Enfin, selon les dernières déclarations du ministre iranien des affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian, un accord a été conclu entre l’Iran et les six pays du Conseil de Coopération du Golfe, en plus de l’Irak, en vue de la tenue d’une conférence des ministres des affaires étrangères des huit pays- l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït, le sultanat d’Oman, le Bahreïn, les Emirats Arabes Unis , l’Irak et l’Iran- en septembre prochain, à New York, sous l’égide du secrétaire général des Nations Unies, António Guterres. En cas de sa tenue et de sa réussite, cette conférence servira de pierre angulaire à un système régional subsidiaire au Moyen-Orient qui regrouperait les pays du nord et du sud du Golfe et ancrerait le principe de création des structures de coopération régionale avec l’adhésion de pays arabes et non arabes.
Cette évolution survient alors que les Etats Unis cherchent à assouvir l’ambition que la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël serve à retracer la carte des relations régionales dans le sens de la création d’un bloc visant la dissuasion de l’Iran et l’intégration politique, militaire et économique d’Israël dans la région. Une aspiration de l’ordre d’un souhait qui se bat contre la vérité que c’est la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran qui constitue effectivement le catalyseur principal d’un retraçage de la carte des relations régionales alors que le chemin de la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël est semé de multiples embûches. Le plateau de la balance penchera-t-il du côté de l’ambition qui éperonne Washington et Tel-Aviv ou du côté de l’accélération et de l’extension du domaine de la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran?
Une tendance iranienne à la coopération
La normalisation des relations entre Riyad et Téhéran constitue désormais l’un des axes clés d’une restructuration de l’image de l’Iran dans la région pour devenir positive et estomper son cliché de pays déstabilisateur et fomentateur de troubles afin qu’il représente désormais le pays qui cherche à assurer la stabilité et à renforcer la coopération. Le suivi de l’évolution des relations entre l’Iran et les pays du Golfe montre que c’est la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran et non entre elle et Israël qui détermine les grandes lignes des relations régionales actuelles, notamment au lendemain de la visite effectuée, le 17-18 juin courant, à Téhéran par le ministre saoudien des affaires étrangères le Prince Faisal bin Farhan et ses entrevues avec ses grands responsables. C’est au cours de cette visite que l’invitation a été adressée au président iranien pour visiter l’Arabie Saoudite et que des entretiens ont eu lieu entre les deux ministres des affaires étrangères au sujet de l’évolution des relations bilatérales entre les deux pays sur la base des intérêts communs. En outre, un dialogue sérieux a été entamé au sujet du renforcement de la sécurité régionale surtout au niveau de la sécurité de la navigation dans le Golfe et dans les routes maritimes internationales.
Le ministre saoudien a également mis l’accent sur l’importance d’interdire la course à l’armement, la nécessité d’observer les principes de la Charte des Nations Unies, les politiques de bon voisinage et la non-ingérence dans les affaires internes. Le ministre iranien des affaires étrangères a indiqué que la sécurité est inaccessible par la course à l’armement mais plutôt par la voie de la coopération globale au niveau du développement et la réalisation d’un avenir sûr aux pays de la région à travers le développement des relations et de la coopération au niveau du commerce et de l’investissement entre les secteurs privés des deux pays. Les déclarations publiques des deux ministres n’ont pas traité la question de la constitution d’une force navale commune du Golfe dans le but de prêter main forte à la sécurisation régionale. Il est probable que cette idée ait été discutée dans les coulisses mais reste encore à mûrir.
