L'émir du Qatar, le cheikh Tamim bin Hamad al-Thani (2ndL) prononce un discours à côté de l'ancien émir du Qatar, le cheikh Hamad bin Khalifa al-Thani (L), le président de la FIFA Gianni Infantino (2ndR) et le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed bin Salman al-Saud pendant la cérémonie d'ouverture du match de football du groupe A de la Coupe du monde Qatar 2022, le 20 novembre 2022. (Photo de MANAN VATSYAYANA / AFP)
A l’occasion du match entre l’Arabie saoudite et l’Argentine (1-2), le 22 novembre 2022, l’Émir du Qatar avait ostensiblement porté sur ses épaules un drapeau saoudien, un geste tout sauf anodin envers son voisin avec Doha entretient pour le moins des relations compliquées. Une façon de montrer que le passif entre les deux pays rivaux était d’une certaine manière soldée après des années de tensions qui avaient débouché sur la mise au ban de l’Émirat le 5 juin 2017 jusqu’à une réconciliation orchestrée par Mohammed Ben Salmane en recevant, à al Ula, le 5 janvier 2021, l’Émir Tamim Ben hamad Al Thani, formellement invité dans le cadre du 41ème sommet du Conseil de Coopération des États Arabes du Golfe (CCEAG).
Retour sur le contentieux ancien entre les deux rivaux
Le Qatar a longtemps été dans l’ombre portée de l’Arabie saoudite avec laquelle l’Émirat a entretenu depuis des relations parfois difficiles en dépit d’une obédience confessionnelle très proche puisque la dynastie Al-Thani se rattache sur le plan religieux à une forme de Wahhabisme, même s’il s’efforce de s’en distancier dans son application en procédant même, à la faveur de la dynamique « Printemps arabes » de 2011, une OPA sur l’islam politique de la « mouvance frériste » jugée un temps plus présentable aux yeux des Occidentaux du fait de leur acceptation formelle de la logique électorale avec les résultats que l’on sait. L’année 2013 peut apparaître à de nombreux égards comme une année-tournant pour le Qatar puisque l’Émir Hamad Ben Khalifa al Thani décida, le 25 juin, d’abdiquer au profit de son fils l’Emir Tamim Ben Hamad Al Khalifa au moment même où - coïncidence ou non - commençait à être soldée l’impasse du devenir « islam-frériste » de la séquence, préemptée par Doha, des « Printemps arabes » de 2011, notamment dans l’Égypte du président « frériste » Mohamed Morsi - finalement renversé le 3 juillet 2013 par le général Abdel Fattah al-Sissi -, une Égypte faisant figure de laboratoire d’une contre-révolution initiée par le binôme saoudo-émirati avec les autres pétro-monarchies du Golfe. Le Qatar se retrouvait contraint de prendre la mesure de la défiance que sa politique pro-active sur la scène régionale suscitait auprès de ses voisins du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Pas suffisamment sans doute puisque le passage de relais du père au fils n’invalidait pas totalement la stratégie menée jusque-là et qui perdurait sur certains théâtres régionaux comme la Syrie plongée dans les affres de la guerre civile dans laquelle prospérait la mouvance islamiste sous toutes ses formes ou la Libye post-Kadhafi qui allait devenir un théâtre d’affrontement entre l’allié militaire du Qatar, à savoir la Turquie du président « frériste » Recep Tayyip Erdogan et les Émirats Arabes Unis de Mohammed Ben Zayed, dit MBZ, ferme soutien du président égyptien Abdel Fattah al Sissi, celui-là même qui était à l’origine du renversement du président Morsi.
L’épisode de la mise au ban du Qatar par le Quartet formé du trio du Conseil de Coopération des États Arabes du Golfe (CCEAG) et de l’Égypte le 5 juin 2017
L’ostracisation du Qatar avait été fortement initiée par MBZ entraînant avec lui MBS - dont il est souvent présenté comme le mentor en matière de politique étrangère - auquel s’ajoutaient leurs « obligés » de Bahreïn - dont Hamad Ben Issa Al Khalifa, issu d’une dynastie sunnite, avait sollicité l’aide militaire de Riyad le 14 février 2011 face au défi d’une insurrection de la population chiite majoritaire dans le royaume - et l’Égypte du président Abdel Fattah al Sissi, pour sa part « débiteur » de Riyad et d’Abu Dhabi pour le financement de sa prise de pouvoir, et de ses suites. Le caractère spectaculaire de cette crise s’était concrétisé, le 5 juin 2017, lorsque le Qatar se retrouva formellement mis au ban du CCEAG avec l’aval tacite du président Donald Trump et ce, alors même que l’Émirat du Qatar est un membre fondateur de ladite organisation et héberge, qui plus est, l’US CENTCOM (Commandement Central américain) couvrant l’ensemble du Great Middle East. Les pays pays du Quartet décidèrent alors de rompre unilatéralement leurs relations diplomatiques et commerciales avec Doha qui se retrouvait accusée rien moins que de « soutenir le terrorisme ». Derrière cette stigmatisation expédiente, affleurait un contentieux profond qui soldait certains comptes récents non apurés entre les protagonistes, voire un passif plus ancien. Le 23 juin 2017, le Koweït qui fait souvent de médiateur au sein du CCEAG remettait une liste de 13 exigences léonines pour toute reprise des relations entre Doha et les pays du Quartet : notamment de revoir les relations que le Qatar entretient avec l’Iran du fait de l’exploitation commune du champ gazier off-shore dans le Golfe ; de rompre avec toutes les organisations « terroristes » dont ferait partie celle des Ikhwan al-Muslimin (« Frères musulmans ») dont Doha serait le sponsor attitré au Moyen-Orient avec le soutien de la Turquie affiché du président « frériste » Recep Tayyip Erdogan ; de fermer l’emblématique chaîne d’Al Jazeera au motif qu’elle serait le vecteur médiatique principal des « Frères musulmans » accusé de fomenter la déstabilisation des régimes pétro-monarchiques conservateurs ; de suspendre la coopération militaire avec la Turquie pour la raison susmentionnée. Le Qatar qui refusa de céder à l’ultimatum qui lui avait été soumis décida de faire le dos rond.
