Des policiers anti-émeutes courent lors de manifestations à Nanterre, à l'ouest de Paris, le 28 juin 2023, un jour après le meurtre de Nahel M., à Nanterre par un coup de feu d'un policier à la suite d'un refus de se conformer. Environ 2 000 policiers anti-émeute ont été appelés pour empêcher des affrontements dans les banlieues parisiennes, la colère mijotant à la suite de la mort du jeune de 17 ans qui a reçu une balle dans la poitrine à bout portant tôt le 27 juin 2023. Photo : Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP.
Pour l’auteur, qui est un expert de la politique sociale, la situation dans les banlieues en flamme ne peut pas s’expliquer sans comprendre les dysfonctionnements de la politique sociale et d’aide à l’enfance en France, littéralement sapée de l’intérieur par de multiples effets pervers et corporatismes ennemis de l’efficacité et du Bien commun
Dans l'immense majorité des pays, l'éducation, c'est à dire le fait d'accompagner autrui à se conduire hors de lui-même, est dispensée par les parents, la famille avant tout. Cette conduite hors de soi-même varie en fonction des pays, des cultures. Même s'il y a certains points communs, il n'y a pas une éducation universelle. L'essentiel réside dans le fait que les personnes qui habitent dans un même pays partagent la même éducation leur permettant de respecter les mêmes lois et règles.
En France, lorsque les parents sont défaillants pour diverses raisons : maladie, absence, problèmes sociaux..., c'est l'ASE, l’Aide Sociale à l'Enfance, qui prend le relais grâce à ses éducateurs spécialisés diplômés d'Etat. Lorsque le jeune est délinquant, c'est la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse) qui prend le relais grâce à ses éducateurs formés en interne par le Ministère de la justice ( ce ne sont pas des éducateurs spécialisés diplômés d'Etat).
L’ASE et la PJJ
Ces deux institutions ont des spécificités propres et des agents qui ont des formations différentes qu'il est impératif de respecter. Elles sont complémentaires et permettent de prendre en charge tous les mineurs possibles en France, à condition de bien respecter les spécificités de chacune d'elle. C'est le juge des enfants qui confie ( dans la plupart des cas) le jeune à une de ces 2 institutions, en fonction de la problématique présente. A charge pour ces institutions de faire respecter la mesure éducative ( ou sanction éducative) prononcée par le magistrat.
Et le problème se situe bien à ce niveau-là pour plusieurs raisons.
-la PJJ qui reconnaît elle-même un taux de remplissage de ses structures d'hébergement bien inférieur à 100% n'hésite pas à faire orienter les mineurs délinquants vers l'ASE dont le personnel n'est pas compétent du tout.
- le non-respect des sanctions, les divers allègements de sanctions, l'incapacité des éducateurs à dire: NON, aux demandes des mineurs pour assurer leur propre tranquillité, ne permettent plus aux mineurs de travailler leur frustration. L'éducateur ne veut pas de conflit avec le jeune car il est considéré comme défaillant par sa hiérarchie. Aussi, l'éducateur ne pose pas de limites ( base de toute éducation) aux jeunes, qui lui, imposera sa volonté. Tout est dû au jeune, il n'attend pas, il exige et veut tout, tout de suite. Et il obtient. Le jeune, pour se structurer, se façonner, cherche la limite qui n'arrive pas ou qui arrive malheureusement de façon brutale et irrémédiable.
- les éducateurs accèdent systématiquement aux demandes des mineurs, les responsables de services et les directions agissent de même pour qu'il n'y ait pas de tension. Et ce sont les travailleurs sociaux qui dénoncent ces pratiques éducatives désastreuses pour les jeunes qui sont "placardisés".
Comment expliquer qu'un mineur (ou quelqu'un en général) qui a un revolver pointé sur lui, n'obtempère pas?
Plusieurs réponses viennent à l'esprit : le mineur est inconscient, sous l'emprise de stupéfiants, ou alors il ne croit pas celui qui menace d'utiliser son arme, enfin, il pense que l'arme est factice.
