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Monde

Immigration, urgence ou ressource pour l'Italie ? sachons analyser la politique italienne autrement qu’avec des lunettes idéologiques !

Le Dialogue

Le Premier ministre italien, Giorgia Meloni, arrive le 9 mars 2023 pour la réunion hebdomadaire du Cabinet à la mairie de Cutro, dans la région de Calabre, près du site d'un naufrage meurtrier où au moins 72 migrants sont morts le 26 février, un geste symbolique pour l'Italie. -gouvernement de droite, ouvertement anti-migrants. Photo : Tiziana FABI / AFP

Les débarquements sur les côtes italiennes depuis la mer Méditerranée - près de 32 000 depuis le début de l'année dans le Belpaese - divisent la politique italienne, incapable de trouver un cadre définitif sur la gestion du phénomène migratoire. Ceci est dû en partie aux intérêts électoraux respectifs, mais aujourd'hui, plus que jamais, également au nombre croissant d'arrivées massives de migrants clandestins de plus en plus difficiles à gérer. Le gouvernement italien de centre-droit a donc décrété l'état d'urgence national pour gérer ces débarquements. Pour cela, un premier prêt de 5 millions d'euros sur six mois a été préparé qui servira, dans les intentions de l'exécutif - à améliorer les solutions d'accueil qui impliqueront la Protection civile et la Croix-Rouge italienne. Il s’agira aussi ici de renforcer le Cpr, les structures destinées au rapatriement des personnes non autorisées à séjourner en Italie, en renforçant l'identification et les procédures d'expulsion.
La droite (au pouvoir depuis septembre) a décidé cette mesure afin de faciliter certaines procédures d'identification. Nello Musumeci, le ministre de la protection civile et des politiques maritimes, a expliqué : "Soyons clairs, on ne résout pas le problème, dont la solution ne peut que liée à une intervention raisonnée et responsable de l'Union européenne". Il s’agit donc ici seulement d’accélérer les procédures d'accueil et la redistribution sur le territoire national, de gérer au mieux la présence de clandestins sur le territoire, alors que les centres d'accueil sont submergés. 

Or pour transférer rapidement les migrants, il fallait un nouvel outil, et l'état d'urgence prévoit, entre autres, la nomination d'un commissaire extraordinaire pour accélérer les procédures : notamment la location de ferries pour les transferts de migrants vers d'autres villes d'Italie et pour les rapatriements. Une mesure similaire avait d’ailleurs déjà été décidée par le gouvernement de Mario Draghi lorsque, le 28 février 2022, ce dernier avait déclaré l'état d'urgence pour garantir l'accueil des réfugiés d'Ukraine. De ce fait, face à ceux qui font des cris d’ofraies, on peut répondre que si la mesure était valable à l'époque, pourquoi ne devrait-elle pas être utilisée pour gérer plus de 32 000 migrants entrés en Italie depuis le début de l'année ? 

D’après la gauche, il y aurait certainement un discours idéologique derrière les choix des partis de droite. En réalité, il n’en est rien. Car pour le gouvernement, l'état d'urgence sur l'immigration est une ressource supplémentaire : il permet d'alléger certaines procédures. Car (et c'est là le point central) si l'Italie et ses garde-côtes sont parfaitement capables de gérer l'accueil de petites embarcations avec à leur bord quelques dizaines de migrants, la donne change lorsque, soudain (et souvent volontairement sans prévenir) d'énormes navires d'ONG pro-migrants aux agendas sans-frontiéristes arrivent en Sicile ou d'autres régions avec 400 parfois jusqu’à 800 migrants illégaux à bord qui sont d’ailleurs, comme l’a reconnu Ursula Von der Leyen elle-même récemment, très rarement éligibles au statut de réfugiés politiques ou fuyant la guerre, mais des migrants économiques qui veulent contourner les procédures légales d’immigration. Si l'Italie atteint ces chiffres d’immigration clandestine effarants, c'est aussi grâce à la proximité de plus en plus fréquente des navires des ONG avec les côtes libyennes et tunisiennes. Ces ONG aux agendas anti-frontières connus et assumés, prétendent respecter le droit de la mer en menant des opérations de « sauvetage », mais en réalité, de plus en plus souvent, ce sont elles-mêmes qui vont "récupérer" des groupes de migrants et souvent y compris en direction de bateaux qui ne sont pas en détresse. Les bateaux de ces ONG font ainsi le tour de la Méditerranée (même dans les eaux maltaises) puis atterrissent en Italie.

