La confusion sévit toujours dans la littérature de la politique nucléaire mondiale entre l’interdiction de la prolifération de l’arme nucléaire et celle de la diffusion de la technologie nucléaire. Elle vise à priver les pays en développement de la détention du savoir nucléaire - qui est partie intégrante du savoir de l’humanité toute entière- ainsi que consacrer l’appropriation par une poignée de puissances mondiales à la fois de la technologie et des armes nucléaires. Cette confusion va à l’encontre de la nature même du savoir qui ne doit aucunement connaître d’obstacles et de celle même de la libre compétition économique de par le monde; elle implique d’imposer des entraves à la localisation de la technologie nucléaire et des industries qui y sont liées et contredit le droit à la justice et à l’égalité entre les nations. La subdivision du monde en « Etats voyous», qui ne doivent nullement posséder la technologie nucléaire pour ne pas présenter de menace aux autres pays, et en « Etats bons », qui ont le droit de posséder à la fois la technologie et les armes nucléaires, porte l’empreinte de l’esclavage et du colonialisme pour justifier l’oppression et la subjugation des nations. L’Histoire nous apprend sans honte que l’Etat qui se qualifie d’être bon est le seul Etat du monde- jusqu’à nos jours- à avoir fait usage- sans discrimination- de l’arme nucléaire contre des civils innocents à Hiroshima et Nagasaki au moment où la guerre prenait fin.
Le monstre de la force nucléaire
Dans son célèbre discours devant les Nations Unies, en 1953, Eisenhower a mis en garde contre le lancement du monstre de la force nucléaire. Il a averti le monde entier et ses propres citoyens américains de tabler sur la force nucléaire comme unique garantie de réalisation de la sécurité et l’a comparée à une illusion inutile. Il a ressuscité dans l’ esprit de ses citoyens cette époque où ils avaient joui en toute arrogance du monopole de la force nucléaire qui n’a pas tardé à s’évanouir et à devenir une source de savoir d’où s’abreuvent un nombre limité d’Etats mais il a annoncé en même temps sa prophétie et son credo que les pays qui détiennent les secrets de la puissance nucléaire chercheront à les partager avec d’autres pays ou peut-être en fin de compte avec le monde entier. Il a appelé le monde à sortir de la chambre noire de la terreur nucléaire vers un espace libre où la force nucléaire serait la voie de la réalisation de la paix et de la prospérité à tous les peuples du monde. Dans son discours historique « l’atome au service de la paix » il a précisé que « le but ultime de mon pays est de prêter main forte au monde afin qu’il sorte de la chambre noire de la terreur nucléaire vers le jour et de trouver la voie qu’empruntera l’humanité entière pour avancer par son esprit et sa conscience en direction de la paix , de la félicité et d'une vie meilleure. » Il avait prononcé ces quelques mots presque huit ans avant son discours politique d’adieu prononcé à la fin de son second mandat en janvier 1961 au cours duquel il a lancé sa fameuse mise en garde contre la montée en force d’un « complexe militaro-industriel », cette force sauvage qui a réussi en quelque sorte à kidnapper la politique américaine pour l’enfermer dans la chambre obscure de la terreur nucléaire d’où il avait appelé à en sortir. Les dernières évolutions de la situation au Moyen-Orient sur le plan des politiques nucléaires me font invoquer le discours d’Eisenhower sur « l’atome au service de la paix » pour le relire et dégager les idées couchées entre ses lignes dans une tentative de comprendre la nature du choix nucléaire au Moyen-Orient et sa relation avec la paix et la prospérité. Désolé pour tous ceux qui ne connaissent Eisenhower que d’après le principe qui porte son nom dans l’histoire de la diplomatie mondiale et qui avait commencé à être appliqué par l’ingérence au Moyen-Orient. Je pense que cet homme a présenté- sur le plan pratique- à travers son discours sur « l’atome au service de la paix » une conception géniale d’un avenir meilleur pour le monde entier.
L’impératif du choix nucléaire:
L’histoire de l’humanité est traversée de moments charnières qui la reformulent, changent les règles du jeu, les dirigeants, parfois même les joueurs eux-mêmes et changent le sens du parcours emprunté par les peuples. L’un de ces moments est la possession du savoir nucléaire. En fait, il est impossible d’en faire l’apanage par une poignée d’Etats surtout qu’ils le font en vue d’imposer leur hégémonie sur le monde et de déterminer le sort des autres. Vu qu’il est le fruit d’un travail intellectuel, ce savoir ne doit pas être enfermé dans une chambre noire. Telle est la leçon tirée de l’expérience de l’Inde et du Pakistan. Il incombe d’étudier cette expérience d’après ses multiples facettes. A titre d’exemple, partant de la conviction que la force nucléaire est « une garantie d’existence » et non « une sécurité des frontières » l’autorité politique indienne a cherché à posséder la force nucléaire au lendemain de sa défaite lors de son affrontement frontalier avec la Chine en 1962. Néanmoins, la détention de la force nucléaire dans un contexte militaire est devenue une menace à l’existence du Pakistan, son voisin dans la péninsule indienne et qui en fut autrefois une partie intégrante. En contrepartie, l’autorité politique pakistanaise a cherché, à son tour, à posséder la force nucléaire face à celle de l’Inde en nourrissant toujours le même credo qu’elle est « une garantie d’existence ». Le Pakistan et ,bien avant lui, l’Inde, Israël, la Corée du Nord et l’Iran sont devenus détenteurs de la force nucléaire en dépit de toutes les entraves posées par l’ordre international à travers la diplomatie de « l’interdiction de la prolifération de l’énergie nucléaire ». La réussite de ces pays et probablement celle de certains autres à l’époque actuelle ou future, confirment la prophétie d’Eisenhower que « la technologie nucléaire » serait apte à être partagée avec d’autres pays ou probablement avec tous les pays du monde; de plus, la course à l’armement nucléaire est inutile : la grande suprématie d’un Etat au niveau de la possession des ogives nucléaires n’écarte nullement la possibilité d’être objet d’une attaque subite qui aurait pour bilan de lourdes pertes au niveau matériel et humain. Il en découle des propos d’Eisenhower une double conclusion : la première est « la nécessité du choix nucléaire » et la deuxième réside dans « l’obligation d’orienter ce choix vers la voie pacifique ». Et si l’on amalgamait ces deux déductions en une seule, l’on dirait « la nécessité du choix nucléaire pacifique ». A vrai dire, le choix nucléaire militaire est absurde, infructueux et d’aucune valeur : le nucléaire ne garantit ni la sécurité, ni la viabilité. En fait, utiliser la force nucléaire uniquement et absolument sur le plan militaire est un dépérissement certain à quoi succédera « l’hiver nucléaire» où disparaît tout signe de vie.
