Les gens déposent des fleurs au mémorial du génocide arménien de Tsitsernakaberd à Erevan le 24 avril 2023, pour marquer le 108e anniversaire des massacres de la Première Guerre mondiale. Les Arméniens célèbrent le 108e anniversaire des massacres au cours desquels, selon eux, quelque 1,5 million d'Arméniens de souche ont été tués pendant la Première Guerre mondiale lors de l'effondrement de l'Empire ottoman. Les Arméniens ont longtemps cherché à faire reconnaître internationalement ces meurtres comme un génocide, avec le soutien de nombreux autres pays, mais cela a été farouchement rejeté par la Turquie. Photo : KAREN MINASYAN / AFP.
Cette nouvelle violation des dispositions de la déclaration tripartite de 2020 représente un enjeu à la fois militaire, diplomatique et politique. A la veille des commémorations de la mémoire du génocide des Arméniens, l’Azerbaïdjan a fermé le pont Hakari à la frontière entre Haut-Karabagh et l’Arménie, situé dans la zone de contrôle des troupes russes de maintien de la paix, sur le Corridor de Latchine. Bakou a annoncé que la route est fermée afin d’installer un point de contrôle pour des raisons de sécurité, au motif que des transferts d’armes de l’Arménie vers le Haut-Karabagh ont été repérés.
A la veille du 24 avril 2023, qui marque la date de commémoration de la mémoire du génocide des Arméniens, des travaux d’installation d’un poste frontière ont débuté. Cette implantation s’inscrit dans la continuité du blocus opéré par l’Azerbaïdjan depuis plus de 4 mois sur le corridor de Latchine, la seule route reliant l’Arménie et le Haut-Karabagh. Ce dispositif contrevient totalement aux termes de l’accord tripartite de cessez-le-feu entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Russie, signé le 10 novembre 2020, pour mettre fin à la guerre des 44 jours au Haut-Karabagh. Les principaux termes de l’accord comprenaient notamment le déploiement de troupes russes de la paix, le long de la ligne de contact, pour superviser le cessez-le-feu et protéger les routes reliant le Haut-Karabagh à l’Arménie, et ce, jusqu’en 2025.
Dans le même temps, rappelons que ce sont les frontières mêmes de l’Arménie qui continuent d’être menacées dans leur souveraineté : environ 250 km de frontières se trouvent infiltrés par les forces armées azerbaïdjanaises qui pénètrent, en de nombreux points, le territoire de l’Arménie souveraine sur 15 à 30 km. Des tirs sont régulièrement rapportés et ont fait déjà plusieurs morts et blessés depuis la reprise des tensions en septembre 2022. C’est dans ce contexte, qu’au matin du 23 avril 2023, le ministère arménien de la Défense a confirmé qu'un soldat avait été tué par les forces azéries qui ont ouvert le feu sur une position arménienne à Sotk, un village à l'est du lac Sevan. De telles incursions, implantations et pertes ont créé une situation de conflit perlé qui ne cesse de s’intensifier : depuis décembre 2022, avec le blocus de Bakou sur le corridor de Latchine, et, à présent, avec l’installation d’un checkpoint azéri.
Côté azéri : en finir avec le problème du Karabagh
L’installation de ce barrage routier par les autorités azerbaïdjanaises, justifiée, selon elles, par des questions de sécurité, représente une aggravation des tensions déjà très fortes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le signal envoyé par Bakou est très explicite : il s’agit purement et simplement de gommer sur la carte le problème résiduel du territoire du Karabagh arménien (Artsakh) et de résoudre, une fois pour toutes, la question arménienne en accélérant la récupération des territoires visés.
Cette politique se traduit sur place par une situation humanitaire hautement dégradée. Avec la mise en place de ce checkpoint, le message funeste à l’attention des Arméniens résidant au Haut-Karabagh, réitéré depuis plusieurs mois dans le discours d’Ilham Aliyev, « la valise ou le cercueil », prend corps. Brutalement, alors que l’Arménie toute entière et les délégations internationales – notamment celles du groupe d’amitié France-Arménie au Sénat, menée par le Sénateur Gilbert-Luc Devinaz et à l’Assemblée Nationale par la députée Anne-Laurence Petel – sont venues se recueillir au mémorial du génocide de Tsitsernakaberd, à Erevan, Aliyev passe à l’acte : les populations arméniennes du Karabagh peuvent désormais emprunter le corridor pour sortir du Karabagh vers l’Arménie mais ne peuvent plus retourner chez elles. Le chemin inverse leur est fermé.
