Accueil recherche MENU

Editos

Égypte : Dix ans après, retour sur la Révolution du 30 juin 2013

Le Dialogue

Le 30 juin dernier, l’Égypte a commémoré les dix ans de la Révolution du 30 juin 2013. Retour sur cet évènement historique qui a changé (pour le meilleur !) le destin de l’Égypte…

Mohamed Morsi, le candidat des Frères musulmans, avait remporté l'élection présidentielle de 2012, rendue possible par la révolution du 25 janvier 2011. Cette révolution que certains observateurs occidentaux avaient alors trop rapidement renommer le Printemps du Nil (à la faveur, à l’époque, des fameux « printemps arabes » en cours dans la région et faussement comparés aux printemps des peuples en Europe au XIXe siècle) se transforme très vite en hiver islamiste. En effet, car après les élections et des « transitions démocratiques » faisant suite aux manifestations historiques et sans précédent de 2011, en Égypte mais aussi dans tout le monde arabe, c’est la confrérie islamiste des Frères musulmans, oppositions politique la plus structurée et la mieux organisée, qui s’impose indiscutablement. Entre novembre 2011 et janvier 2012, l’organisation politico-religieuse radicale remporte les élections législatives égyptiennes (comme encore une fois en Tunisie, en Libye et ailleurs…). Sur une chambre de 498 députés élus, la « coalition démocratique » dirigée par le parti Liberté et justice des Frères musulmans a obtenu 235 sièges, tandis que le parti salafiste Al-Nour (« La Lumière »), dont l’émergence fulgurante a constitué une surprise pour tous les observateurs, a remporté 121 sièges. Les forces libérales se partagent le reste des sièges : 39 pour le parti Al-Wafd, 35 pour le Bloc égyptien (Al-Kutla al-Masriyya) et 10 sièges pour le parti Réforme et développement. La coalition révolutionnaire – « Révolution permanente » – n’a obtenu que 7 sièges.

Le 30 juin 2012, c’est donc Mohamed Morsi qui remporte sans surprise l’élection présidentielle égyptienne.

Quelques mois plus tard, le nouveau président frériste publie une déclaration constitutionnelle qui lui accordait des pouvoirs illimités. Logiquement, l'opposition accuse alors Morsi de restaurer la dictature, ce qui conduit finalement à renforcer les manifestations de masse régulières qui ont déjà lieu depuis novembre 2012 jusqu’en juillet 2013. Au-delà du basculement rapide du nouveau pouvoir islamiste dans l’autoritarisme, s’ajoute sa volonté de faire de l’Égypte un État quasi religieux, presque un nouvel Iran en version sunnite. De plus, Morsi et son gouvernement ont fait preuve d’amateurisme politique et d’une grande incompétence dans la gestion du pays. Sur le plan social, économique, sécuritaire et diplomatique, l’Égypte a connu alors entre juin 2012 et juillet 2013 une régression vertigineuse, ce qui envenime la colère de la majorité des Égyptiens, confrontés par ailleurs à de graves et nombreuses pénuries notamment de fuel.

Ainsi, la contestation atteint son apogée le 30 juin 2013, soit le premier anniversaire de la victoire de Morsi, avec plus de 10 millions de manifestants à travers l'Égypte qui descendent dans les rues et appellent à la démission du président. Précédemment, une pétition à cet effet avait été lancée par l’opposition et avait recueilli près de 22 millions de signatures.

Après trois jours de manifestations monstres anti-Morsi, la police et l'armée refusent les ordres de Morsi qui veut réprimer violemment la foule. Les deux institutions, piliers historiques de l’État égyptien, rejoignent l’opposition.

Fort d’un soutien notable de la majorité de la population, l’armée, toujours très populaire dans le pays, décide de reprendre les choses en main.

Comme le général Bonaparte, en France et en son temps, et devant le chaos postrévolutionnaire (voir mon dernier livre Sissi, le Bonaparte égyptien ? VA Éditions, 2023), le général Abdel Fattah al-Sissi, commandant en chef des forces armées et ministre de la Défense, donne 48 heures au président Morsi pour prendre les mesures nécessaires au rétablissement de la stabilité. Le 3 juillet 2013, en début de soirée, le CSFA ordonne et arrête le président Morsi et déclare qu'il n'est plus le président de l'Égypte à partir de cette date.

Le président de la Cour constitutionnelle suprême Adly Mansour a alors été nommé président par intérim du pays. Il ne s'est pas présenté à la présidence lors des élections suivantes, et qui seront remportées par Sissi…

La suite est connue… 

 

« Sissi ou le chaos » n’était pas qu’un slogan ! 

