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Le sommet asiatique de Xi'an et ses conséquences: Vers la naissance d'un monde multilatéral

Le Dialogue

Le président chinois Xi Jinping, le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokayev, le président du Kirghizstan Sadyr Japarov, le président du Tadjikistan Emomali Rahmon, le président du Turkménistan Serdar Berdymukhamedov et le président de l'Ouzbékistan Shavkat Mirziyoyev posent pour une photo de groupe lors du sommet Chine-Asie centrale à Xian, dans le Shaanxi du nord de la Chine province le 19 mai 2023. Photo : FLORENCE LO / POOL / AFP.

 

Les équilibres en Eurasie évoluent rapidement et radicalement : le rapport de force entre la Russie et la Chine semble s'inverser en faveur de la Chine du point de vue économique et financier, ceci alors même que l'on assiste à une complication progressive de la crise à Taïwan et alors même qu'a contrario, sur le plan militaire et géopolitique, la Chine et la Russie semblent plus unies et plus solidaires que jamais.

Des manœuvres militaires fréquentes et conjointes vont de pair avec une intégration stratégique toujours plus forte. Pourtant, le volet économique et financier de l'alliance connait une dissonance due à l'expansion des alliances chinoises en Asie centrale : le sommet de Xi'an en est le paradigme.

Qu'on le veuille ou non, la Chine est en passe de devenir le nouvel et grand acteur mondial, et elle remplace progressivement les États-Unis d'Amérique dans la puissance mondiale : nous n'avons certainement pas besoin de nouvelles guerres mondiales pour le dire : c'est la macroéconomie et la  finance qui définissent le cadre de l'évolution internationale en cours.

 

Le virage expansionniste de la Chine vers l'Asie centrale et son rôle d'acteur économique mondial croissant

La Chine, forte d'une histoire et d'une tradition millénaires, pourrait donc, pour la première fois depuis Mao, redevenir le protagoniste absolu de l'histoire. La sagesse chinoise proverbiale joue un rôle important dans cette évolution. Dans la pratique, en effet, après 1989 et la fin de l'URSS, la Chine a non seulement réussi à survivre à l'effondrement des États communistes, mais aussi à se relancer en tant que pays leader, mettant à jour son économie et sa technologie, jusqu'à inclure Hong Kong sur son territoire et donc jusqu’à doubler son développement financier avec comme nouvel épicentre à Shanghai.

Parallèlement, le pouvoir chinois fait évoluer sa technè, au point de produire les premiers Tachynautes ou astronautes chinois et d'envoyer des sondes sur la Lune, tout en développant un réseau technologique informatique qualifié.

Coïncidence significative : les points sur lesquels l'URSS à l'époque de Gorbatchev était en crise et en retard, au siècle dernier, étaient précisément ceux de la révolution informatique de l'internet et de la transformation du système économique communiste en marché libre : or c’est dans ces domaines que, au contraire, la Chine a gagné son défi de progression.

En Russie, les oligarques, les spéculateurs et les mafias avaient dévoré tout le système post-soviétique dans les années 1990, et ceci en quelques années seulement. Aujourd'hui encore, le système économique russe semble s'écarter d'un système mixte public-privé pollué des deux côtés et fondé davantage sur l'exploitation aveugle des ressources et des actifs financiers par certains que sur le développement. 

 

La méthode gagnante du soft power et de la diplomatie commerciale de Pékin face aux erreurs managériales des oligarques russes

Alors que les Chinois investissent dans la haute technologie et la fabrication à bas coût, les Russes investissent dans des villas pharaoniques sur la Côte d'Émeraude (Sardaigne), la Côte d'Azur et à Dubaï, qui ne génèrent évidemment pas de revenus. Cet étalage stérile de nouvelles richesses a objectivement désavantagé la Russie, en plus de l'énorme gaspillage de capitaux publics et privés.

La Chine a au contraire judicieusement développé un tourisme de masse de qualité vers l'Europe, tandis que la classe supérieure russe visait l'achat élitiste, dans le vieux style bourgeois, de villas et de yachts, imitant le capitalisme occidental, au lieu de développer des investissements alternatifs et qualifiés.