L’intention est claire : l’Azerbaïdjan qui a mis en place une politique de l’intimidation, de la terreur, du harcèlement, pousse la population arménienne du Haut-Karabagh à quitter définitivement ce territoire. Depuis le blocus du corridor de Latchine, malgré le silence médiatique et diplomatique, l’enjeu humanitaire est de taille : 120 000 personnes se trouvent en effet en situation de pénurie, coupées du monde, dans la précarité et l’isolement le plus total. La communauté internationale dénonce une décision illégale, des voix s’élèvent mais aucune sanction n’est à ce jour appliquée à l’encontre de l’Azerbaïdjan. Paris a appelé Bakou à « se conformer à ses obligations internationales », rappelant qu'une décision rendue il y a deux mois par la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l'ONU, avait « force obligatoire » pour l'Azerbaïdjan. Renata Alt, présidente de la commission des droits de l’homme et de l’aide humanitaire du Bundestag, a condamné la mise en place de ce point de contrôle par l’Azerbaïdjan sur le corridor de Latchine, la qualifiant de violation du droit international. Elle publie cette déclaration sur twitter : « Le nouveau point de contrôle azerbaïdjanais sur le pont de Hakari dans le Haut-Karabakh contredit le droit international et rend difficile la libre circulation des personnes et des approvisionnements dans la région. L’Azerbaïdjan doit respecter les droits de l’homme et appliquer immédiatement les exigences du Code pénal international. »
Côté arménien : éviter à tout prix un deuxième génocide
De son côté, l’Arménie appelle la Russie à faire respecter l'accord, qui stipule que le corridor de Lachine doit être sous le contrôle des soldats de la paix russes. Lors d’une réunion gouvernementale, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a exigé, ce jeudi 27 avril, que la mission de maintien de la paix russe « contrôle le corridor de Latchine et assure son fonctionnement ». « Personne à l’exception de la Fédération de Russie n’a le droit de contrôler le corridor », a-t-il encore réitéré pour se prémunir du « nettoyage ethnique des Arméniens du Nagorny Karabakh » qu’il rappelle être l’objectif de Bakou. Pourtant, tout se fait avec l’accord tacite des forces de paix déployées par la Russie qui, depuis le début du conflit de 2020, s’inscrit dans une forme de duplicité à peine masquée. Ce rapport de forces, dont la Russie tient les ficelles, ne se résoudra pas sous la férule de Poutine qui se sert du Karabagh comme levier d’influence à la fois sur l’Arménie et sur l’Azerbaïdjan. Dans le même temps, la Russie indique à nouveau fermement à l’Arménie son refus de la voir échapper à la spère d’influence russe. L’Arménie, prise en étau et ne pouvant plus se fier à la seule protection russe, continue à se tourner vers le bloc occidental. Si une mission d’observation de l’Union européenne est actuellement déployée aux frontières de l’Arménie, Nikol Pachinian a également réclamé une présence internationale élargie au Karabakh et dans le corridor de Latchine, nœud des tensions. Ces propos interviennent alors que la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, est arrivée jeudi 28 avril à Bakou avant de rejoindre l’Arménie où elle s’est recueillie, à son tour, au mémorial du génocide. En cette période où la France, l’Arménie et le monde entier commémorent les 1 500 000 victimes du génocide de 1915, le plus bel acte de mémoire sera de stopper l’épuration ethnique en cours au Haut-Karabagh. Parce que, comme nous l’a enseigné le Prix Nobel de la Paix, Elie Wiesel, survivant de l’holocauste, « l’indifférence n’est pas un commencement, c’est une fin ». Parce qu’il ne peut y avoir un deuxième génocide.