La voie de la paix et de la prospérité
Israël a introduit le Moyen-Orient dans la course à la force nucléaire militaire. Par conséquent, le choix nucléaire a porté, dès le premier jour, son cachet militaire chez les pays de la région qui aspiraient au développement. Alors que le choix nucléaire démarre avec l’installation d’un réacteur nucléaire pour les recherches pacifiques : les gros efforts incessants fournis par Israël en vue de faire de la force nucléaire militaire son dernier bouclier pour s’assurer la paix absolue a introduit la région toute entière dans un goulot d’étranglement duquel elle ne pouvait pas sortir : ce qui s’est traduit par des relations convulsives graves et violentes qui se sont exprimées par des conflits et des guerres qui ont débuté en 1948 et qui persistent jusqu’à nos jours : non seulement au niveau des relations entre les peuples et les pays arabes d’une part et Israël d’autre part mais également au niveau de la carte des relations établies entre l’ensemble des pays de la région soit entre les Etats et les peuples arabes d’une part et non arabes d’autre part ou à l’intérieur de ces pays ou au niveau de leurs relations tous avec le monde extérieur. La force nucléaire militaire n’a pas seulement abouti à une impasse politique et historique mais a engendré un engorgement multidimensionnel dont le traitement s’est avéré impossible sans changer le sens du parcours ou briser le goulot d’étranglement sinon le Moyen-Orient dans son ensemble subira une déflagration horrible et les politiques de « gestion de la crise » ne serviront à rien.
Dans son célèbre discours, Eisenhower a martelé ces mots : « Il ne suffit pas d’interdire la détention des matières nucléaires par les militaires mais on doit chercher à les confier aux soins de ceux qui savent leur ôter son enveloppe militaire et les rendre appropriées à l’utilisation dans les arts d’instauration de la paix ».C’était un appel-sans ambages- à l’expropriation de la force nucléaire militaire et à la transformation de la technologie nucléaire en un héritage mondial commun qui vise à réaliser le développement, la paix et la prospérité. Cette mission aurait dû être exécutée par : « l’Agence Internationale de l’Energie Atomique » qui est l’enfant légitime du discours d’Eisenhower qui ne tarda pas, après le kidnapping du complexe industriel militaire de la politique des Etats Unis, à se transmuter en un simple club fermé dirigé par les Etats qui cherchent à assurer leur hégémonie sur le monde pour avoir comme rôle principal de perquisitionner les Etats membres du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires afin qu’ils n’aillent pas au-delà de l’enrichissement nucléaire et entament la période primaire !
Selon Eisenhower, « les Etats Unis sont conscients que ce virage de la force nucléaire de l’utilisation militaire à l’autre pacifique pourrait être un don divin pour le bien de l’humanité entière. » L’utilisation pacifique de la force nucléaire est plus imminente qu’elle est une rêverie qui porte sur l’avenir. »
Aujourd’hui, alors que le discours d’Eisenhower « L’atome au service de la paix » fête ses 70 ans, il incombe aux pays du Moyen-Orient et de l’humanité entière de reconsidérer leur choix de la force nucléaire militaire et de freiner leur course à l’armement car, cette première comme cette deuxième voie, ne réaliseront ni la paix ou la prospérité mais laisseront derrière elles la destruction et la souffrance. Eisenhower est ce combattant qui a fait la guerre et a excellé dans l’art d’organisation des troupes et dans leur préparation au combat. C’est lui qui a conquis Rome, l’a libérée du fascisme et a organisé la dernière attaque contre les forces nazis de Normandie au Mur de Berlin. Il connaît la guerre comme la paume de sa main. Il n’avait nullement tort lorsqu’il s’y est posé contre à travers ses propos et a appelé à la réalisation des visées de son pays à travers « Les traités et non les guerres » et qu’ils soient constructifs et non destructifs. En connaissance de cause de la situation du monde à son époque, et qui était mille fois meilleure que de nos jours, il a appelé à une adoption prompte de cette vision car la gravité de l’élément temps nous impose d’entrevoir toute chance- même ténue ou fugitive- qui se présente à l’horizon pour réaliser la paix.