Combien est étrange le cycle de l’Histoire ! Il y a douze ans, pratiquement le monde entier- exception faite de l’Iran et de la Russie- était convenu de renverser le pouvoir du président Bachar Al-Assad. Une guerre civile dévastatrice opposant toutes les tendances- s’était déclarée dans toute la Syrie et jusqu’au cœur même de Damas que le pays fut complètement déchiqueté. Il y a huit ans, le régime de Bachar était sur le point de s’écrouler malgré le soutien iranien. La Russie est intervenue et l’a sauvé. Et voilà qu’après douze ans de son exclusion de la Ligue Arabe, la Syrie est invitée à la réintégrer à travers tous ses organes. Néanmoins, les organisations armées hostiles au président syrien- soutenues par les Etats Unis, la Turquie et portant l’impact de l’influence israélienne non négligeable- sont toujours en place et dominent près du quart de la superficie du pays. Le processus politique de normalisation des relations entre les forces politiques et la reconstruction du régime sur une base constitutionnelle est toujours en cours selon « la formule d’Astana » grâce au parrainage ds la Russie, de la participation irano-turque et loin de « la formule de Genève » appuyée par l’Union européenne et les Etats Unis et gérée par les Nations Unies. A l’intérieur de la Syrie, Al-Assad semble rassuré -plus que jamais- sur son pouvoir après avoir réuni le soutien de la Russie, de l’Iran, de l’Arabie saoudite, de l’Egypte, de l’Irak et de la Jordanie et qu’un consensus est en vue avec Erdoğan si jamais il est réélu. Avec ce développement de la situation au Moyen-Orient, Israël apparait comme la partie la plus préoccupée ainsi que les Etats Unis. En outre, certaines forces locales sont également dévorées par l’inquiétude et doivent refaire leur calcul à la lumière de la nouvelle donne ; On cite à cet effet l’ Organisation de libération du Levant ( autrefois Front al-Nosra ), Les Forces démocratiques syriennes (FDS) et les Groupes kurdes et turkmènes qui jouissent du soutien de parties externes.
Le Test politique d’Al-Assad
La décision de la Ligue Arabe n’est en fait qu’un test politique pour Bachar Al-Assad du point de vue de son pouvoir à normaliser la situation politique dans son pays et à établir un nouvel équilibre sur le front arabe de l’est qui est devenu un front de confrontation avec Israël et les Etats Unis et qui comprend outre l’Iran, la Syrie, l’Irak, le Liban, la Cisjordanie et le secteur de Gaza. Cette décision est susceptible d’être l’une des forces déterminantes de construction et de reconstruction des destructions commises par la Syrie elle-même et de tracer les grandes lignes du rôle syrien dans la restructuration de la force du Front Est et ses interactions régionales surtout que la politique saoudienne qui cherche à se rapprocher de la Syrie pourrait ne pas s’harmoniser avec la politique iranienne hostile à Israël et que la reconstruction du front Est signifie - sur le plan pratique- imposer un certain blocus terrestre contre Israël du Nord et de l’Est et place les forces américaines en Syrie et en Irak dans une situation plus difficile notamment au lendemain des frappes dont elles étaient victimes ces derniers mois et après que les Etats Unis ont failli à voir réalisé leur rêve de réunir ensemble Israël et l’Arabie Saoudite dans une seule et même alliance contre l’Iran. Ce rêve est maintenant brisé avec le désintérêt de l’Arabie saoudite à le réaliser : il s’ensuit que la diplomatie américaine au Moyen-Orient peine à se montrer performante alors qu’elle a toujours tablé sur la dissuasion militaire et sur la carte des sanctions. A évaluer la performance de la diplomatie américaine en ce qui concerne l’attitude arabe de la Syrie, nous remarquons que les Etats Unis ont échoué à contrecarrer la résolution du retour de la Syrie à la Ligue Arabe en dépit des pressions diplomatiques exercées contre un certain nombre des pays membres de l’Organisation. Selon le ministère américain des affaires étrangères et le Conseil américain de sécurité, Washington a fait savoir à ses partenaires au Moyen-Orient que les sanctions imposées