Depuis l’annonce par Pékin, de la détente entre l’Arabie Saoudite et l’Iran qui s’apprêtent à reprendre leurs liens sous sa houlette, le Moyen-Orient a l’impression de tourner la page d’une décennie de conflit et de tension même avant que les relations normales et officielles entre eux ne soient un fait acquis. Selon un communiqué officiel publié à Téhéran, le roi Salman a invité le président iranien en Arabie Saoudite. Le dégel des relations entre les Emirats Arabes Unis et l’Iran alors que cette dernière envisage d’envoyer son nouvel ambassadeur aux Emirats. Le Bahreïn tente d’emboîter le pas à l’Arabie Saoudite. Les Houthis prennent leurs dispositions en vue d’un échange de prisonniers. Le vice-président du conseil présidentiel du Yémen, le lieutenant-colonel Tarek Saleh évoque franchement l’arrêt des hostilités au Yémen. L’Iran signe une convention sécuritaire avec l’Irak.
Cette situation rebat les cartes non seulement sur le plan bilatéral mais plutôt régional en attestant d’une réduction notable de la polarisation politique: le président des Emirats Arabes Unis a accueilli une délégation syrienne couronnée par le président Bachar Al-Assad comme l’Egypte a reçu le ministre turc des affaires étrangères. A ce stade, « l’initiative chinoise » ne fait qu’amorcer une nouvelle phase politique qui implique des répercussions positives à travers la région. Elle pose la première pierre d’une « période de transition » permettant d’accéder à la détente et à l’instauration de la paix. Cet état des lieux confirme les déclarations de Henri Kissinger, rapportées, le 16 mars 2023, à travers son interview accordé, dans le Washington Post, au journaliste américain David Ignatius selon lesquelles « La Chine a bien signifié qu’elle voulait contribuer à la création du Nouvel Ordre Mondial et c’est ce qu’elle fait effectivement en initiant un ordre régional multipolaire. Cette déduction du politiste américain est d’une importance cruciale rien que parce qu’elle va à contre-courant de moult déclarations faites par des intellectuels occidentaux qui mettent en doute la crédibilité de la diplomatie chinoise comme les intentions iraniennes au point d’arguer que ces développements survenues dans la région depuis le 10 mars ne sont qu’une fausse lueur d’espoir ou même une illusion où s’enlise la région pour une période loin d’être longue. Ils pronostiquent donc que cette période transitoire ne sera nullement facile ou exempte de tensions ou de défis, alors que de nouveaux mécanismes mis en place augurent une réorganisation aisée de la scène internationale et une baisse des tensions et des risques. Cette discordance des évaluations de la nouvelle donne au Moyen Orient- surtout de la part de Tel-Aviv, Washington et les capitales européennes clés- comme l’attardement à manifester des réactions officielles à son sujet sont la conséquence d’une contradiction des positions et des justifications du nouveau rôle diplomatique de la Chine. L’évaluation officielle des capitales occidentales tendent - jusqu’à maintenant- à considérer positive toute tentative de détente au Moyen –Orient mais également à mettre en doute les mobiles et les intentions de la Chine et à minimiser l’importance de la reprise des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran délimitée strictement dans un cadre bilatéral.
Une vision israélienne de l’initiative
Trois experts de l'Institut d'études sur la sécurité nationale (INSS) de l’Université de Tel-Aviv, spécialisés dans les affaires de l’Iran et de l’Arabie Saoudite, Sima Shine, Yoel Guzansky et Eldad Shavit, ont présenté une recherche commune, publiée le 14 mars courant, sur le site de l’institut, portant sur l’évaluation de l’initiative chinoise de restauration des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. La première impression à son sujet la qualifia de surprise tant que les entretiens qui l’ont précédée ont eu lieu en catimini et avec la Chine comme médiateur. Cette recherche a fourni la réponse à deux questions importantes : quelle est la signification de cet accord pour Israël et les pays de la région ? interdirait-il l’adhésion de l’Arabie Saoudite aux accords d’Abraham ?
Du point de vue de ces trois experts de l’Institut, l’initiative chinoise reflète une recrudescence du niveau des interactions entre la Chine et les pays du Golfe vis à vis des Etats Unis. Et, bien que les Etats Unis se soient félicités de tout acte visant le détente régionale, ils ne voient pas d’un bon œil la médiation chinoise. De plus, ce développement de la situation pilonne les efforts visant la création d’un camp anti-Iran dans la région. Les trois experts conviennent pour dire que l’enjeu majeur de cet accord sera au Yémen. Ils éliminent l’hypothèse que cette reprise des relations soit une pierre d’achoppement sur la voie de la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël.
