(De gauche à droite ) Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan, le président du Conseil européen Charles Michel, et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, arrivent pour une photo officielle avant leur réunion au Conseil européen de Bruxelles le 6 avril 2022, pour des pourparlers sous médiation de l'UE au milieu de tensions renouvelées autour de la région contestée du Haut-Karabakh. Les voisins du Caucase, qui ont mené une guerre en 2020 contre l'enclave azerbaïdjanaise peuplée d'Arméniens, ont récemment exprimé leur volonté de lancer des négociations sur un "traité de paix global", à la suite d'une flambée au Haut-Karabakh ce mois-ci. Photo : François WALSCHAERTS / AFP.
Les tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne cessent d’augmenter avec la reprise d’un conflit perlé en septembre 2022, puis le blocus de l’enclave du Haut-Karabagh et, à présent, l’installation d’un checkpoint sur le corridor de Latchine, seul axe routier reliant l’enclave à l’Arménie. Dans ce contexte où le processus de paix est sans cesse malmené, l’U.E. prend le leadership des négociations et propose une rencontre décisive entre les représentants d’Arménie et d’Azerbaïdjan, le 14 mai prochain, à Bruxelles.
Une réunion trilatérale de haute importance entre le Premier Ministre de la République d’Arménie, Nikol Pachinian, et le Président de la République d’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, a lieu dimanche 14 mai 2023 à Bruxelles, sous l’égide de Charles Michel, Président du Conseil européen. L’objectif : ouvrir une nouvelle étape dans les négociations des accords de paix qui piétinent entre les deux pays du Caucase sur la question du Haut-Karabagh. Paramètre important à prendre en compte : la situation sur place indique que la base même des négociations est biaisée. Une nouvelle violation très grave des dispositions de la déclaration tripartite de 2020 a en effet entaché le processus : à la veille du 24 avril 2023, date de commémoration des événements de 1915, Bakou a installé un checkpoint sur le corridor de Latchine, seule route reliant les habitants du Haut-Karabagh à l’Arménie, aggravant encore davantage la situation de crise humanitaire. Ce cran supplémentaire dans les provocations fait suite à de nombreuses autres, dans un contexte de pressions incessantes sur la population du Haut-Karabagh, soumise à un blocus total de l’Azerbaïdjan depuis près de 5 mois. Qui plus est ces tensions interviennent dans une période de commémoration de la mémoire du génocide des Arméniens particulièrement sensible pour l’Arménie et sa diaspora. La justification de l’installation de ce point de contrôle pour des raisons de sécurité cache en réalité des enjeux plus profonds de nature hégémoniques, militaires et politiques qui compromettent fortement la mise en place d’une paix durable dans la région du Caucase sud.
Bruxelles et Washington, leaders des négociations
Le président du Conseil européen Charles Michel s’engage à mener cette médiation pour « promouvoir la stabilité dans le Caucase du sud et la normalisation entre les deux pays », selon la communication officielle. Le Premier Ministre Pachinian et le Président Aliyev se sont eux aussi engagés à se rendre à Bruxelles « aussi fréquemment que nécessaire afin de gérer les développements sur le terrain ». Ils ont également accepté de rencontrer ensemble les présidents français et allemand en marge du sommet européen du 1er juin en Moldavie.
Cette rencontre à Bruxelles intervient après que, aux Etats-Unis, des « progrès tangibles » ont été relatés au cours d’intensives discussions menées début mai à Washington. Un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à propos de l’enclave disputée du Nagorny Karabakh serait donc désormais enfin « en vue » : « Nous sommes déterminés à continuer à aider nos amis à y parvenir », a affirmé Antony Blinken, sans pour autant laisser filtrer davantage de détails sur le sujet. La Russie, qui ne représente plus une alliance fiable, a pour sa part mis un bémol aux résultats optimistes des discussions menées à Washington rappelant qu’il n’y avait « pas d’alternative » à sa propre médiation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Selon l’analyse de Tigran Grigorian, directeur Centre Régional pour la Démocratie et la Sécurité en Arménie, la présence d'un poste de contrôle dans le corridor Latchine rend impossible toute circulation dans les conditions de sécurité requises. Le géopolitologue arménien dénonce les tentatives abusives de normaliser ce statu quo. Pour sortir de cette crise qui s’enlise, il salue l’initiative de Washington et Bruxelles qui agissent « en tandem » et représentent à ce jour la seule fenêtre pour entrevoir une résolution à moyen terme.
Depuis avril, des tensions exacerbées
Malgré les déclarations des parties concernées sur la nécessité de parvenir à une paix, les accords de cessez-le-feu sont constamment violés et la guerre se poursuit en réalité depuis deux ans et demi à bas bruit. Les actions de Bakou visent à augmenter la pression sur la population du Haut-Karabagh et à imposer de fausses solutions qui ne peuvent mener qu’à l'éventuel exode de la population arménienne du Haut-Karabakh, soumise au blocus depuis 5 mois, complètement coupée du monde et fortement affectée par des conditions de vie très dégradées. Pour le géopolitologue, Frédéric Encel, spécialiste du Moyen Orient et du Caucase, auteur de l’ouvrage Les Voies de la Puissance (Odile Jacob, 2022), très clairement, « aucune résolution de ce conflit n’est envisageable tant que 120 000 Arméniens sont pris en otages humanitaires ». Cette pression « si terrible » sur les civils qu’elle ne leur permet plus de vivre décemment est, selon lui, « intolérable » d’un point de vue du droit et de la morale. Et d’un point de vue géopolitique, Frédéric Encel déclare qu’il est « désolant que la France, diplomatiquement, et l’Union européenne, économiquement, n’agissent pas davantage pour contraindre Bakou à desserrer son étau illégal et illégitime. »
Le 14 mai se veut donc un tournant décisif pour revoir les conditions d’un processus de paix durable sous l’égide de Bruxelles. A moins que, si la rhétorique ne change guère, cette paix reste cantonnée à d’illusoires effets d’annonces qui continueront à masquer la fragilité dans laquelle est maintenue la population arménienne et les dangers d’une reprise imminente de la guerre.
HAUT-KARABAGH – Arménie
Le Haut-Karabagh est une région montagneuse située dans le Caucase du Sud. De septembre à novembre 2020, durant 44 jours, cette région, peuplée essentiellement d’Arméniens, a été à nouveau le théâtre d’un conflit entre, d’une part, l’Azerbaïdjan qui revendique sa souveraineté sur cette région (qui lui a été octroyée par Staline en 1921) et, d’autre part, l’Arménie qui avait repris le contrôle du territoire depuis sa victoire, en 1994. La guerre dite « des 44 jours » s’est soldée par la victoire de Bakou qui a repris le contrôle sur plus de 2/3 du territoire du Haut-Karabagh. 1/3 du territoire restant est peuplé de 120 000 Arméniens soumis aujourd’hui à un blocus total et complètement coupés du monde.