Un participant participe à un atelier pédagogique pour créer la plus grande fresque climatique de France à l'aide d'un ensemble de 42 affiches basées sur le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), à Toulouse, dans le sud-ouest de la France, le 22 avril 2023. Photo : Matthieu RONDEL / AFP.
Le rapport du GIEC[1] nous permet de définir rigoureusement ce qu'on appelle la neutralité carbone et la neutralité climatique, et c'est très important. Il est important de comprendre que sur le plan global, ce qui fait chauffer la planète, ce n'est pas le flux des émissions, c'est le stock de gaz à effet de serre accumulé dans l’atmosphère.
Pour atteindre la neutralité climatique, il faut arriver à une situation, où le flux d'entrée dans le stock de nos émissions de gaz à effet de serre va être égal ou inférieur au flux qui quitte l'atmosphère. Flux qui quitte l'atmosphère, soit parce que les gaz à effet de serre arrivent en fin de vie, soit parce que les puits de carbone, les océans, la biosphère, absorbent le carbone qui est dans l'atmosphère. Cette neutralité carbone doit être globale. Elle ne résultera pas de la somme des opérations de compensation carbone qu'on peut faire sur le plan micro-économique.
On peut tirer cinq leçons sur le sixième rapport d'évaluation (RE6) du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) des Nations unies[2], en termes de neutralité climatique ou neutralité carbone. Pour rappel, ces deux concepts ne sont pas tout à fait équivalents.
Pour commencer, le rapport du GIEC met les pendules à l'heure. Selon ce rapport, nous avons un budget carbone global qui représente la totalité des émissions de gaz à effet de serre qui sont compatibles avec des niveaux de cibles climatiques. Pour atteindre 1,5 degré Celsius, il nous reste neuf ans d'émissions de CO2, au rythme de l'année 2019. Pour atteindre une cible de deux degrés Celsius, il nous reste un peu plus de vingt ans pour épuiser le budget carbone, au niveau des émissions de 2019.
En se basant sur ces chiffres, on peut tirer une première leçon de ce rapport, c'est que le temps est compté. L'horloge climatique continue à tourner et nous continuons à envoyer plus de CO2 dans l'atmosphère que la capacité d'absorption par les puits de carbone.
Deuxième leçon de ce rapport : la neutralité carbone n'est pas l'objectif final. Selon le rapport du GIEC, le réchauffement de 1,5 degré a toutes les chances d'être atteint en 2030. Par conséquent, si nous voulons éviter de nous retrouver à la fin du siècle avec un réchauffement supérieur à 1,5 degré, il va falloir faire décroître le stock qui aura été accumulé au milieu du siècle. Il faudra donc avoir une société non pas neutre en carbone, mais carbone négative. En d’autres mots, la neutralité carbone n'est pas l'aboutissement du chemin. L’atteinte de cet objectif ne constitue qu’une étape. Le rapport envisage ainsi un scénario particulièrement pessimiste selon lequel il n'y a pratiquement plus aucun scénario à 1,5 degré qui est compatible avec une société dans laquelle on ne passe pas par cette étape carbone négative.
Troisième leçon, qui n'est pas la plus rassurante. Les puits de carbone terrestres vont probablement s'affaiblir. À l'heure actuelle, lorsque nous envoyons 100 tonnes de CO2 dans l'atmosphère, nous en avons à peu près 56 % qui est absorbé par l'océan ou par les forêts et l'usage des sols. Donc, seul le reste va dans l'atmosphère. Malheureusement, le réchauffement climatique induit une perte d'efficacité de ces puits de carbone naturels et, dans les scénarios les plus émissifs, le GIEC anticipe que ce ne serait plus 56 % du CO2 qui serait absorbé par les puits de carbone et qui n'irait pas dans l'atmosphère, mais de l'ordre de 30 % à 33 %. En d’autres mots, l'effort de réduction des émissions brutes doit être encore plus important, ou des efforts d'innovation pour essayer de contrecarrer cette perte de puissance des puits de carbone.
Quatrième leçon. Il n'y a pas que le CO2 qui compte. Il y a les autres gaz à effet de serre et les polluants locaux. Sans entrer dans les détails, il y a un gaz à effet de serre sur lequel il faut agir extrêmement rapidement, c'est le méthane. Aujourd'hui, dans le stock des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le méthane contribue au réchauffement pour 0,5 degré Celsius, c'est deux tiers de ce que contribue à réchauffer le CO2. Il n'y a pas de marche vers la neutralité carbone si nous n'élargissons pas les efforts de réduction de gaz à effet de serre au méthane.
Pour une part, ce méthane est un sous-produit de l'énergie fossile, mais la plus grosse partie du méthane émis par les sociétés humaines provient de l'agriculture et du traitement des déchets, donc du carbone vivant. Ceci nous montre que, seule, la transition énergétique qui consiste à sortir des énergies fossiles ne permettra pas d'atteindre la neutralité climatique. Il faut aussi agir sur ce que l’on appelle le "carbone vivant", à savoir les émissions de gaz à effet de serre qui sont liées à l'usage des sols, l'agriculture, la déforestation. Il faut savoir que le vice-président de la Nouvelle Aquitaine, Guillaume Riou, était aussi un éleveur dans les Deux-Sèvres, un éleveur qui faisait des pratiques biologiques et qui se trouve évidemment confronté à cette question des émissions de méthane.[3]
Cinquième et dernier point. La question est de savoir si nos objectifs, et notamment l'objectif européen de la neutralité carbone à l'horizon 2050, sont compatibles avec les scénarii bas carbone du GIEC. Il s’agit ici de ce qu’on appelle « angles morts de la politique européenne ». Serait-il possible que tous les pays du monde atteindront la neutralité carbone en même temps en 2050 ? Non. Il est évident que les pays développés ont plus de moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre. En d’autres mots, pour pouvoir atteindre la neutralité carbone globale en 2050, il faudra que certains pays aillent plus vite que d'autres. Et évidemment, il va apparaître dans les années qui viennent, dans le débat public et dès la COP de Glasgow en novembre 2021, que la neutralité carbone en 2050, sur laquelle s'alignent à peu près tous les bien-pensants du climat, n'est pas suffisante pour une puissance économique qui se veut être à l'avant-garde du combat contre le changement climatique.
[1] https://www.ecologie.gouv.fr/publication-du-6e-rapport-synthese-du-giec
[2] AR6 Climate Change 2021: The Physical Science Basis, IPCC, https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/#SPM
[3] Deux-Sèvres. Eléveur bio à Marigny, Guillaume Riou regrette la visite d’Emmanuel Macron en Bretagne, Le Courrier de l'Ouest, 23.04.2020, https://www.ouest-france.fr/nouvelle-aquitaine/deux-sevres/deux-sevres-eleveur-bio-a-marigny-guillaume-riou-regrette-la-visite-d-emmanuel-macron-en-bretagne-93391fa2-8582-11ea-9736-75ed782b32c8