Désarmer la politique est la soupape principale de sécurité à toute période de transition- définie en fonction de la formule adéquate convenue dans chaque pays à part- vers une société civile démocratique. Il serait erroné de croire en l’existence d’une formule sacrée ou passe-partout valable pour tous les cas. En Tunisie- à titre d’exemple- les forces armées- à l’encontre de celles d’Egypte ou du Soudan- n’assumaient pas de rôle principal dans le processus de libération internationale dirigé par le parti destourien libre bourguibien. En outre, la naissance et la formation du Mouvement Nationaliste Arabe à travers l’action armée contre les forces turques et l’influence exercée par le mouvement les Jeunes-Turcs sur l’esprit politique dans le Levant et l’Irak ont abouti à une radicalisation de la tendance militaire des organisations du Parti Socialiste Arabe Baas sous ses diverses branches et orientations. Cette tendance est diamétralement opposée au parcours de la politique dans les pays arabes du Golfe dont les régimes sont érigés sur le principe des dynasties et de la prospérité qui exploitent l’abondance pétrolière. Comme les expériences politiques au Maroc et en Algérie ne sont pas identiques, du fait des conditions des guerres de libération dans chacun des deux pays. Et, tant que l’expérience politique exerce et subit- tel un être vivant- une influence sur son entourage, sa réforme et le remontage de l’engrenage du changement politique dans le monde arabe s’avère une nécessité impérieuse à ne jamais freiner ou confisquer par crainte des répercussions qui pourraient en être engendrées. On en décompte le tarissement de l’esprit social, des déflagrations déchaînées politiques et sociales, l’ouverture de la voie aux interventions étrangères qui mènent à une déformation de l’intérêt national, le gaspillage des chances de développement réel au profit d’un autre défiguré ou d’un écroulement franc ou implicite. Cette optique n’est que le premier niveau d’analyse à nous permettre de comprendre les événements en cours au Soudan à partir du 15 avril courant.
Le deuxième niveau d’analyse de la situation soudanaise est intimement lié aux mutations que subissent les pays du Moyen-Orient au sein d’un déferlement de changements profonds sur le plan international qui préparent la voie à une transition d’un système unipolaire vers un autre ordre basé sur la modification et les relations démocratiques entre les pays du monde. Et c’est la région du Moyen-Orient qui occupe actuellement la troisième position dans l’ordre mondial de la dangerosité et de la menace de la paix mondiale après l’Ukraine et Taiwan. La première est actuellement la scène d’une guerre effective opposant l’OTAN d’une part à la Russie d’autre part. C’est l’Ukraine qui mène la guerre par procuration en agissant par l’intermédiaire des Etats Unis, de l’Union européenne et des autres pays de l’Alliance atlantique; Quant à Taïwan, il est la scène des opérations que les Etats Unis cherchent à enflammer par la voie de la provocation et de l’antagonisation de la Chine. Que faut-il en déduire en ce qui concerne l’équation du changement politique au Moyen-Orient? Que les pays de la région soient placés dans le vent du changement fait de la nécessité de garantir la sécurité et la stabilité une des plus hautes priorités de la sécurité nationale des pays arabes. Néanmoins, sa réalisation ne doit pas en exclure celle des autres : elle doit aller de pair avec la concrétisation de la démocratie, de la justice et du développement. La leçon tirée de l’expérience des pays voisins démontre que l’écroulement de la sécurité ne se fait jamais seul mais entraîne avec lui celui des autres priorités fixés. A ce sujet, nous résumons en trois mots les objectifs de la sécurité nationale de tout pays placé à l’intérieur d’un ordre mondial démocratique multipartite, à savoir : la survie, la croissance et l’évolution. D’où, il s’avère impérieux- vu la fragilité de la situation politique dans certains des pays de la région- que l’institution militaire et sécuritaire joue un rôle clé pour réaliser les objectifs fondamentaux de la sécurité nationale dans les pays arabes- quels que soient les différences de leurs niveaux de cohésion et de leur force sociale et institutionnelle- qui sont précisément au nombre de quatre: la démocratie, le développement, la justice et la sécurité. Peut-être cette nécessité est-elle l’une des causes de la crise structurelle dont souffre le Soudan à l’ère du changement politique : les forces militaires se considèrent comme substitutives des forces civiles qui les envisagent comme adversaires et non partenaires. De plus, aucun degré de cohésion ou de complémentarité n’est conçu, en cette période actuelle, entre ces quatre objectifs.