Dans ce climat, seuls quelques entrepreneurs russes, une minorité, ont agi avec clairvoyance. D'autres, comme l’oligarque Roman Abramovich ont commis une erreur en investissant dans l'achat de clubs de football anglais, mais ils ont fait fructifier des actifs immobiliers comme ceux de l'île de New Holland au centre de Saint-Pétersbourg et ceux de Londres.

La défaillance russe a servi d’accélérateur au développement chinois : aujourd'hui, l'Eurasie et la Route de la Soie poursuivent leur développement, malgré les vents de guerre en Europe et en Asie, tandis que les pays émergents d'Asie centrale s'alignent sur la montée en puissance chinoise.

Conséquence de ce dualisme russo-chinois non résolu, Eurasie, malgré la guerre en cours, est donc née, et ce n'est pas seulement une expression géographique, comme dirait Metternich, mais il s’agit là de l'avenir même des relations internationales multilatérales en Asie.

En effet, rappelons que ce fut dans un même temps que la crise irréversible de l'Amérique et de l'Europe a favorisé le développement des soi-disant tigres orientaux : Inde, Chine, Iran, Corée du Sud.

Le sommet de Xi'an de mai 2023 marque un moment historique en ce sens, car depuis deux siècles, la Russie du président Poutine traverse des moments difficiles car elle n'avait jamais été formellement exclu de la gouvernance de l'Asie centrale auparavant. Rappelons que l'expansion de l'Empire tsariste entre 1600 et 1800 avait en effet conduit la Russie à considérer l'Asie centrale comme une domination coloniale pendant des siècles.

Or la présence des dirigeants d'Asie centrale : Kazhakistan, Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan et Kirghizistan à Moscou, le 9 mai dernier, au sommet sino-eurasien de Xi’an, pour le défilé militaire, a anticipé un tournant surprise qui a précédé de quelques jours le sommet de ces pays avec la Chine. 

Ce sont les mêmes pays qui sont les protagonistes du sommet de Xi'an, enfin en tant qu'aspirants indépendants vis-à-vis de la domination russe laïque.

Le dépaysement et les alliances nouvelles sont évidents. Alors que Moscou veut consolider l'espace géopolitique post-soviétique, la Chine s'est déjà engagée sur sa voie. Son objectif de placer Pékin à la tête du nouvel ordre mondial multilatéral d'ici 2049, le premier centenaire de la naissance de la Chine, semble en partie réussi et clair…

 

La Chine est l'actionnaire majoritaire de l'amitié spéciale avec la Russie. Des pays non alignés au multiculturalisme des BRICS élargis

La Russie apparaît comme le partenaire minoritaire de l'alliance spéciale sino-russe, et Xy est en fait le leader effectif de la nouvelle et vaste alliance eurasiatique qui se forme avec les pays africains, asiatiques et sud-américains, au niveau international.

En fait, les BRICS élargis coïncident avec une partie des États qui se définissaient autrefois, sous la Guerre froide, comme des pays « non-alignés », au moment de l'initiative de Tito, l’ex-leader yougoslave, en faveur un monde multilatéral.

C'était l'époque de l'affrontement entre l'Amérique et l'URSS, et de fait les « non-alignés » étaient, on le sait, une roue de secours, une réserve de pays au service du projet Chine-URSS, mais réalistement beaucoup plus proches de la Chine de Mao que de Moscou.

Aujourd'hui, ce projet eurasiatique sans le leadership slave mais avec le leadership chinois, devient réalité et même majoritaire dans le multiculturalisme et le multipolarisme au niveau mondial.

Parallèlement, les pays d'Asie centrale reconquirent  leur autonomie vis-à-vis de la Russie et se rapprochent du géant asiatique, la Chine, vue comme un Empire du Milieu et potentiellement une puissance alternative de la Russie. L'intérêt géopolitique commun entre eux et la Chine est d’ailleurs plus qu’évident.

 

Comment le projet géopolitique de la route de la soie et de la ceinture évoluet-il ?