L’activité de la diplomatie iranienne
Une fois le ministre saoudien des affaires étrangères de retour dans son pays que son homologue iranien a enclenché une tournée dans les pays du Golfe qui l’a amené à Doha, au Koweït, à Mascate et à Abou Dhabi en vue d’examiner les modes de développement de la coopération bilatérale commerciale et économique entre l’Iran et chacun de ces pays ainsi que les dossiers de coopération régionale déjà traités au cours de la visite rendue à Téhéran par le ministre saoudien des affaires étrangères. Abdollahian a qualifié son périple golfique de prélude à un nouveau chapitre de coopération entre l’Iran et les pays du Golfe au niveau des relations bilatérales et régionales. Il a précisé que l’ordre du jour des entretiens effectués dans chaque pays visait l’aplanissement des obstacles, la facilitation de la coopération fructueuse surtout dans les domaines de l’économie, du commerce, du tourisme, des sciences , de la technologie et de l’échange des visites. Au cours de sa visite aux Emirats Arabes Unis, le ministre saoudien a eu une entrevue avec le président du pays et a signé une convention de coopération commune dans le domaine du transport aérien visant la réglementation du transport par avion des marchandises et des personnes entre les deux pays afin d’augmenter les opportunités de commerce réciproque et de tourisme entre les deux pays. Ont été également discutées les questions portant sur la coopération régionale ainsi qu’internationales d’intérêt commun.
La politique américaine de dissuasion de l’Iran
La dissuasion iranienne est le nerf névralgique de la stratégie américano-israélienne au Moyen-Orient, même si chacun des deux pays partenaires garde une conception différente de la relation entre la dissuasion et la diplomatie. Mais ce qui compte, c’est que la stratégie commune considère la dissuasion iranienne comme l’ultime garantie de la sécurité d’Israël même si elle n’est pas la seule mais compte parmi toute une cohorte d’autres cautions à savoir l’engagement des Etats Unis à assurer la suprématie militaire spécifique d’Israël par rapport à ses voisins, la normalisation des relations israélo-saoudiennes, le renforcement du forum de Néguev en tant que cadre institutionnel de nouvelles relations régionales sous la direction d’Israël, l’intégration de toute la région y compris Israël dans la scène des opérations du Commandement central des États-Unis au Moyen-Orient. La première des préoccupations actuelles de l’administration Biden est la signature par l’Arabie Saoudite des « accords d’Abraham » basés sur « l’affaire du siècle» déclenchée dans la région par Donald Trump en vue de régler le conflit palestino-israélien sur la base du principe de Netanyahou de « la paix contre la paix » et d’exclure officiellement les pays arabes du conflit israélo-palestinien. Nul n’ignore que l’Arabie Saoudite est le pays qui a lancé l’initiative de paix arabe il y a presque vingt ans et qu’elle tient à son principe fondateur de « la terre contre la paix » et refuse l’idée de liquider la cause palestinienne à la façon Netanyahou- Trump. C’est la raison de l’échec de la visite récente d’Antony Blinken à Riyad, -du 6 au 8 juin 2023- à réaliser un progrès sensible au niveau du dossier de la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël. Bien que l’Arabie Saoudite entretienne des relations officieuses avec Israël, elle ne tarde pas d’un moment à un autre à adresser un message négatif aux dirigeants de Tel-Aviv qui met l’accent sur sa position infaillible de refuser toute normalisation avant l’accord de création de l’Etat palestinien. Le dernier en date était d’empêcher deux diplomates israéliens en France d’assister à une réception organisée à Paris par le prince Mohamed Ben Salman à titre de promotion par l’Arabie Saoudite de l’exposition universelle « Expo 2030 ». En outre, la reprise des relations diplomatiques entre Riyad et Téhéran- suspendues depuis 2016- met une entrave imposante sur le chemin du progrès visé par Washington au niveau du dossier de la normalisation des relations entre Riyad et Tel-Aviv. Du reste, le dernier plan israélien de colonisation de la Cisjordanie, qui va de pair avec des attentats barbares de grande envergure contre les Palestiniens et leurs propriétés effectués par l’armée israélienne et les colons armés, mettent pratiquement un terme à toute tentative de réalisation d’une avancée dans ce dossier.