contre la Syrie restent encore en vigueur en dépit de son retour à la Ligue Arabe et que l’administration américaine est toujours engagée par des paquets de la loi César alors qu’elle continue toujours ses consultations avec les pays arabes afin d’éviter le risque d’exposition aux sanctions secondaires si l’un d’eux ose fournir l’assistance à la Syrie. Les partenaires des Etats Unis au Moyen-Orient se sont engagés à garder un contact direct avec le gouvernement du président syrien afin de le maintenir sous pression et progresser sur la voie de la résolution de la crise syrienne, de l’accession à davantage d’aides humanitaires, de la création de conditions sûres au retour des réfugiés et de s’assurer que l’organisation terroriste « Daech » ne pourra pas faire une nouvelle réapparition, selon les déclaration du Secrétariat d’Etat américain. A fait référence à de telles conditions, le communiqué publié au sujet de la fin du gel de l’adhésion de la Syrie. La question qui se pose à ce sujet est la suivante : « Est-ce que l’opposition des Etats-Unis à la normalisation arabe avec la Syrie- au lendemain de leur échec à empêcher le retour de la Syrie au giron arabe- mènerait à son ralentissement ou aboutirait à isoler davantage la politique américaine dans la région ? »
Un retour graduel
Selon les déclarations du ministre jordanien des affaires étrangères, Ayman al-Ṣafadī, la décision du retour de la Syrie n’est que le premier pas sur un chemin long, cahoteux et semé de défis. La Syrie doit se montrer sérieuse en vue d’aboutir à une solution politique interne : c’est la condition sine qua none à l’exercice de pressions visant la levée des sanctions occidentales et qui est considérée comme indispensable à rendre disponible le financement nécessaire aux projets de reconstruction. Le communiqué publié à la clôture de la réunion d’Amman inclut la constitution d’un groupe ministériel dans le cadre de la Ligue Arabe qui aura pour mission de communiquer avec le gouvernement syrien en vue de préparer les solutions aux problèmes en cours à condition que la progression sur la voie de la normalisation soit le gage de l’arrangement de solutions convenues. Partant, la feuille de route de l’intégration totale de la Syrie à la Ligue Arabe inclut outre le règlement politique interne, la facilitation de l’accès de l’assistance humanitaire aux bénéficiaires, le règlement du problème des réfugiés et des personnes disparues qui étaient détenues par les autorités syriennes, la lutte contre le trafic des stupéfiants dont celui de la fénétylline qui prend la direction de la Syrie aux pays du Golfe via la Jordanie et qui constitue un défi majeur à surmonter sur la voie de la normalisation des relations entre la Syrie et les pays arabes de même que mettre fin à la présence des milices iraniens, garantir le non-retour des groupes terroristes tels Daech et Al Qaeda. En ce qui concerne la présence de la Syrie au sommet de la Ligue Arabe prévu le 19 mai courant. Il faut rappeler que l’Arabie Saoudite- le président en exercice de la nouvelle session- a adressé une invitation officielle au président syrien Bachar Al-Assad afin de mettre un terme à la polémique en cours.
L’Iran : une puissance de stabilisation ?
Le débat en cours en Israël porte sur le fait que le Moyen –Orient est entré dans une nouvelle phase où les relations régionales sont entretenues sous une influence iranienne en développement. Une confusion s’installe entre l’influence iranienne et le fait que les Etats Unis et Israël ont perdu une grosse part de leur influence régionale depuis 2018 et pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’Iran. Les derniers mois cette influence a affiché un net recul jusqu’à l’éclatement du grand séisme politique avec la reprise des relations saoudiennes –iraniennes. Il a provoqué un chamboulement de la stratégie américano-israélienne dans la région du Moyen-Orient : l’Iran n’est plus l’ennemi juré des Etats de la région et l’Arabie Saoudite n’a plus l’intérêt politique à se joindre à une alliance régionale contre l’Iran dirigée par Israël ou les Etats Unis.