 

La vérité des faits observés depuis l’Italie face aux accusations de certains médias et politiques européens

Contrairement à ce que l’on entend souvent ici et là, aucun représentant du centre-droit italien membre du gouvernement de Giorgia Melona n'a lancé de campagnes xénophobes contre les migrants, sous prétexte de lutter contre le risque de plus grande mixité démographique en Italie qu’induit les arrivées illégales d'immigrants en provenance de la mer Méditerranée. En revanche, une bataille contre l'immigration clandestine a été déclenchée légalement par le Premier ministre Giorgia Meloni et celle-ci entend la mener à bien. Rappelons que l’Italie de Meloni, quoi que l’on pense d’elle, ne fait rien d’autre que ce que la France fait déjà à la frontière de Vintimille contre les immigrés venant d’Italie, ou même comme l’ont illustré les accords entre Paris et Londres pour arrêter les bateliers qui traversent la Manche et qui, avec leurs "voyages", entraînent régulièrement la mort de dizaines de migrants dans les eaux glaciales franco-britanniques.

La raison de la lutte contre les flux illégaux de la part de l'Italie ne réside pas seulement dans le nombre croissant de débarquements dû à l'instabilité de certaines zones du Maghreb (Libye, Tunisie en premier lieu), il faut avoir le courage de dire haut et fort  qu’elle sert aussi à s'affranchir progressivement d'un processus laborieux de gestion des flux migratoires dans lequel, paradoxalement, l'État régalien ne peut pratiquement plus intervenir, à ce jour, sauf de manière fort limitée, ce qui pose un vrai problème de souveraineté nationale et de sécurité. Peu de gens savent par exemple qu'en Italie, la possibilité de recevoir une "protection humanitaire" (pour un immigré qui arrive illégalement d'Afrique du Nord sur la côte italienne et que Giorgia Meloni n'a pas l'intention de refuser à ceux qui y ont droit), est seulement l’"un" des choix possibles. En fait, il existe aussi une procédure particulière - plus facile à obtenir - appelée "protection spéciale". Or grâce à cet instrument, un immigré peut obtenir immédiatement un permis de séjour de deux ans, renouvelable, et rester sur le territoire italien, ce qui lui permet de commencer à travailler. Cet outil, imaginé par les préfets, a survécu par inertie jusqu'à ce qu'on s'aperçoive qu'il était utilisé abusivement et détourné de son objectif exceptionnel sans qu’il produise les résultats escomptés, c'est-à-dire introduire une partie des immigrés de la Méditerranée dans le monde du travail. Face à plus de 45 000 demandes, rappelons que seulement un peu plus de 2 500 ont été dans ce cadre converties en permis de travail, soit à peine 6 % du total en moins de trois ans : 257 en 2020, 578 en 2021, 1 184 en 2022 et 662 jusqu'au 31 mars 2023.
Le permis de protection "spéciale" peut être demandé par les citoyens étrangers directement à la Préfecture de Police, même en dehors des procédures prévues pour la protection "internationale". Mais l'évaluation du processus n'est pas basée sur des critères clairs ou rigoureux, ce qui expose le processus à des abus et des erreurs qui, en dernier ressort, ont également pour conséquence que de nombreux migrants ayant ce permis en poche (souvent demandé dans le seul but de ne pas être expulsé) ne l’utilisent en fait que pour réussir à atteindre d'autres pays européens, où ils vont souvent alimenter une économie illégale et parallèle qui a été « vendue » au migrant clandestin lorsqu’il a acheté à des passeurs mafieux trafiquants d’êtres humains un « parcours migratoire » avec une destination finale différente de celle de la première entrée (détournement du processus de Dublin).

 

Pourquoi la France et l’Italie s’opposent et s’accusent mutuellement au lieu de coopérer de façon constructive en laissant de côtés les agendas idéologiques et de politiques politicienne ? 

D’après nous, la France et l'Italie devraient coopérer en matière d'immigration car ils sont en fait sur la même ligne, et pour ainsi dire dans le même « bateau », c’est le cas de le dire, même si les deux gouvernements n'en sont pas pleinement conscients ou ne veulent pas le reconnaître ouvertement pour des raison idéologico-politiques stériles. Rappelons que la « protection spéciale" est accordée lorsque, sous certaines conditions (liens familiaux, sociaux et même culturels), il n'est pas possible d'éloigner l'étranger du territoire national. Or presque tout  le processus repose aujourd'hui sur des déclarations écrites à l'encre sur un formulaire à envoyer et qui est ensuite analysé de manière fort bureaucratique. Le gouvernement italien veut simplement réduire cette « protection spéciale", qui, comme le nom l’indique, est exceptionnelle, et doit respecter des cas précis et particuliers, et non pas la supprimer comme cela a été dit de façon désinformationnelle. 

