Le mois de juillet se rattache, dans l’histoire de l’humanité, à un certain nombre d’incidents et à de grandes révolutions dont les deux révolutions américaine et française. Je signale, à ce propos, les trois révolutions qu’a connu l’Egypte, au cours de ce même mois, tout le long des trois derniers siècles : en 1795, 1952 et 2013. Chacune d’elles ont bouleversé, de fond en comble, l’Egypte sur les deux plans politique et social.
La première en date a éclaté pendant la royauté égyptienne qui a connu des hauts et des bas. A titre d’exemple, Ali Bey al-Kabir qui a accédé au pouvoir en 1768 et a tenté- en vain- de faire accéder l’Egypte à l’indépendance loin de l’autorité ottomane. Plus tard, deux mamelouks ont occupé la tête du pouvoir : Mourad Bey et Ibrahim Bey et la révolution de 1795 a été déclenchée en raison de l’arbitrage et des impôts injustes.
Selon le récit donné par Abd al-Rahman al-Jabarti, « Des hommes de Bilbeis étaient venus voir les cheiks d’Al- Azhar pour se plaindre de l’injustice et désapprouver le despotisme ignare. Les cheiks d’Al- Azhar : Charkaoui, Sadate, Al-Bakri, Umar Makram accompagnés d’une grande partie de la population cairote ont exprimé leur refus des pratiques des dirigeants. Ibrahim et Mourad bey ont dû alors revenir sur leurs pas et signer un document légal devant le chancelier de la justice. Il fut également signé par le gouverneur ottoman. Ils s’y sont engagés à ne plus collecter de fonds, à ne pas confisquer les waqfs ni toucher aux dus des cheiks d’Al-Azhar qu’après avoir reçu l’avis et la guidance de la part des grands cheiks. Ce document servait de contrat politique entre le peuple et ses dirigeants.
La deuxième révolution, 1952, a éclaté tout d’abord comme un mouvement des forces armés sans aucune participation civile. Elle n’a pas tardé à se muer en une révolution intégrale et à générer des transmutations profondes dans le système du gouvernement, dans le mode même de la politique générale et du système des idées qui régnaient à l’époque. Ces métamorphoses étaient susceptibles de retracer la carte de la hiérarchie des classes et des tranches sociales et de modifier l’équilibre des forces au Moyen-Orient et ses relations avec le monde.
En ce qui concerne la troisième révolution, elle fait référence aux incidents du premier au 3 juillet 2013. C’est au lendemain de la prise du pouvoir par les Frères musulmans et leur tentative d’imposer à la société une nouvelle identité qui diffère de celle dont les Egyptiens avaient coutume pour des décennies que la situation politique du pays s’est fortement dégradée et s’est constitué le front du salut qui réunissait un grand nombre de personnes de tous les partis démocrates et civiles. C’est ainsi que prit naissance le mouvement Tamarod qui a lancé un appel à des élections présidentielles anticipées et a récolté, pour soutenir cette demande, un nombre de signatures qui dépassait celui obtenu par le président aux élections.
Le 30 juin, les forces de l’opposition ont appelé la foule à descendre dans les rues afin d’exercer une pression sur le président pour tenir ces élections anticipées. De leur part, les Frères musulmans ont fait de même et appelé leurs partisans à s’amasser dans les rues. L’ambiance était polarisée et préparée à l’entrechoc entre les deux parties. L’armée était aux aguets et a publié un communiqué mettant en garde contre cet antagonisme qui pourrait mener le pays dans une impasse. Elle a invité les deux parties en conflit à la nécessité de parvenir à un accord et accordé un délai d’une semaine pour y parvenir qui touchait à sa fin le premier juillet.
Ce jour-là, un communiqué des forces armées a confirmé que tout en ne constituant pas une partie politique, elles se portent responsables de protéger la sécurité nationale de l’Egypte, vu que la situation en cours représente un grave danger contre la sécurité du pays. Et, le communiqué a accordé à « tous » voire au pouvoir et à l’opposition un délai de 48 heures. Au terme desquelles, si les revendications populaires n’étaient pas satisfaites, elles entameraient une « feuille de route de l’avenir » à laquelle participeraient toutes les factions et les tendances nationales dont les jeunes sans en exclure quiconque. Cependant. la revendication populaire de tenir des élections présidentielles anticipées a été rejetée par le pouvoir: les foules sont restées donc stationnés dans les rues et places.
A l’issue des 48 heures, une réunion a été tenue au ministère de la défense à laquelle ont participé les représentants des acteurs de la vie politique et sociale dont Mohamed El-Baradéi le représentant du courant libéral, des représentants des coalitions des jeunes, le mouvement Tamarod, le parti salafiste « Al-Nour », l’auteure Sekina Fouad, l’Imam d’Al-Azhar et le pape de l’Eglise orthodoxe. Ils sont convenus sur les grandes lignes de cette feuille de route. Le ministre de la défense de l’époque Abdel-Fattah Al-Sissi en prononça la formule définitive. Tous les participants ont intervenu- après lui- et ont mis l’accent sur la nécessité de n’exclure aucune partie du nouveau processus politique. Il est à noter qu’une invitation a été adressée au parti «la liberté et la justice » qui représente les Frères musulmans afin d’y déléguer l’un de ses dirigeants pour assister à la réunion. Néanmoins, le parti a décidé de la décliner.
Le communiqué a confirmé que cette action des forces armées a été entreprise en vue de répondre aux revendications populaires et à la descente dans la rue de milliers d’Egyptiens. Le pouvoir n’avait pas donné satisfaction à leurs revendications ni à celles des partis d’opposition qui portaient sur la tenue d’un dialogue qui contrecarre les causes de la fissure sociétale, dissipe les causes de la tension et affronte les risques et défis qui mettent en jeu la sécurité de la nation.
Le communiqué a suspendu la mise en exécution de la Constitution de 2012 publié par les Frères musulmans. Le président de la Haute Cour Constitutionnelle accédera au poste de président de la république pour une durée d’un an qui sera suivi par des élections présidentielles et législatives. De telles décisions ont ouvert la porte à une nouvelle phase d’évolution politique et économique en Egypte: toutes les forces civiles et l’ensemble des manifestants se sont félicités de la teneur du communiqué et des millions d’Egyptiens se sont rassemblés dans tous les gouvernements pour célébrer la réalisation de leurs revendications.
Bref, si la révolution de 1795 a été un mouvement populaire par excellence qui a imposé aux dirigeants le changement de leurs politiques, celle de 1952 était un mouvement militaire autour duquel la société s’est réunie pour qu’enfin le déclic de celle de 2013 soit le mouvement populaire auquel ont fait écho les forces armées par leur réponse et leur soutien.