Le 6 juin 2023, l'exploitant de la centrale électrique de Kakhovka alerte que « le barrage est complètement détruit » par une explosion provoquée depuis l'intérieur de la station par une grande quantité d'explosifs.
Cette centrale hydroélectrique, associée à un barrage au fil de l'eau, est située juste en amont de la ville de Kherson sur le cours du Dniepr. Le barrage crée le réservoir de Kakhovka qui permet, via le canal de Crimée, l'irrigation des grandes étendues agricoles du sud de l'Ukraine et du nord de la Crimée qui, désormais, sont annexées par la Russie.
Occupée dès le 24 février 2022, par les forces armées de la fédération de Russie, elle est restée depuis sous leur contrôle[1] même après le 9 octobre, date du retrait des forces russes de la ville de Kherson, située sur la rive droite du Dniepr. Sur le barrage existait une route à deux bandes et une ligne de chemin de fer qui ont permis le passage des trains de ravitaillement pour les unités russes situées à l’Ouest du Dniepr jusqu’à fin juillet 2022.
A 10 km au Sud de la ville de Kherson se trouve le pont autoroutier Antonovskiy, dernier point de passage sur le Dniepr avant l’embouchure sur la mer Noire.
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Les faits militaires
Jusqu’au 6 juin2023 il est clairement établi que toutes les attaques sur ces deux points de franchissement du Dniepr sont les fait des forces ukrainiennes.
Fin juillet 2022, le pont autoroutier Antonovskiy est endommagé par des tirs ukrainiens. Le pont est réparé par une équipe d'ingénieurs russes avant d'être bombardé à nouveau par les Ukrainiens et ce, au même endroit. En attendant les réparations, les Russes ont mis en place un ferry sur le Dniepr afin de maintenir le flux logistique avec leurs troupes. De plus, la voie de chemin de fer sur le barrage de Kakhovka a également été endommagée en juillet 2022 par des tirs ukrainiens et réparée très rapidement, avant que d'autres tirs de roquettes empêchent définitivement tout trafic ferroviaire et de véhicules sur le pont routier adjacent. Des images satellites confirment également l'utilisation d'un second ferry qui se trouve à côté de ce pont.
Durant le mois d'août, le pont autoroutier Antonovskiy va subir une dizaine de tirs et presque autant de tentatives de réparation, démontrant l'intérêt hautement stratégique de ce pont pour les Russes. Cependant, le 22 août, une grosse explosion a lieu sur le pont : les Ukrainiens l'ont à nouveau bombardé mais cette fois-ci, des camions de munitions roulaient sur celui-ci. Plusieurs camions ont été touchés par les roquettes endommageant au passage sérieusement l'infrastructure du pont. A compter du 9 novembre 2022, les Russes se sont retirés de l’Ouest du Dniepr et de la ville de Kherson mais contrôlent toujours l’accès au canal de Crimée situé juste en amont du barrage.
Quel est l’impact stratégique pour les Russes et les Ukrainiens de cette destruction ?
Tous les experts anglo-saxons s’accordent pour dire que la ressource qui manque le plus à l’Ukraine sont les combattants. La contre-offensive annoncée depuis de longs mois semble enfin être lancée avec un axe d’effort passant près de la ville d'Orekhov dans le district de Pohovsky (oblats de Zaporozhye).
Les inondations à Kherson et dans le Sud de cette ville enlèvent tout risque de contre-attaque russe sur le flanc sud ukrainien et leur ont donc permis de retirer la majorité de leurs forces qui gardaient la rive droite du Dniepr de Kherson à son embouchure pour les injecter dans l’offensive en cours.
Pour les Russes cette destruction a un avantage similaire et en éloignant une menace sur l’axe Kherson- Crimée et, si nécessaire, va leur permettre de prélever des troupes pour s’opposer à l’offensive ukrainienne.
L’impact négatif de cette destruction est pour les Russes : l’assèchement du canal de Crimée et donc la fin de l’irrigation céréalière qui devrait intervenir mi-juillet. Elle va aussi priver l’Oblats de Zaporozhye, annexé par la Russie, de ressources électriques.
En conclusion… provisoire
Faute d’information sur les auteurs de cette destruction, la logique me fait l’attribuer à l’Ukraine.
Je fonde cette conviction sur les faits suivants : toutes les attaques contre les voies de franchissement du Dniepr depuis le 24 février 2022 sont le fait des Ukrainiens ; ce sont eux qui ont un besoin dramatique d’effectifs et, de plus, il leur faut réunir une supériorité de 3 à 1 pour que leur contre-offensive en cours est une chance de succès ; cette destruction survient concomitamment avec leur offensive ; les conséquences économiques négatives de cette destruction sont pour les Russes.
[1] Le terme militaire contrôle ne signifie pas « occupation » mais capacité d’y appliquer des feux et d’observer tous les mouvements