D’après nous, et vu de Rome par un journaliste italien correspondant en France pour Il Giornale et pour un Français géopolitologue qui présent à Rome, il est clair qu’il convient de dépassionner le débat et rapprocher plutôt que d’éloigner les positions françaises et italiennes, donc soutenir cette bataille du gouvernement italien non pas pour servir les intérêts de Mme Meloni mais parce que l’intérêt des deux nations cousines et de l’ensemble des pays européens est le même. Rappelons que la carte de « protection spéciale", telle que définie en 2020, est en fait un type particulier de document qui peut également être délivré aux étrangers directement par le Préfet de Police, après avis des Commissions Territoriales. Et très souvent, il a été délivré à des immigrés demandeurs d'asile qui n'ont pas les caractéristiques pour obtenir un statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Cette "troisième voie" imaginative a de ce fait et par le détournement de cette procédure amené des milliers d'immigrants entrés illégalement dans les rues italiennes à obtenir de facto l'autorisation d'y rester pendant au moins deux ans.
Comme l'a précisé la Commission nationale italienne du droit d'asile le 19 juillet 2021, le permis de protection spéciale peut normalement être obtenu par l'étranger selon deux procédures différentes. La première lorsque la Commission territoriale, dans le cadre de la procédure de reconnaissance de la protection internationale, ne reconnaît pas les conditions et accorde au lieu et place le permis "spécial", ceci en transmettant les documents au Questeur pour qu'il déclenche la procédure. La seconde commence par une question que l'étranger peut adresser directement à la Préfecture de Police pour obtenir ledit permis qui peut être délivré après avoir recueilli l'avis de la commission territoriale sur l'existence des conditions. Environ 10 000 permis ont été ainsi accordés en 2022 avec l'instrument introduit par l'ancienne ministre de l'Intérieur Luciana Lamorgese. En fait, le nouveau décret-loi du 10 mars 2023, l'article 20 du gouvernement, prévoit donc des "dispositions urgentes sur les flux d'entrée légale des travailleurs étrangers et la prévention, puis la lutte contre l'immigration irrégulière". Avec cette disposition, le gouvernement a tout d'abord donné une réponse à la tragédie qui s'est produite à Cutro (sur la côte calabraise) le 26 février, et il établit une compression de l'immigration irrégulière, l'expansion des flux d'entrée légale pour le travail, la simplification des procédures, mais aussi le renforcement des centres de rapatriement et la mise en place de filières d'accès privilégiées pour les citoyens des pays qui organisent des formations professionnelles ad hoc. Et c'est l'un des thèmes sur lesquels Rome travaille, par exemple avec l'Egypte et la Tunisie.
Le « décret Cutro » vise en fait essentiellement à réglementer l'immigration non planifiée, canalisée depuis des années sur les routes maritimes, mais aussi à travers les Balkans, et il donne des outils pour faciliter l'entrée de ceux qui viennent en Europe pour travailler et décourager en revanche ceux qui se tournent plutôt vers les passeurs pour entrer de manière irrégulière. La législation relative à la protection des demandeurs de protection internationale reste donc inchangée, contrairement à ce que pensent certains. L'objectif, plusieurs fois énoncé, est donc simple : seuls deux canaux doivent être ouverts et utilisés pour la gestion de l'immigration vers l'Italie, selon le gouvernement Meloni. Il s'agit du « décret flux » et de l'admission à la protection internationale avec obtention du statut de réfugié. Cela facilite également la gestion et le contrôle, sans outils inutiles qui se chevauchent et ne résolvent pas le problème.

 

Le volet également crucial des rapatriements
Le gouvernement italien travaille également sur un autre volet, celui des rapatriements : l'objectif est de renforcer le processus pour accélérer les délais d'expulsion de ceux qui n'ont pas droit à la protection. Le projet "Identity", qui démarrera en juillet prochain en collaboration avec Interpol, s'inscrit également dans ce scénario. Cela a été annoncé par le Viminale (présidence du Conseil des Ministres italien) qui, dans une note, l'a décrit comme "un outil qui permettra d'identifier les migrants arrivant irrégulièrement en Italie et qui servira à faire face au risque potentiel d'infiltration par des sujets dangereux pour la sécurité". A cela s'ajoute le renforcement des Cpr (Centri di Permanenza per i Rimpatri) qui ont, rappelons-le, été institués non par Meloni ou Salvini par la loi Minniti-Orlando (L 46/2017), donc par un gouvernement de gauche (PD, parti démocrate). Or ces structures de détention tout à fait légales, jadis submergées, vont être multipliées dans chaque région du territoire italien, ce qui va désengorger ces centres et les rendre plus humains et mieux gérés dans des conditions plus saines et plus viables. Rien de contraire aux droits de l’homme, rien de choquant, rien qui viole les « conventions internationales » comme le clament les ONG et une certaine gauche radicale sans-frontiériste. Nous en voulons pour preuve que depuis quelques semaines, alors que nombre de polémistes hors d’Italie hurlent aux loups, la vraie extrême-droite italienne et les populistes anti-migrants de la botte accusent Meloni et son gouvernement d’avoir « faibli » et même « trahi » sur la question de la lutte contre l’immigration… In medio stat virtus.