De l’ostracisation du Qatar au rétablissement de relations moins conflictuelles avec Riyad, en passant par des chassés-croisés diplomatiques
En dépit de l’embargo sinon du blocus et de ses conséquences, le Qatar est parvenu à faire preuve de résilience et d’un pragmatisme certain en s’adaptant rapidement à la nouvelle réalité et en mettant en place des arrangements commerciaux des arrangements commerciaux et logistiques alternatifs qui ont lissé les coûts de la crise. Dans le secteur de l’énergie, le Qatar avait rapidement repris sa place de leader mondial de GNL tout en annonçant, le 6 décembre 2018, qu’il se retirerait de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’OPEP, pour manifester qu’il n’entendait plus être sous la coupe de Riyad. Il s’agissait d’une décision manifestement plus politique qu’économique puisque le Qatar fait figure de « Gulliver » gazier en étant devenu le n°1 mondial du GNL (Gaz naturel liquéfié), alors qu’il est « Lilliput » pétrolier représentant à peine 2 % des volumes de l’OPEP. Le mois suivant, l’Émir Tamim Ben hamad Al Thani avait néanmoins formellement été invité au 39ème sommet du Conseil de coopération des États Arabes du Golfe (CCEAG) le 9 décembre 2018 à Riyad, mais il avait décliné l’invitation faite à titre personnel. Le 5 décembre, le roi Salman d’Arabie saoudite - qui avait demandé et obtenu que ledit sommet se tienne en Arabie saoudite alors qu’il devait initialement avoir lieu à Mascate en Oman - avait en effet adressé une invitation écrite à Cheikh Tamim Bin Hamad Al-Thani, mais l’Émir du Qatar avait préféré envoyer pour le représenter le ministre d’État des Affaires étrangères, Sultan Ben Saad Al-Muraikhi, ce qui lui avait valu les critiques acerbes de ses pairs. Pourtant un an auparavant, l’Émir Tamim Bin Hamad Al-Thani avait, en revanche, fait le déplacement en personne au précédent sommet du CCEAG du 5 décembre 2017 au Koweït. Mais à l’époque c’est le roi d’Arabie saoudite qui avait boudé la réunion. Des chassés-croisés comme autant de contretemps avant une inévitable reprise de relations moins conflictuelles entre les deux Etats du CCEAG dans un contexte géopolitique renouvelé. Un contexte anticipant également le changement d’Administration à Washington avec la mise en place, début 2021, d’une nouvelle Administration à l’origine d’un retour en grâce de Doha qui n’a pas manqué de se rendre utile notamment par son entregent avec les Talibans lors du retrait américain de Kaboul.
Une normalisation plus qu’une réconciliation par intérêt bien compris
Le 41ème sommet du CCEAG du 5 janvier 2021 a finalement abouti à la signature d’un accord de réconciliation entre le Qatar et l’Arabie saoudite notamment. « Les efforts [du Koweït et des Etats-Unis] nous ont aidés à obtenir un accord sur la déclaration d’Al-Ula, qui sera signée lors de ce sommet, où nous affirmons la solidarité et la stabilité dans le Golfe », annonça Mohammed Ben Salmane, à l’occasion de ce sommet de réconciliation affichée. Le 16 janvier suivant, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faysal Ben Farhan al-Saoud, annonçait la réouverture prochaine de l’ambassade saoudienne à Doha qui n’avait pourtant pas cédé aux injonctions du Quartet, et que simultanément les Émirats arabes unis, Bahrein et l’Égypte avaient également accepté de « renouer complètement » avec le Qatar. Bien que le contentieux ne fût pas réellement apuré, Riyad semble préférer aujourd’hui éviter la confrontation et se concentrer sur les attendus positifs de cette réconciliation fondée sur l’accord signé le 5 janvier 2021. Un texte dont les dispositions exactes n’ont pas été rendues publiques, mais qui se déclinerait selon trois axes principaux : la réouverture de la frontière terrestre entre l’Arabie saoudite et le Qatar et la levée de l’embargo ; l’engagement du Qatar de retirer les plaintes déposées auprès des instances internationales (OMC, CIJ, Organisation civile internationale) ; la fin de la campagne médiatique de déstabilisation. En, contrepartie de la réconciliation affichée avec le Qatar, l’Arabie saoudite souhaitait aussi envoyer un signal positif en direction de la Maison Blanche, dont le nouveau titulaire ne manifestait pas une sympathie excessive - c’est un euphémisme - pour MBS depuis la sanglante affaire du journaliste Jamal Khashoggi. Mais sur le fond, ramener Doha dans le giron du CCEAG est aussi une manière de serrer les rangs en essayant de d’éloigner Doha de Téhéran, face à la menace représentée par l’Iran qui semble engagé dans une fuite en avant dans son programme nucléaire. Comme l’indiquait explicitement MBS lors de la réconciliation officielle avec Doha : « Nous avons aujourd’hui un besoin urgent d’unir nos efforts pour promouvoir notre région et faire face aux défis qui nous entourent en particulier les menaces posées par le programme nucléaire et de missiles balistiques du régime iranien, et ses plans de sabotage et de destruction ».