Le ministre d'État syrien aux affaires présidentielles Mansur Azzam (2ème à droite) accueille le ministre saoudien des Affaires étrangères Faisal bin Farhan (2ème à gauche) à l'aéroport de Damas, le 18 avril 2023. C'est la première visite dans la capitale syrienne par un officiel saoudien depuis le début de la guerre civile dans le pays en 2011. Photo : LOUAI BESHARA / AFP.
L'Arabie saoudite déploie un trésor d’énergie pour ramener officiellement le Président syrien Bachar El-Assad dans le cercle très restreint arabe ; et ce dès le mois de mai 2023.
Ce qui ne manquera pas d’apparaître comme une victoire pour l'Iran et la Russie ; et ce malgré les avertissements américains après plus d'une décennie de conflit.
C’est ainsi que le Royaume des Saoud bat la campagne pour mettre fin au bannissement de la Syrie de la Ligue arabe, avant le sommet de Riyad prévu à la mi-mai 2023.
Dans ce contexte, Washington est mise sur le fait accompli. Les Américains ont bel et bien réalisé qu'ils ne pouvaient plus faire grand-chose pour arrêter ce processus inéluctable.
"Effet calmant"
Alors que les États-Unis ont été pris au dépourvu par la signature de l'accord irano-saoudien à Pékin, le Secrétaire d'État adjoint aux Affaires du Proche-Orient, Mme Barbara Leaf, s'est récemment félicitée de "l'effet calmant" qu'il pourrait avoir sur la région, notamment en ce qui concerne la guerre au Yémen.
« Tout ce qui fournit une sorte de détente durable dans les tensions et la confrontation qu'ils ont eues au cours des années est une bonne chose et devrait avoir des effets régionaux plus larges », a déclaré Barbara Leaf.
Dans ce contexte, le Prince héritier Mohammed ben Salmane, est impatient de faire de son Royaume le leader politique et économique incontesté du monde arabe.Qu’on se le dise, après le rétablissement surprise des liens entre Téhéran et Riyad en mars dernier, le Prince aspire désormais être à l'avant-garde des initiatives visant à apaiser les zones de conflit régionales à l’instar de la Syrie et du Yémen tout en s'assurant que rien ne perturbe ses ambitieux efforts pour transformer son économie.
Du reste, si la Ligue arabe, qui fête cette année ses 80 ans, a relativement peu de poids en termes d'élaboration de politiques mondiales, cette décision revêtirait malgré tout une importance bien symbolique. C’est ainsi qu’une réconciliation de la Ligue arabe avec Damas porterait assurément un coup fatal à l'influence des États-Unis au Moyen-Orient et renforcerait l’opposition entre la région et les gouvernements occidentaux.
Mais il y a plus, ce serait, on l’a bien compris aussi une victoire majeure pour l’Iran. Étant entendu que Téhéran a soutenu le Gouvernement syrien avec des combattants, des armes et de l'argent et a défendu la famille Assad, avec qui il est allié depuis la création de la République islamique en 1979.
Mais le Royaume des Saoud n’est pas le seul à souhaiter le retour de la Syrie dans le giron de la Ligue Arabe.C’est ainsi qu’un responsable des Émirats arabes unis a déclaré que l'État du Golfe voyait un besoin urgent de renforcer le rôle arabe en Syrie.En effet, « il est essentiel pour la Syrie de pouvoir participer de manière constructive à la région », a déclaré le responsable. C'est l'un des éléments les plus importants pour préserver l'intégrité territoriale de la Syrie en tant que membre actif de la Ligue arabe, a ajouté le responsable.
Et pour mémoire, après une récente visite du Ministre syrien des Affaires étrangères en Égypte, le conseiller diplomatique présidentiel des Émirats arabes unis, Anwar Gargash, a déclaré le 2 avril 2023 que cette visite était « une autre étape positive vers le retour de la Syrie fraternelle dans son environnement arabe ».
Et même si le Qatar et le Koweït se sont opposés au retour de la Syrie dans la Ligue arabe, il est peu probable qu'ils puissent pousser à contre-courant trop longtemps…Chemin faisant, on soulignera volontiers que le séisme du 6 février 2023, qui a fortement impacté la Syrie et mit en péril 5,3 millions de ses habitants, a contribué à créer de nouveaux canaux diplomatiques en faveur de Damas et d’un assouplissement des sanctions occidentales à des fins humanitaires. « Au-delà de cette “diplomatie du désastre” largement exploitée par Bachar el-Assad pour se refaire une virginité politique, le processus de normalisation initié par ses voisins se veut pragmatique : mettre de côté des années de brouille contre-productive et ramener la Syrie dans le giron arabe répondent en effet à une vision stratégique plus large, visant à stabiliser le Moyen-Orient et à renforcer sa cohésion » indique Maître Ardavan Amir-Aslani.
Quoiqu’il en soit, les initiatives saoudiennes vers la Syrie ont été encouragés par la Russie – l'autre allié militaire majeur d’Assad, tandis que le Président Vladimir Poutine si prompt à renforcer son soutien international lors de son « opération spéciale » en Ukraine.Dans ce cadre, beaucoup d’experts à Washington craignent que l’empressement de l’Arabie saoudite à se tourner vers la Chine et l’Iran – en partie pour faire avancer les plans économiques de plusieurs milliards de dollars du Royaume Saoud – puisse d’une manière ou d’une autre nuire aux intérêts de la sécurité nationale des États-Unis dans la région.C’est ainsi que le secrétaire d'État américain Antony Blinken a déclaré que son département avait mis en garde les alliés américains contre la normalisation avec Assad. Et ainsi, lors d'une réunion liée à la Syrie en Jordanie en mars dernier, à laquelle participaient entre autres l'Arabie saoudite, les États-Unis et les pays européens ont suggéré des concessions politiques telles que la libération de prisonniers et la maîtrise de la fameuse police secrète comme conditions préalables à tout engagement et normalisation avec Assad.
Mais, dans ce contexte, la Jordanie militerait pour sa part, plutôt pour une réduction progressive des sanctions imposées à Damas et commencerait à travailler à la reconstruction et au retour des réfugiésAu final, l'objectif ultime de l'Iran est le retrait américain - pas seulement de la Syrie mais de tout le Moyen-Orient. Et c’est ainsi que la normalisation avec l'Arabie saoudite, traditionnellement le principal allié de l'Amérique dans la région, renforcerait l'opinion largement répandue à Téhéran, selon laquelle, tant sur le plan militaire que diplomatique, nous sommes bel et bien entrés dans un Moyen-Orient post-américain.