Le Kazakhstan, en plein développement économique, doté de grandes ressources naturelles et réticent vis-à-vis de la sujétion à la Russie, a sa propre direction indépendante, presque comme celle de Tito, par rapport aux autres pays d'Asie centrale.

La Chine a déjà fait de la Route de la Soie et de la Ceinture (BRI) le centre même de son expansion politique, économique et structurelle vers l'Europe.

Aujourd'hui en Biélorussie, le chinois n'est pas un hasard, c'est avec le russe, la deuxième langue, l'expression étrangère la plus enseignée dans les écoles ! La Biélorussie est d’ailleurs déjà économiquement dépendante de la Chine, et l'Ukraine est la prochaine étape de l'expansion commerciale de la Chine, en tant que point d'arrivée prévu de la Route de la Soie.

 

L'empire géopolitique chinois naissant entend donc se développer autour de la route de la soie comme axe d'expansion chinoise.

La Turquie, les pays arabes et les Émirats jouent en parallèle leur propre jeu géopolitique naturel. En pratique, de même que la France, l'Allemagne et l'Angleterre partageaient en 1900, avec les Américains, l'apparente domination quasi unilatérale de l'ordre international, de même au XXIe siècle, elles se sont alliées à la Chine et à l'Inde, puissances montantes, et à la Russie en devenir. Parmi les dominus du monde en devenir, cette évolution devrait inévitablement se faire sans passer par une ou plusieurs guerres mondiales inutiles et insensées qui entraveraient le commerce et la finance. L'Azerbaïdjan, quant à lui, mène son propre projet géopolitique de manière autonome et quasi indépendante, et ce pays connaît un fort développement grâce à ses importantes ressources naturelles. Cependant, il pourrait en fait à l'avenir rejoindre le projet eurasien chinois.

 

Du dollar à la monnaie commune des BRICS ? La dédollarisation est-elle possible ?

Mais ce n'est pas tout, en parallèle et à l'autre bout du globe, il faut aussi rappeler une évolution tout aussi révolutionnaire que la route de la soie chinoise : depuis mai 2023, le Brésil de Lula est à la tête - avec les BRICS - d’une nouvelle initiative de dédollarisation, à international, qui, s'il était efficace, pourrait bénéficier davantage au développement de la Chine. Cela passerait aussi par le rôle croissant de la finance chinoise à Shanghai et de la monnaie chinoise, le Renmimbi (RMB), historiquement appelé Yuan (CNY). La Chine possède d’ailleurs déjà en son sein, dans son financement, des investissements étrangers ; elle contrôle une grande partie de la dette publique américaine et a elle a développé un immense réseau d'investissements dans les entreprises internationales (avec le soutien de techniciens chinois). Or ce réseau s'étend jusqu'en Ukraine, avec notamment de nombreuses fermes qui sont déjà sous contrôle chinois et avec de nombreux domaines agricoles appartenant désormais à des Chinois à travers le pays. Depuis des décennies, cette politique économique chinoise expansive est celle des investissements internationaux qui implique déjà de nombreux États africains et asiatiques au niveau mondial

 

Les cibles chinoises et les problèmes non résolus du géant asiatique 

Mais tout cela ne suffit pas : si la Chine veut atteindre ses objectifs de développement mondial, elle doit d'abord résoudre, espérons-le avec la sagesse orientale, ses dossiers critiques de tous les temps : l'intégration de Taïwan ; la démocratisation parlementaire chinoise, avec le développement d'une véritable démocratie socialiste orientale ; le problème du Tibet ; le dialogue avec Rome et avec les chrétiens en général, pour mieux harmoniser les relations avec les confucéens et avec l'État laïc ; la croissance d'une société civile chinoise libre ; le développement d'un système efficace de réponse aux urgences sanitaires ou d'inondation, à partir de l'expérience acquise dans la résolution de la grave crise du Covid. Donc, net de ces défis non résolus, en termes d'équilibres multilatéraux internationaux globaux, la Chine a maintenant l'initiative et pourrait réussir le miracle de changer pacifiquement l'histoire et le monde, nous l'espérons.