La lutte contre les Frères musulmans et une gamme de mouvements fondamentalistes camouflés par la chape de la religion exige des stratégies composites combinant les réformes politique, économique et sociale aux projets nationaux de grande envergure. Une lutte qui aura pour pierre angulaire la confrontation intellectuelle qui, tel un étau à double face, serrera ces mouvements entre ses deux mâchoires: la réforme de la pensée religieuse et le renouveau de la pensée civile. Et, c’est ainsi qu’il écrasera la pensée arriérée, décadente, extrémiste et violente. Pour mieux élucider la question, je raconterai cette petite anecdote : dans les années soixante du siècle dernier, j’ai vu sur « le théâtre moderne » au Caire la pièce de théâtre de Bertolt Brecht « La Bonne Âme du Se-Tchouan » où le personnage principal était un marchand d’eau qui n’a pas tardé à s’adresser aux dieux et aux sages par ces paroles : « Votre monde porte des erreurs. Rien de logique, de vrai ou de convenable qui exige de vendre l’eau alors que la pluie tombe à verse ». Plus de cinquante ans plus tard, la découverte de cette erreur de la structure de vie dans un village chinois a ravivé dans mon esprit une ancienne effectuée en Chine, en février 2002, qui nous a amené dans un des quartiers de la ville côtière de Shanghai, considérée comme le symbole du progrès dans le passé comme à l’époque contemporaine. Nous étions un groupe de journalistes qui représentait l’honorable quotidien Al-Ahram, parti en mission de recherche pour constater les changements survenus dans cet Etat au lendemain des mutations profondes qui ont refaçonné notre monde à partir de la fin de la guerre froide, en passant par la mono-direction du monde par les Etats Unis jusqu’au début de la gigantesque ascension chinoise, les essais nucléaires effectués par l’Inde et le Pakistan qui ont bouleversé le monde après avoir connu la crise économique asiatique. Nous avons rencontré un grand nombre de personnalités importantes à partir du président chinois Jiang Zemin jusqu’au président d’un très petit quartier (de quatre millions d’habitants) dans la grande ville côtière. Celui-ci nous a raconté son histoire avec le développement et comment il a réussi à attirer au quartier quatre milliards d’investissements étrangers en une seule année. Un chiffre astronomique, qui a soulevé des questions importantes dans notre esprit à propos de ce succès alors qu’on savait que la Chine était toujours socialiste même si l’on ajoutait l’expression « marché socialiste ». On était curieux de savoir quelle était la position adoptée par la Chine vis-à-vis de l’emploi du secteur public et le suremploi dans le gouvernement et comment le pays a –t-il ménagé le problème du suremploi dans l’administration publique et celui de la pauvreté (A l’époque, on comptait 600 millions de chinois pauvres, maintenant ils sont de l’ordre de 150 millions soit seulement 10% de la population.) Pour nous, la situation ne pouvaient que soulever plusieurs questions de notre part. Nous étions ébahis par leurs réponses et par le fait de savoir comment ce quartier est parvenu à s’attirer les investissements et comment Shanghai interdisaient son entrée aux pauvres à moins que pour exécuter un travail bien précis et objet d’un contrat. C’est à l’instant même que les membres de la mission se sont tus à l’issue des comparaisons que nous avons faites avec notre capitale, le Caire, qu’il a poursuivi en disant: « C’est la mentalité qu’il faut changer avant toute chose. ! » En fait, l’Egypte a abandonné les idées de la royauté du Moyen-âge et de l’ère ottomane du dix-neuvième et vingtième siècles lorsqu’elle a instauré l’enseignement civil dont celui des femmes, a créé les associations scientifiques, ainsi que d’autres spécialisées en histoire, en géographie, en droit international et en législature. C’est pourquoi, l’époque actuelle doit être placée sous l’enseigne de « la science » basée sur l’exploration du monde et de l’univers. A vrai dire, des efforts sont en cours en Egypte, en Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis pour disséminer la culture scientifique jusqu’à profiter des outils des réseaux sociaux et des agglomérations et cités virtuelles pour discuter des questions civiles. Les Emirats Arabes Unis portent un intérêt sans précédent aux applications de la pensée scientifique au niveau de l’énergie solaire et de l’exploration spatiale, avec sa sonde spatiale qui orbite depuis deux ans autour de la planète rouge. L’Arabie Saoudite vise à réduire ses émissions de carbone polluant dans sa production d’énergie. Des orientations qui ne font que converger la pensée arabe vers le centre même de la pensée scientifique mondiale et universelle qui forge de nouveau l’homme arabe loin des superstitions et de la magie, tout en lui conservant «la paix intérieure» découlant de la foi et de sa relation avec Allah l’exalté et le tout puissant. La culture scientifique, historique et cognitive en général qui reflète les événements et les diverses expériences du monde ainsi que la musique, la littérature, les arts et les diverses manifestations de la créativité ouvrent largement la voie à toute pensée civile qui renforce l’Etat moderne et le débarrasse des courants extrémistes.