Bien que certains responsables occidentaux et que certains analystes, ont pris tardivement conscience que l’Égypte de Sissi était devenue, plus que jamais et dans une zone ayant connu une décennie de chaos, un facteur de stabilité important pour la région, que cet État est actuellement le pays arabe le plus peuplé (plus de 100 millions d’habitant) et qu’elle possède l’armée arabe la plus puissante et une position éminemment géostratégique, son président, au pouvoir depuis 2013, demeure un quasi inconnu et un véritable mystère pour les opinions publiques européennes et particulièrement française. Pire, avec la chape de plomb idéologique postmarxiste, le manichéisme béat et l’irréalisme géopolitique qui règnent sans partage dans les médias mainstream et surtout les milieux de la recherche occidentaux, Sissi a très mauvaise presse. Il est la plupart du temps moqué, critiqué pour sa gouvernance autoritaire et accusé de tous les maux. Or, il faut rétablir certaines vérités. 

Imaginons simplement une Égypte et un monde arabe actuel sans Sissi ! Car un autre scénario, qui donne froid dans le dos, était possible avec le printemps du Nil : les plans du Qatar et de la Turquie sont un succès dans cette Égypte de 2012, première puissance militaire et pays le plus peuplé de la région. Les Frères musulmans au pouvoir parviennent à purger l’armée et Morsi s’affirmant tel un véritable « Erdoğan égyptien », aussi retors et brutal que l’original, mâtent dans le sang les manifestations populaires de l’été 2013 et instaurent la plus grande république islamiste du monde arabe ! Si certains commentateurs ou « spécialistes » osent encore nous présenter les Frères musulmans égyptiens comme des « islamistes modérés » (qui n’existent pas !) ou mieux, comme des victimes ou de gentils moines bouddhistes persécutés par un « méchant dictateur », la réalité est tout autre. 

De même, si Sissi n’avait pas usé de la force envers cette organisation islamiste, la plus dangereuse de la planète et matrice idéologique d’Al-Qaïda et de Daesh, l’Égypte aurait pu aussi connaître une situation à l’algérienne des années 1990 ou plus récemment syrienne (devant la destitution de leur président, on oublie que les Frères musulmans s’apprêtaient à prendre les armes et à passer à la lutte armée !), et avec assurément une crise migratoire bien plus grave qu’en 2015 ! Cela aurait été un tournant tragique pour toute la Méditerranée et tout le Moyen-Orient et il suffit juste d’imaginer le cauchemar pour la région, l’Europe et surtout les Égyptiennes et les Égyptiens !

De fait, « Sissi ou le chaos » n’était donc pas qu’une formule de propagande.

Que cela nous plaise ou non, aujourd’hui, le raïs égyptien est un sauveur pour certains. Pour d’autres, sûrement plus nombreux, il est un moindre mal.

Certes on peut regretter que l’Égypte ne soit pas devenue depuis ces dix années écoulées une démocratie à la scandinave. Or penser cela, dans un contexte régional toujours aussi chaotique et incertain, c’est faire preuve de naïveté, de méconnaissance de la région et surtout mépriser finalement les cultures, les histoires, les traditions et les réelles aspirations (démocratie vraiment ?) de ses populations. 

De plus, qui sommes-nous, nous Occidentaux, pour juger et donner encore une fois des leçons de morale ? Surtout nous Français, puisqu’il nous aura fallu trois révolutions et cinq républiques afin de parvenir à une démocratie encore bien imparfaite…

En tout cas, qu’on l’apprécie ou pas, et ce n’est pas le rôle d’un observateur honnête intellectuellement que de faire ce genre de choix, on ne peut nier que même si les difficultés sont encore nombreuses pour réformer une économie archaïque et que les dangers et défis restent immenses, la modernisation et les changements apportés par Sissi à l’Égypte, ainsi que sa lutte acharnée (du jamais vu dans cette région !) contre les deux grands fléaux du monde arabe que sont l’islam politique et la corruption, sont véritablement « révolutionnaires », sans précédent historique et globalement positifs.

C’est pourquoi, comme dans mon ouvrage sur le président égyptien, s’inspirant de la célèbre citation de Spinoza, « Je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines : Ne pas rire, ni pleurer, ni détester, mais comprendre », j’ai tenté d’expliquer, loin du sensationnalisme médiatique et des filtres idéologiques déformants et dépassés, en vigueur en Occident, ce qui s’est réellement passé et ce qui est toujours en train de se jouer en Égypte et surtout de ce côté-là de la Méditerranée.