La révolution française de 1789 a représenté un tournant décisif au niveau des idées et des régimes politiques que ses principes ont envahi le monde entier. Dans le monde arabe, l’intelligentsia libérale et les représentants des Lumières ont transmis les idées de cette révolution en langue arabe pour les disséminer à travers les livres et les articles. Les politiciens ont constitué les partis qui adoptent de telles idées. En témoigne « La pensée arabe moderne » (1943) de Raif Khoury qui jette la lumière sur l’influence exercée par la révolution française sur son orientation politique et sociale.
C’est la république, l’une des idées clés de la révolution française, qui fera l’objet de cet article où je passerai en revue sa transmission aux intellectuels égyptiens et comment ils l’ont prônée, pour plus de 100 ans, jusqu’à son adoption en Egypte le 18 juin 1953 depuis plus de soixante-dix ans.
L’Egypte a vécu, pour de longues années et siècles, sous des régimes basés sur l’hérédité. La littérature politique n’avait jamais fait référence au sens de la république qui a fait surface pour la première fois au cours de la campagne de Bonaparte dont les décisions et les brochures étaient émises par ce qu’on nommait « la république française ». Ce terme a figuré pour la première fois dans l’œuvre du chroniqueur Abd al-Rahman al-Jabarti « Aja'ib al-athar fi al-tarajim wal-akhbar » où il a évoqué à plusieurs reprises le terme de « la république française ». Néanmoins, il faisait référence , par là, au régime politique établi en France sans le définir.
La première définition de la république a figuré dans l’œuvre de Rifa'a Rafi al-Tahtawi « Taḫlīṣ al-ibrīz fī talḫīṣ Bārīz » publié en 1834 où il nous explique en arabe et pour la première fois, la notion même de république. Il a été nommé imâm de la première mission scolaire égyptienne envoyée en France par le gouverneur de l’Egypte de l’époque, Méhémet Ali , en 1826. Il y a séjourné pour cinq ans au cours desquels, il a été témoin de la destitution par la révolution de 1830 de Charles dix, le dernier roi de la dynastie des Bourbons ainsi que de l’accession au trône de Louis Philippe. Tout le long de cette période, Rifa'a Rafi al-Tahtawi a observé le comportement des Français, lu l’histoire de la France et les contributions de ses philosophes et a étudié ses régimes politiques et sociaux. Il a précisé que l’urbanisation doit s’appuyer contre deux piliers massifs : Une puissance gouvernante qui amène les intérêts et contrecarre la corruption d’une part et une force gouvernée qui est la force privée qui a accompli la liberté absolue et jouit des biens publics.
Tahtawi a détaillé longuement le conflit, en France, entre les adeptes de la royauté et ceux de la liberté : il a décrit les derniers comme étant une communauté extraordinaire qui veut que le gouvernement dans sa totalité soit entre les mains des sujets sans avoir besoin d’un roi. Mais comme les sujets ne peuvent pas être à la fois des individus gouvernés et gouvernants, il leur incombe donc de mandater celui qu’ils choisissent de gouverner à leur place. C’est la définition même de la république.
Au début des années soixante-dix du dix-neuvième siècle, vint en Egypte Jamāl al-Dīn al-Afghani qui y a diffusé ses idées libératrices et révolutionnaires contre le colonialisme et le despotisme. Autour de lui, s’est rassemblé un grand nombre d’adeptes qui sont devenus plus tard les leaders de l’action politique et intellectuelle à l’exemple de Abdullah an-Nadeem, la voix de la révolution d’Urabi, Cheick Mohamed Abdou, le pionnier de la réforme de la pensée religieuse, Saad Zaghloul, le leader de la révolution de 1919. Jamāl al-Dīn al-Afghani a lu en français pour subir l’influence des idées de la révolution française surtout en ce qui concerne son inimitié vouée à la royauté et a dénigré alors le droit divin des rois à gouverner et leur pouvoir absolu à exercer leur pouvoir sur leurs peuples ; il est allé même jusqu’à discuter avec son disciple Mohamed Abdou de l’idée de destituer le Khédive Ismaïl et son remplacement par un gouvernement républicain.
Avec l’avènement des années quatre-vingt du même siècle, la confrontation entre le Khédive Tawfiq et le mouvement national dirigé par Ahmed Urabi est montée de plusieurs crans, Selon des sources historiques, un groupe de jeunes révolutionnaires était déterminé à destituer Tawfiq et à déclarer la république.
Cette idée paraissait de temps à autre que le quotidien "Al-Mu'ayyad » a publié, le 26 décembre 1889, un article anonyme intitulé « Le roi et la république » où est signalé que « le régime républicain n’est qu’un instinct latent au fond de l’âme humaine tant qu’il ne signifie que l’autogouvernement ou le gouvernement de l’homme par lui-même. »
En 1907, Mohamed effendi Ghanem a appelé à la création du parti républicain. Il a également publié plusieurs articles dans les deux quotidiens « Al-Ahrar » et « Al-Akhbar » en vue d’expliquer la notion de république et ses avantages. Il y a également établi un lien intime entre trois types de combats : le premier pour la Constitution, le deuxième pour l’indépendance absolue et le troisième et dernier combat vise la promulgation de la république.
Ces trois visées ont constitué les trois étapes de l’évolution normale de chaque nation : la première consiste à obtenir la Constitution qui représente le prélude et l’introduction de tout développement politique ; la deuxième est celle de la proclamation de l’indépendance complète et la libération de la sujétion à toute partie ou pouvoir externe ; quant à la dernière étape elle porte sur la proclamation de la république qui n’est que la revendication la plus sublime et la plus chère pour tout âme nationale noble.
Ghanem a été influencé par les idées de la révolution française que le slogan de son parti était : « Liberté, fraternité et égalité ». Il a regroupé un certain nombre de personnes cultivées dont les diplômés de l’école française de droit qui tenaient à prendre part aux festivités de la célébration par les Français d’Egypte, de la fête nationale française du 14 juillet et qui avait lieu au Jardin Azbakeya au Centre-ville.
En somme, nous avons ainsi signalé une interaction intellectuelle anticipée entre l’Egypte et la France ainsi que l’influence exercée sur la pensée des générations successives des intellectuels égyptiens et arabes.