Du psychologique au social
Dans les 2 premiers cas, c'est le domaine psychologique ou psychiatrique qui est en jeu. Dans les 2 derniers cas, c'est le domaine social qui est en jeu. En effet, le jeune ne croit absolument plus l'adulte même dans des situations extrêmes. Il continue donc à suivre son idée.
Comment le jeune en est-il arrivé à ne plus croire du tout l'adulte ? C'est certainement car l'adulte n'est plus fiable, il ne tient pas sa parole. Il ne permet donc pas au jeune de se construire sur le modèle de la fiabilité car il n'a pas l'exemple adéquat sous les yeux. C'est donc tout ce système éducatif défaillant, en particulier la PJJ, qui doit s'occuper des mineurs délinquants qui a formaté les mineurs pris en charge, à ne pas croire en l'adulte en général et en la justice en particulier. Malheureusement, il n'est pas censé avoir, en France, de structures plus cadrante que la justice. Nous pouvons donc craindre que la structure cadrante qui se substitue à la justice est une autre structure, illégale, elle.
A force de ne pas tenir ses promesses, de ne pas faire appliquer la décision judiciaire, de couvrir les déviances du jeune devant les juges des enfants, les éducateurs mettent à mal la fiabilité de la justice ( et des adultes en général) aux yeux des mineurs. Ces mineurs se rendent bien compte qu'ils ne respectent pas ce que le juge a ordonné et pour autant que la sanction en cas de non-respect ne tombe pas. L'éducateur est complice du jeune dans sa déviance et trompe également le juge qui a ordonné la mesure éducative.
Lorsque l'adulte censé éduquer n'est pas en mesure de faire respecter les limites qu'il a lui-même fixé, le contrat social n'existe pas. Le jeune se fixe lui-même ses propres limites qui dépendent non pas de la loi mais de son tempérament, de ses envies, de son choix. Le jeune se tourne vers quelqu'un en qui il a confiance, quelqu'un qui peut lui apporter ce qu'il lui a promis.
L'éducateur sacrifie égoïstement le mineur sur l'autel de ses ambitions professionnelles ou de sa supposée tranquillité. Cet éducateur occulte le fait que vivre ensemble c'est avoir des règles communes et que les plus âgés élèvent ( au sens littéral du terme) les plus jeunes, afin qu'il existe une vie commune. La place de l'éducateur restée vacante est prise d'assaut par d'autres éducateurs, non professionnels, ne répondant plus à une volonté de faire respecter la décision judiciaire, mais répondant à la loi du plus fort, appelée familièrement loi de la jungle.
La France dispose de toutes les structures pour très bien éduquer les jeunes en difficulté, mais elle ne les utilise pas à bon escient car ses structures sont perverties de l'intérieur…
La France dispose de toutes les structures pour très bien éduquer les jeunes en difficulté familiale ou délinquants. Hélas, force est de constater qu’elle ne les utilise pas à bon escient car ses structures sont perverties de l'intérieur. En effet, il faudrait que chacun reste à sa place, exerce la profession pour laquelle il est formé. Chaque institution doit donc prendre en charge les jeunes correspondants à ses compétences professionnelles.
L'ASE et la PJJ doivent rester des moyens publics pour éduquer les jeunes et non pas des moyens publics pour assurer la promotion sociale privée de certains de ses employés prêts à tout pour leur carrière professionnelle. Il faut donc arrêter le "pas de vague", les dysfonctionnements doivent être abordés, discutés ouvertement et des solutions doivent être mises en place. La pratique actuelle basée sur le camouflage des dysfonctionnements et les arrangements avec les statistiques se font au détriment des jeunes , à l'encontre des jeunes et contribue à les maintenir dans une position de défi vis-à-vis de la société.
Ces jeunes ne croient pas dans l'adulte, dans sa fiabilité, et cette position est le fruit d'une pratique éducative désastreuse répandue depuis des années et, malheureusement, toujours d'actualité.