A observer de près la pensée dans les pays industrialisés et en en tirant des conclusions empiriques, nous remarquons que la pensée conspiratoire y règne toujours parallèlement à la superstition religieuse. Et, il faut ici reconnaître que la source même du changement historique ne réside pas dans « la réforme religieuse » mais généralement dans «le savoir », « les sciences », et « la connaissance ». Les écrivains et les intellectuels, intéressés par la question, doivent accorder plus de leur temps ainsi qu’une part importante de leurs œuvres à la pensée scientifique, à la construction logique, aux méthodes de recherche, aux relations entre les prémisses et les conclusions et à la manière selon laquelle le monde a changé au cours des dix milles dernières années, depuis le début de l’histoire de l’humanité et l’évolution des religions, des idées, des us, des coutumes et des mœurs qui étaient nécessaires à la naissance du sentiment de la paix intérieure au fond même de l’homme et à sa tendance de coopérer avec son semblable. L’Histoire ne se limite pas au développement ou à la décadence des nations, aux victoires d’Alexandre le Grand , aux exploits de Khaled Ibn Al-Walid, à la conquête de l’Andalousie, ou aux invasions napoléoniennes ou hitlériennes mais une réponse à de multiples comment : comment l’homme est-il sorti de sa grotte ? comment a-il traversé les époques depuis la collecte des fruits et jusqu’à son atterrissement sur la Lune. Cette évolution depuis qu’il a marché sur les deux jambes et sa sortie du règne animal pour monter dans des appareils à une vitesse qui se rapproche de celle de la lumière, depuis qu’il se déclarait vieux avant d’avoir atteint la trentaine et que maintenant il est jeune, octogénaire ?! Une histoire digne d’être racontée sur les plans scientifique, technologique et même philosophique.
Autant que l’histoire de l’humanité raconte son rapport à l’évolution et à l’élévation, l’histoire égyptienne porte à elle seule des anecdotes et des événements non seulement liés à l’unicité ou au jugement dernier mais aussi au corps humain et aux lois de la gravité. Le rôle de l’histoire, pour l’homme ou pour les peuples, ne réside pas dans le fait que cette réserve d’expériences est vraie ou fausse mais dans le fait qu’elle est utile ou pas utile. Il serait injuste d’émettre, à propos du rôle de l’histoire, des jugements de valeur qui seraient souvent libérales ou puisés dans les deux derniers siècles de l’histoire de l’humanité ; sinon, on ferait ainsi peser sur l’histoire des critères moraux, politiques ou sociaux qui amputeraient l’histoire de son aspect déterminant d’après lequel l’homme était esclave de son époque, du temps et de l’évolution. L’Histoire n’est pas le passé mais également l’avenir tant qu’elle est une relation avec le temps écoulé comme celui à venir. C’est ici que le bât blesse. La réforme de la pensée civile doit être utile dans l’édification de l’Etat moderne et contemporain et -franchement parlant- doit être responsabilisée au sujet du développement des sociétés.
En somme, Tout ce qui précède servirait à l’homme de barricade contre laquelle se briseront les vagues de la superstition religieuse et l’utilisation de la religion comme source d’égarement de l’esprit humain. Il sera élevé moralement et psychologiquement et appelé politiquement à bâtir la relation avec lui-même et avec l’autre et sur le plan international avec les Etats et les nations. En tout état de cause, le parcours est loin d’être facile. Il est semé d’embûches. Mais ce qui s’est passé à l’époque actuelle témoigne que la victoire au terme de ce combat est possible : c’est grâce à la science que nous avons découvert les vaccins contre la COVID 19 , ainsi que le premier traitement du réchauffement climatique. En somme, c’est ce chemin parcouru qui a transformé les nations pauvres en d’autres fortes et riches par leurs patrimoines comme par leurs pensées.