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Soudan

La guerre au Soudan

Le Dialogue

Avec le vrombissement des avions, le grondement  des canons  et le sifflement des balles  à Khartoum,  samedi  15 avril 2023, la sourde compétition  latente depuis des mois a  enfin  pris fin et  un  combat violent s’est enfin déclaré entre les alliés d’hier : Abdel Fattah al-Burhan commandant des forces armées et président du Conseil de souveraineté  et Mohamed Hamdan Dogolo alias Hemetti,  chef des Forces de soutien  rapide et  vice-président du  Conseil de  la souveraineté. Les deux parties se  sont  échangé les accusations:  les forces armées ont qualifié leurs adversaires de rebelles  alors qu’en  contrepartie les FSR les ont dénommées putschistes et  rémanences du  régime d’El Bachir.  

Une autre scène de bataille a été retransmise par la télé et les réseaux   sociaux :  les partisans de chacune des deux parties ont  eu leur propre  version  des causes des différends et du parcours  des opérations militaires. Chaque partie  a confirmé les éléments  de  sa force et la légitimité  de son  attitude  tout en laissant  entendre la force de  sa position sur   le champ de  bataille et son  emprise exercée  sur nombre de postes militaires et sécuritaires à l’intérieur et à l’extérieur de Khartoum. L’information  et la désinformation étaient toujours  à la portée de l’opinion publique  qu’un  inextricable imbroglio  s’est  noué  au sujet du  déroulement du  combat dans ses premiers jours.

Néanmoins, cette confrontation  avait un troisième axe dont les protagonistes étaient les analystes et les commentateurs  qui  présentaient leurs propres interprétation  des faits au sujet du  statut  quo. Il était  évident que bon nombre d’entre eux-  surtout ceux résidant en dehors du Soudan- ont usé de leurs connaissances politiques et non  des faits sur le terrain pour étayer leurs analyses ;  certains  sont allés jusqu’à émettre des jugements au sujet de questions multiples  sans avoir recours à  aucune preuve ou  indice. Il s’ensuit  alors des différences et des contradictions énormes au  sujet des faits  qui  se déroulent au  Soudan. Les commentateurs ont  joué leur rôle dans l’aggravation  de la confusion due à leurs interprétations opposées. 

Et,  au  lieu de  chercher à  démêler cet imbroglio,  il  serait préférable  de  revenir au cœur  même du  sujet. Il faut  avant  toute chose prendre conscience de la nature  de la société  soudanaise subdivisée d’un  point de vue ethnique,  tribale et politique  au  point qu’elle occupe,  dans le rapport 2022,  la septième place  dans le classement-  selon l’indice de fragilité   des Etats en  déliquescence. 

L’histoire  moderne du  Soudan en témoigne. Depuis son indépendance en  1956.  Il fut  le  théâtre de plusieurs guerres civiles dont- en premier  lieu- le  combat  du Mouvement populaire de  libération du Soudan   qui entraina le pays dans deux longues guerres qui  se sont étendues respectivement de 1955  à  1972 et de  1983 à  2005 et qui ont touché à leur fin  avec l’indépendance  du  Sud Soudan en  2011. A  cela s’ajoute   la misérable guerre  qui s’est  déroulée  dans les wilayas du Darfour en  2003 au  cours de laquelle les belligérants ont  violé  toutes les règles du  droit international  humanitaire qu’elle  fut  dénommée le premier génocide du  vingt et unième siècle  et le Tribunal  Pénal International a adressé  des chefs d’accusation à un  certain  nombre de dirigeants soudanais  dont l’ancien président  El  Béchir, Et,  enfin  la guerre à la wilaya au  sud du Kordofan  et le Nil  bleu depuis 2011.

Le  Soudan  a connu également  trois  coups d’Etat  en  1958, en 1969 et en  1989 qui ont  instauré des régimes militaires qui ont  duré pour 52 ans.  A cela s’ajoutent 9 tentatives de coups d’Etat au cours des années  1957, 1971, 1973, 1975, 1976, 1990,1992 et 2021,  Elles furent  toutes avortées  et leurs auteurs  arrêtés. 

De même, le  Soudan fut le théâtre de deux interventions  de  l’armée en  vue de soutenir le Mouvement populaire revendiquant le renversement du  régime en  place : la première  en 1985 dirigée   par  Abdel Rahman Suwar al-Dahab  contre le régime de Nemeyri et la deuxième  en  2019 dirigée par le Conseil  militaire des forces armées  dans le but  de renverser le régime d’El- Béchir  et ouvrir la voie  au processus de paix en  vue de parvenir à un  régime  civil. Depuis son indépendance, le Soudan n’a été régi par un régime civil  que pour dix ans seulement  d’un total  de 67 ans.

Les racines mêmes de  la crise actuelle  remontent aux incidents survenus au  lendemain de la réussite  de la révolution populaire  en  2019 grâce  au  soutien de l’armée. Au mois d’août  de  cette année, l’armée  et les forces de la liberté  et  du changement  sont  convenus de  la création  du Conseil  de  la souveraineté  afin qu’il  soit  la plus  haute  autorité  de l’Etat  tout  le long  de 39  mois et de manière que sa présidence soit  assurée  pour une première période de vingt  et un  mois par  une personnalité militaire  et par une autre civile pour la seconde période s’étalant jusqu’au  reste des trente-neuf  mois. Les relations s’envenimant entre les deux dirigeants militaire et civil, Burhan a renoncé,  en  octobre 2021 à  abdiquer son  poste à la fin  de la période qui  lui  était allouée. Des manifestations populaires ont  éclaté  de nouveau contre le régime de l’armée et ont abouti  en  fin de  compte à la signature  d’un accord cadre  en  décembre 2022  disposant de la remise  du pouvoir aux  civils  au terme d’une période  transitoire. 

Le différend est passé à l’intérieur de la composante militaire au  sujet  de l’avenir des Forces de  soutien rapide : faut-il  les insérer  dans les unités des forces armées et quel temps  en  serait-il nécessaire ou  serait-il préférable  de les garder  en tant  que force indépendante soumise au  premier  ministre. Quoi  qu’il en  soit et quel que soient les détails,  l’essence du  conflit porte sur le pouvoir et le patrimoine.

Le grand paradoxe de l’histoire moderne du Soudan réside  dans l’aspiration  des forces civiles à  établir un  régime démocratique d’une part  et la persistance du  régime contrôlé par  les militaires d’autre part. Les régimes au  Soudan  semblent avoir  un  cycle  de  vie  régie toujours  par des troubles politiques et sociaux   et  qui  se termine par  l’ingérence  de l’armée et  l’établissement  d’un régime  militaire étendu suivi  par l’éclatement  des manifestations  populaires qui  prônent sa  chute  pour revenir au  régime  civil et le  cycle de  vie reprend et ainsi  de suite. 

Le nouveau  cette fois-ci c’est  le conflit qui  se déroule entre deux forces militaires  et  les scénarios  probables  et inquiétants.  Si  l’une des deux parties  l’emporte, il  sera placé  face aux forces civiles du  régime politique ;  au  cas où les parties belligérantes optaient pour les négociations pour  mettre un  terme au conflit,  ce serait  aux   frais d’une transition  vers un régime démocratique. Mais si  le conflit  persiste et  gagne  d’envergure , il  fera  l’objet d’une mutation  pour devenir  une guerre civile qui  exposera  le Soudan à un  autre partage.