La politique de déstabilisation israélienne
Toutes les politiques israéliennes vont dans le sens d’attiser la tension dans la région et de l’exposer au risque d’une guerre qui bouleverserait la situation de fond en comble sur tous les plans politique, économique et militaire. Actuellement, la politique israélienne se base sur deux piliers: premièrement, éradiquer les Palestiniens de Cisjordanie par une maximalisation de l’expansion coloniale et donner main libre- par l’armée, les forces de l’ordre et les gangs armés- aux colons soutenus par le ministre de la Sécurité nationale d’Israël Itamar Ben-Gvir et le ministre des finances Bezalel Smotrich qui occupe également un poste au ministère de la défense en tant que responsable de la politique de colonisation et de l’établissement de colonies. Il n’ y a nul doute que toute avancée sur cet axe est la recette d’une terrible catastrophe en Cisjordanie depuis la création du gouvernement de Netanyahou- Smotrich- Ben-Gvir et jusqu’à nos jours. Deuxièmement, planifier une frappe militaire contre les installations nucléaires iraniennes avec ou sans la coopération américaine. De temps à autre, Netanyahou réitère qu’Israël aura recours à cette option en partant du principe que la détention par l’Iran des armes nucléaires signifie la destruction totale d’Israël. En fait, s’il choisit effectivement cette alternative, Israël affrontera une guerre sur plusieurs fronts, au nord comme à l’est et peut-être également au sud: c’est ce qui embraserait la région entière, dans des conditions internationales explosibles.
Bref, la politique régionale d’Israël annonce la guerre et la dévastation aux pays de la région. Elle fait de l’Etat hébreu un foyer de tension et un déclencheur de guerre à l’intérieur comme à l’extérieur de la région entière. En contrepartie, la politique régionale iranienne est prometteuse de paix et de prospérité à tous les pays et peuples de la région par l’action commune qui vise à instaurer la sécurité, la stabilité et le développement économique. Il s’avère donc difficile que les pays de la région acceptent la politique d’allumer les guerres ou de verser le feu sur l’huile des conflits et des litiges en cours alors qu’ils souffrent des défis de la transmutation de l’économie mondiale basée sur l’énergie traditionnelle à celle fondée sur les énergies renouvelables et de celle du système unipolaire en un autre multipolaire, de l’hégémonie américaine en une ouverture à l’Orient. La stratégie israélienne va à contre-courant.
Il semble qu’un bataillon d’intellectuels spécialisés dans les affaires du Moyen-Orient et qui représenteraient l’extrême droite passent sous silence la politique agressive d’Israël contre les Palestiniens et n’envisagent l’avenir que du point de vue étroit de la guerre. Parmi eux, l’on pourrait citer mon collègue le journaliste Lawrence J. Haas agrégé supérieur de recherche en politique étrangère des États-Unis au Foreign Policy Council américain et Dennis Ross, le spécial aide de camp pour les affaires du Moyen-Orient de l’ancien président américain Obama et Ian Bremmer le journaliste des affaires étrangères du magazine « Time » chef du groupe « Eurasie » et Dov Zakim éditorialiste de la revue « The Hill ». Chacun des trois a publié, le 23 juin courant, son propre article appelant à dissuader l’Iran dans le but de réaliser les intérêts américains. Haas est allé même jusqu’à proposer, dans son article du « Newsweek » de ladite date, une feuille de route portant sur la façon d’affronter l’Iran et comment les Etats Unis doivent présenter à Israël le matériel militaire dont il a besoin pour cibler, le cas échéant, les installations nucléaires iraniennes et accroître sa participation aux stages d’entraînement militaire à ce type d’attentats ainsi que poursuivre leur action avec Israël en vue de saboter la technologie et le savoir nucléaire à l’intérieur d’Iran, et de soutenir effectivement et durablement les forces d’opposition qui cherchent à renverser le régime de Khamenei. Pour ce qui est de Dennis Ross, il a précisé dans son dernier article publié, le 23 juin 2023, sur le site web de l’Institut des Etudes du Proche-Orient à Washington que les armes commandées des Etats Unis par Israël comportent des avions de ravitaillement en vol afin de permettre aux appareils israéliens de faire- sans encombres- le trajet aller- retour à destination de leurs cibles, sans compter les projectiles lourdes anti-fortifications souterraines qui pourraient viser les installations nucléaires enfouies au sol. Cette insistance à affronter l’Iran par la guerre est un élément primordial de déstabilisation du Moyen-Orient difficile à être acceptée, à l’heure actuelle, par les pays et les peuples de la région. Nonobstant, les événements qui se déroulent, effectivement, au Moyen-Orient sont à contresens de la volonté de Tel-Aviv et de Washington.