ses variantes. La pensée rapide est le reflet des facteurs instinctifs qui engendrent des réactions en manque de la réflexion profonde. Elles génèrent la logique de « la nécessité est mère de l’emprunt » En contrepartie, la réflexion lente basée sur la recherche et la déduction et qui fait prévaloir des points de vue et des actes est la genèse de la règle de « la nécessité est mère de l’invention », c’est à dire la construction des potentialités et le renforcement de l’offre.
Bâtir la résilience
Vu que le monde traverse une époque chaotique- jamais vue depuis la nuit du temps- en raison d’une concurrence acharnée à sa direction et sa transmutation de l’unipolarité à la multipolarité, le besoin grandissant se fait sentir de supporter le coût découlant des troubles et des bouleversements des facteurs externes non subjugués à notre volonté, considérés comme des vérités acquises que nous n’avons pas créés et par conséquent échappent à notre pouvoir de les modifier. Bâtir notre résilience est la bonne voie qui conduit à supporter le coût des graves crises écologiques que traverse notre planète. En fait, elles ont été pour de longues décennies l’objet du déni de la part d’un grand nombre de politiciens et de groupes d’intérêt étroit. Et, au fur et à mesure que ces crises gagnaient en ampleur que cette dénégation devenait violente. Et voilà que nous observons- avec tous les peuples qui cohabitent avec nous la planète terre- combien la colère de la nature anéantit la vie sur terre par les incendies, les inondations, la sécheresse et la désertification, ces phénomènes récurrents, sporadiques et intermittents. Nul peuple ne pourra intervenir à lui seul en vue de contrecarrer ces phénomènes. C’est pourquoi, des voix s’élèvent de par le monde prônant la coopération pour réduire les émanations toxiques de carbone, limiter la désertification et emprunter la voie de la croissance verte qui vise à rétablir l’équilibre environnementale entre la production de l’oxygène et du CO2. Nonobstant, cette coopération est l’objet de multiples entraves qui limitent toujours son efficacité, rendant impératif la construction de la résilience aux perturbations climatiques aigües à travers des programmes propres à chaque pays en vue de limiter les dégâts qui en découlent. Bâtir la résilience climatique est une responsabilité nationale qui doit être poursuivie par chaque pays à l’intérieur de ses propres frontières pour protéger son peuple et ses capacités à vivre. Cette puissance économique et sociale repose sur des facteurs et des capacités nécessairement pérennes qui ne se prêtent pas à la logique de « la supercherie » ou à celle de « la nécessité est mère de l’emprunt » mais plutôt à celle de « la nécessité est mère de l’invention »
Bâtir cette résilience n’est ni du ressort du FMI ni ne le sera par le recours à l’emprunt via « Le Fonds de Résilience », ce nouveau mécanisme créé par l’institution financière internationale en vue d’aider les Etats à panser les plaies des bouleversements géopolitiques et écologiques dont ils souffrent. A ce propos, la mission du FMI se limite à soumettre les solutions rapides aux problèmes urgents. Elle est comparable- à ce stade- au « kit de premiers soins » indispensable à cicatriser les blessures et à stopper le saignement. C’est la logique de soulagement des symptômes. Le traitement efficace à long terme ne se produit que par une volonté locale à bâtir et à renforcer la résilience quelques importantes que soient les aides étrangères obtenues par aucun pays pour des considérations soit géopolitiques ou fraternelles, religieuses ou nationales. Sans cette volonté à la base de la logique que « la nécessité est mère de l’invention », tout aide de pansement des blessures ou de traitement des symptômes accordée par l’étranger ne servira qu’ à un piège historique pour abattre la volonté nationale, conserver la maladie et maintenir le malade en vie soit intentionnellement ou de bonne foi.
La trappe géopolitique
Au cours de son histoire, l’Egypte est tombée dans une sorte de « trappe géopolitique ». L’Egypte est le carrefour des trois continents de l’ancien monde. Elle est l’atelier de la civilisation humaine et son origine. C’est une oasis verte au milieu d’une mer de sable protégée par la mer et le désert. Au cours de ses périodes de faiblesse, elle a été l’objet de l’occupation pour de très longues périodes. Son excédent économique en a été usurpé au fil des années. Les paysans, jusqu’aux années soixante du siècle dernier, labouraient les champs et vivaient dans des maisons de terre crue pour être enterrés dans des tombes en boue. Au contraire, les occupants envahisseurs et les guerriers esclaves ont viré cet excédent vers leurs pays d’origine ou en ont profité pour en faire des monuments qui témoignent de leur despotisme. Et, c’est en raison de sa situation géographique que l’Egypte est devenue le grand prix remporté par la force victorieuse dans le monde. Elle a été gouvernée par les Perses, les Grecs, les Romains, les Arabes et les Mamelouks (qui sont des esclaves guerriers de races différentes dont le pouvoir a augmenté vers la fin du règne de la dynastie musulmane des Ayyoubides pour s’emparer enfin du pouvoir). Leur succédèrent l’empire ottoman, les Français et les Anglais. Après son indépendance, l’Egypte a été convoitée par les forces antagonistes qui briguaient le pouvoir à travers le monde. Et, dans cette course au prestige, les dirigeants de l’Egypte ont trouvé l’occasion de se livrer au jeu de l’alliance à une partie contre l’autre, en ciblant les intérêts de la partie adverse et en obtenant des bénéfices énormes. Néanmoins, l’Egypte est toujours consciente de la nécessité d’œuvrer en vue de réaliser un équilibre délicat qui la prémunisse contre le danger de s’enliser dans « la trappe géopolitique», de faiblir ou de redevenir la proie d’une force étrangère.