La question qui reste toujours sans réponse ne porte pas sur le volume du prestige iranien mais plutôt sur la nature du rôle exercé par l’Iran sur le plan régional et si ce rôle joue à la faveur ou à la défaveur de la stabilité ? ou s’il provoque la tension ? Si l’Iran parvient - à la lumière de la nouvelle donne - à nommer précisément ses adversaires et à ne pas confondre certains de ses intérêts doctrinales ou idéologiques avec les intérêts et les impératifs de la stabilité dans la région, son rôle régional sera positif, en Syrie, en Irak, au Liban, au Yémen et en Palestine dans le cadre d’une entente régionale soutenue par des forces internationales telles la Chine, la Russie et l’Union européenne en œuvrant patiemment à désamorcer les bombes à retardement semées à travers la région. Le président iranien Ebrahim Raïssi a visité la Syrie en début de mois et a rencontré à Damas les dirigeants de Hamas et du Jihad islamique en vue de discuter de la situation dans les territoires palestiniens occupés par Israël et s’est engagé à poursuivre le soutien palestinien de la cause palestinienne et a exhorté à l’union et à l’exploitation de toutes les capacités en vue de vaincre le régime sioniste et la libération de Jérusalem et la restitution des droits palestiniens. Sur le plan des relations bilatérales avec la Syrie, le président iranien a conclu un certain nombre de conventions de coopération dans plusieurs domaines tels le commerce, la coopération économique, le pétrole et le gaz naturel. La visite de Raïssi visait - à ce que je pense- à l’instauration de nouvelles bases des relations avec la Syrie après sa réintégration dans la Ligue Arabe. Les deux parties seraient probablement convenues d’une formule de coopération militaire afin de garantir la sécurité et d’assurer une couverture légale à la présence militaire iranienne en Syrie qui différé de celle existante.
La responsabilité de la réintégration syrienne
Il n’ y a nul doute que le président syrien Bachar Al-Assad a intérêt actuellement, alors qu’il a franchi le premier pas dans le sens de la réintégration arabe, à adopter une politique qui lui permette de poursuivre le processus politique interne, d’entamer les travaux de reconstruction et de s’écarter de tout ce qui pourrait abattre la volonté de la stabilité interne. Une telle politique exige d’éviter d’entreprendre des aventures risquées de manière à encourager les pays arabes à exercer des pressions diplomatiques pour lever les sanctions économiques et d’autres sur Israël de la part de l’Arabie Saoudite, et les pays qui y sont liés par des relations de normalisation, en vue de stopper les attentats récurrents contre l’infrastructure vitale syrienne dont les aéroports afin d’entamer les efforts de reconstruction dans un climat de paix et de sécurité. Cette politique pourrait devenir un champ fertile d’interaction entre les parties au conflit au Moyen Orient en vue d’adopter une formule qui aide à baisser le niveau de la tension et instaurer la paix et la stabilité dans la région.
C’est pourquoi la tentative de la diplomatie israélienne de provoquer la peur du prestige iranien -qui va effectivement en grandissant- se range parmi les folies commises par le gouvernement israélien qui pense qu’elles ne pourront voir le jour que grâce à sa suprématie militaire écrasante par rapport à ses voisins. Israël doit savoir qu’une telle politique ne mènerait qu’à davantage de guerres et de conflits dont nous sommes témoins dans la région depuis le début du projet sioniste dans la région en 1920. Avec la montée du courant sioniste religieux et extrémiste en Israël, et si jamais la politique actuelle continuait à exercer son oppression contre les Palestiniens, il n’ y a nul doute que la tension en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem persistera comme catalyseur principal de la déstabilisation. Dans ce cas, Israël ne pourra jamais prétendre que l’Iran est un pays déstabilisateur de l’équilibre régional. A vrai dire, c’est Israël qui conduit la déstabilisation régionale au Moyen-Orient.