Ce document photo mis à disposition par l'agence de presse arabe syrienne (SANA) montre le président syrien Bachar al-Assad (Gauche) lors d'une réunion avec le ministre vénézuélien des Affaires étrangères Nicolas Maduro à Damas, le 05 mars 2007. Maduro est en visite officielle. Photo : SANA / AFP.
La compagnie vénézuélienne Conviasa a effectué son premier vol vers Damas depuis 12 ans. Les deux pays ont l'intention de renforcer leur partenariat touristique. Même au pic de la crise syrienne, Caracas est resté fidèle à Bachar el-Assad. Les échanges remontent à l’époque ottomane. Retour sur des relations bilatérales mêlant histoire et convergences d’intérêts géopolitiques.
Un avion en partance de Caracas a atterri à l'aéroport international de Damas le 31 mai, une première en 12 ans. A son bord, pas moins de 102 passagers dont le ministre vénézuélien des Transports, le vice-ministre des Affaires étrangères et plusieurs professionnels du tourisme et des médias rapporte l'agence officielle syrienne Sana.
Dans un communiqué de presse, le ministre des Transports de la République bolivarienne du Venezuela, Ramón Pelasquez Aragoyan, a déclaré « après 12 ans, nous reprendrons les vols entre nos deux pays [...] ce voyage était sous la directive du président Maduro pour accroître la communication et les relations entre les deux peuples frères ». La compagnie nationale Conviasa a mis pas moins de 12 heures pour se rendre dans la capitale syrienne et prévoit deux liaisons par mois.
Des liens remontant à l’époque ottomane
A cette occasion, l'ambassadeur vénézuélien à Damas José Gregorio Biomorji Musatis a insisté sur le fait que ce vol représentait « une partie essentielle des aspirations des deux pays et du travail continu pour surmonter les sanctions et le blocus qui nous sont imposés par notre ennemi commun ». En effet, les deux pays sont sanctionnés par les Etats-Unis.
Caracas et Damas ont également mis l'accent sur le renforcement du partenariat touristique. La communauté syro-libanaise représente environ 1,6 million d'habitants au Venezuela. Cette diaspora porte en elle l’histoire douloureuse des habitants de la Grande Syrie à l’époque ottomane.
Alors que la Sublime porte vacillait face à l’appétit des empires russes, anglais et français, les habitants des régions syriennes et libanaises ont commencé à penser un nationalisme arabe indépendant de Constantinople. Face à cette volonté d’autonomie, les troupes turques ont commencé à mater les jeunes insurgés. Pour éviter les purges, plusieurs centaines de milliers d’habitants ont pris les bateaux ont direction de l’Amérique Latine. On estime qu’environ 1,2 million de personnes ont quitté l’Empire ottoman entre 1860 et 1914 et se sont aventurées aux Amériques dans l’espoir d’une vie meilleure. La communauté maronite du Mont Liban et à Damas a également massivement fui les massacres perpétrés par les Druzes. L’Amérique du Sud devenait à cette époque une terre d’accueil pour les Chrétiens d’Orient persécutés. Plus de 6 millions de Syro-libanais habitent aujourd’hui au Brésil. Sur place, ils sont appelés « los turcos » en référence à l’empire ottoman déchu.
Parmi les binationaux au Venezuela, plusieurs ont joué un rôle influant au sein de l'échiquier chaviste. On retrouve notamment Tareck El Aissami, ancien ministre de l’Intérieur et actuel ministre du Pétrole, Haiman El Troudi, ancien ministre des Transports, Soraya El Achkar, l’ancienne cheffe de la police nationale et l’ancien membre de l’Assemblée nationale Adel El Zabayar. Cette dynamique diaspora syro-libanaise explique en partie le positionnement d’Hugo Chavez à l’égard de la Syrie.
Chavez, Maduro : fidèles alliés de Damas
Le leader chaviste a très tôt noué de solides relations avec Damas en formant une sorte de triumvirat avec Téhéran. Marginalisés et sanctionnés par Washington, les trois pays ont construit des partenariats permettant de contourner les mesures coercitives de Washington. L’Iran et le Venezuela ont construit une raffinerie de pétrole en 2006 pour permettre à la Syrie d’extraire son pétrole. Profondément anti-impérialiste, Hugo Chavez critique la politique israélienne, prend fait et cause pour la cause palestinienne et soutient le front du refus contre l’Etat hébreu. Caracas devient peu à peu un relais politique pour Damas. A Damas, le président vénézuélien déclara en 2006 « nous avons la même vision politique. Nous sommes deux pays et deux peuples qui résistent et font front à l'agression impérialiste ». Le leader vénézuélien revient dans la capitale syrienne en 2009 et 2010. Toujours reçu en grande pompe, il harangue les foules avec des discours anti-israéliens et anti-américain. Bachar el-Assad s’est rendu à Caracas en 2010.
Dès le début de la crise en Syrie, Hugo Chavez reprend le narratif de Damas en critiquant les ingérences extérieures et les complots visant l’intégrité territoriale syrienne. Il accuse Washington de vouloir renverser le président syrien en armant les terroristes. En 2012, Caracas envoie même des cargaisons de pétrole en contournant les sanctions occidentales.
Son successeur, Nicolas Maduro, moins charismatique, ne change pas d’un iota la politique vénézuélienne à l’égard de Damas. En 2013, alors que les Etats-Unis s’apprêtait à frapper la Syrie, l’ancien chauffeur de bus envoie une lettre à Barack Obama en personne lui enjoignant de ne pas lancer une intervention sur le territoire syrien.
Au pic de la crise syrienne, Caracas et Téhéran construisent une raffinerie de pétrole en 2017 pour plus d’un milliard de dollars, aidant ainsi le régime syrien à pallier certaines difficultés d’approvisionnements en or noir. Reprenant le narratif syrien, Nicolas Maduro salue en 2022 « l'exploit historique du président syrien contre l'agression terroriste américaine », et prévoit de s’y rendre dans le courant de l’année 2023.
En dépit de l’enracinement de la communauté syro-libanais au Venezuela, la relation bilatérale entre Damas et Caracas n’a pas de réelle profondeur économique, elle est plus de l’ordre du symbole. Ce soutien politique contre vents et marées revête une forme d’idéalisme anti-impérialiste. Avec Téhéran et souvent la Havane, cet axe n’a pas les moyens de ses ambitions et comptent souvent sur le poids et l’influence de Moscou et Pékin pour contrebalancer l’ordre international.