La troisième approche de la situation en cours au Soudan ou dans d’autres pays arabes vulnérables à l’époque actuelle est liée aux intérêts directs des forces mondiales en conflit se trouvant nommément dans ces pays ou dans les pays de la région en général. Le Soudan représente surtout un maillon principal de la chaîne de liaison entre le monde d’une part et la mer rouge et le continent africain d’autre part. La Russie, à titre d’exemple, tente - depuis des années- d’ avoir une base navale de ravitaillement en Mer rouge pour servir ses forces navales. De plus, elle a des intérêts directs au Soudan en ce qui concerne la contribution à l’exploitation de ses importantes richesses naturelles et l’exploration des réserves minières de certains pays tels le Tchad et l’Afrique Centrale. La Chine a également des intérêts directs au Sud Soudan et dans les pays de la Corne d’Afrique dont l’importance stratégique s’accroît pour elle de jour en jour. Sans compter les intérêts divers que y nourrissent l’Union européenne et les Etats Unis. Il est indispensable que le Soudan ait son gouvernement fort et stable capable de gérer excellemment ses relations avec les forces antagonistes ou belligérantes de manière à sauvegarder l’intérêt national du pays. Et pour que cet objectif soit un fait acquis dans des sociétés fragiles et des Etats en déliquescence, il est inexorable de mettre au point une formule de cohabitation civile- militaire, fondée sur la confiance et la compréhension et loin de toute inimitié ou accusation de trahison. C’est probablement l’une des causes de la méfiance entre les parties du processus militaire au Soudan dont des forces civiles et militaires qui, par défaut de conscience de la nature même de l’époque actuelle, ont gaspillé une large part de l’énergie du changement dans des labyrinthes et des parcours secondaires stériles.
Du reste, le quatrième et dernier point d’optique qui favorise un examen et une compréhension de la situation actuelle au Soudan révèle l’expérience significative égyptienne de liquidation de la crise générée par la capture d’ officiers égyptiens, par les Forces de soutien rapide, à la base aérienne de Méroé au sud du Soudan au premier jour des troubles militaires déclenchés le 15 avril courant. La présence de cette brigade sur les lieux se trouvait justifiée par le protocole de coopération militaire en vigueur entre les deux Etats et n’avait aucun lien avec le conflit interne au Soudan. L’autorité égyptienne a adopté une position raisonnable et responsable dans le but de ne pas préjudicier aux relations bilatérales entre les deux pays ; L’Egypte et le Soudan étant liés par un destin commun, exception faite du régime politique en vigueur dans chacun d’eux et du respect par l’Egypte du principe de non-ingérence dans les affaires internes. Le communiqué publié par le Conseil suprême des forces armées était extrêmement clair de manière à ne donner lieu à aucune ambiguïté : Le Conseil a confirmé que l’Egypte considère les différends entre les Soudanais comme une affaire interne qu’ils doivent eux-mêmes chercher à résoudre tout en conservant les intérêts du peuple soudanais et la sécurité et la sûreté des citoyens ; il a mis l’accent sur le fait que l’Egypte considérait le combat en cours comme une affaire interne et qu’elle ne prendrait le parti d’aucun des deux belligérants. En outre, la position égyptienne a comporté le lancement d’une initiative pratique visant le cessez-le-feu et d’une proposition d’un système assurant sa gestion et son contrôle de manière à contribuer à sa transformation en trêve- au moins pour quelques jours surtout avec l’imminence du petit baïram. Partant, la diplomatie égyptienne a entrepris une activité intense dans le but de promouvoir sa position et en faire un des moteurs efficaces à travers ses contacts avec les Nations Unies, l’Union européenne, les Etats Unis, la Ligue arabe et le Quartet international qui compte parmi ses membres l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.
L’on pourrait dons dire que grâce à sa position politique raisonnable et à sa diplomatie active, l’Egypte a remporté une certaine victoire dont en premier lieu le retour en Egypte de 177 soldats et officiers capturés avec l’envoi, la nuit du 19 avril, de quatre avions militaires égyptiens à l’aéroport de Dongola au nord-ouest de la base de Méroé. Il est en fait surprenant de dire que la réussite de la diplomatie égyptienne à aménager une importante percée dans la situation soudanaise a créé un nouvel esprit de coopération à Khartoum en vue d’alléger la souffrance du peuple soudanais notamment en ce qui concerne la fourniture de médicaments et de soins sanitaires malgré la persistance du conflit et la rupture de la trêve. Le syndicat des médecins a annoncé la reprise du travail à 100% dans les hôpitaux- alors qu’ils étaient mis la veille à 80% hors service- après leur réapprovisionnement en eau et en électricité. Si jamais l’Egypte réussit à poursuivre son rôle diplomatique à ce propos, le Soudan sera indubitablement mis sur la bonne voie menant à un cessez-le-feu rapide, au respect d’une trêve militaire et à une accalmie permettant d’accéder à une solution pacifique. Il s’avère probant qu’en vue de favoriser le retour de ses citoyens, l’Egypte a noué des contacts avec les deux parties- les forces armées régulières et les Forces de soutien rapide- de même que l’atterrissement des avions égyptiens, l’évacuation des militaires égyptiens et le décollage des avions se sont produits dans un climat de respect total de la trêve imposée entre les deux parties ce qui veut dire- en d’autres termes- le respect et l’appréciation du rôle de l’Egypte autant par les forces armées que par les Forces de soutien rapide.