La relation entre la détente et l’option nucléaire saoudienne
Dans une autre recherche publiée, le 19 mars courant, par le même Institut, le chercheur Yoel Guzansky débat de la confrontation entre les efforts israéliens d’interdiction du déploiement nucléaire et l’élargissement de la sphère de normalisation pour inclure l’Arabie Saoudite et le mode de comportement qui pourrait être adopté par l’Etat hébreu à la lumière des évolutions en cours. Selon l’expert israélien l’Arabie Saoudite avance, sur plusieurs pistes concernant son programme nucléaire, à un rythme effréné mais stable. En ce qui concerne l’impact du rapprochement entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, Guzansky indique qu’il n’a eu aucune influence sur la réalité des faits y inclut la conception saoudienne de la menace iranienne. Dans un proche avenir, il y aura- en dépit de la nature des liens actuels et de leurs perspectives- une escalade des spéculations au sujet de l’intérêt d’Israël de superviser le programme saoudien et de le contrecarrer à cause des risques qui en découleraient d’une part et de son intérêt d’élargir ses relations avec l’Arabie Saoudite d’autre part. Dans ce cas, la priorité doit être accordée aux considérations d’interdiction de la prolifération nucléaire. Il a en outre affirmé qu’Israël doit être disposé à entreprendre des mesures variées pour empêcher l’Arabie Saoudite d’enrichir l’uranium et le plutonium même au dam des relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite. Cette déduction de Guzansky signifie- sur le plan pratique- que le désir d’Israël de normaliser ses relations avec l’Arabie Saoudite et d’élargir les accords d’Abraham- même si certains pensent qu’il ne s’oppose pas à la reprise de ses relations avec l’Iran- se heurte à son intérêt stratégique de monopoliser l’arme nucléaire sur le plan régional. Un argument susceptible- à ce que je pense- de justifier la baisse de la tension et le rapprochement accru entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Le discours de l’escalade en Israël
Le 27 février 2023, Walter Russell Mead a publié, dans « The Wall Street Journal » un article sur sa rencontre avec le premier ministre israélien Netanyahou sur le site web du journal en date du 21 février à l’occasion de la conférence sécuritaire tenue à Tikva. A l’issue de sa rencontre avec Netanyahou et de la conférence sécuritaire, Mead est sorti animé par la forte impression que les Etats Unis étaient à deux pas de leur implication dans une nouvelle guerre au Moyen Orient- plus que ne le pensent un grand nombre de personnes à Washington- et qu’ils affrontaient effectivement la plus grave crise internationale depuis les années trente du siècle dernier. L’article de Mead reflète l’effet de la campagne de mobilisation et d’incitation menée par Netanyahou en vue de convaincre les Etats Unis d’adresser rapidement contre l’Iran un coup militaire « crédible » ainsi que la difficulté de la position du gouvernement israélien en raison de la tourmente qui envahissait la Cisjordanie depuis la formation du gouvernement de la droite religieuse sioniste. Le déclenchement d’une guerre contre l’Iran parait être le premier choix de Netanyahou en vue d’éteindre le feu des heurts qui sévissent en Cisjordanie entre les Palestiniens et les Israéliens et d’affronter les contestataires israéliens contre le projet de réforme de l’ordre judiciaire. En fait, l’initiative chinoise au Moyen-Orient se recoupe avec les conflits multidirectionnels dans lesquels le gouvernement israélien s’engage contre l’Iran, les Palestiniens et les libéraux israéliens : l’une comme les autres réduisent les probabilités de s’embourber dans une déclaration de la guerre contre l’Iran car Israël ne trouvera pas de soutien de la part des pays du Golfe ni non plus des Etats Unis qui pensent que la guerre est le dernier des choix disponibles, ni même de la part de l’Europe qui patauge dans la guerre de l’Ukraine. Selon Israël, une frappe militaire contre l’Iran ne serait idéale que dans le cadre d’une alliance régionale et internationale. C’est à dire qu’il n’en serait pas l’unique auteur ; partant, l’article de Mead a perdu ainsi sa crédibilité uniquement parce que le climat de la guerre imminente dans lequel il a prévu que les Etats Unis s’empêtraient a été éliminé par la diplomatie chinoise.
Est-ce que l’Iran visait effectivement l’accalmie?
Jon B. Alterman, le directeur du programme des études du Moyen-Orient au Centre des Etudes Stratégiques et Internationales aux Etats Unis a écrit, le jour même de la publication du communiqué sur le site web du Centre un article où il se pose la question au sujet des causes latentes derrière la médiation chinoise entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Il a posé quatre questions à travers lesquelles, il a présenté des réponses critiques mettant en exergue les aspects de la diplomatie chinoise au Moyen Orient et concluant toutes à une minimisation de son importance. La première question a porté sur le sens même du timing de la reprise des relations en illustrant l’intensification par l’Arabie Saoudite- ces derniers temps- de ses efforts contre l’Iran à travers la chaîne satellitaire « Iran International TV » qui diffuse des Etats Unis en langue perse. Parallèlement, et malgré les différends multiples entre les deux pays. La politique du président iranien Ibrahim Raissi, depuis son élection em 2021, visait à faire régner l’accalmie avec les pays voisins. Partant la diplomatie chinoise n’a été qu’un catalyseur de peu d’importance. La deuxième question s’interroge sur le sens même de la diplomatie chinoise dans le Golfe du point de vue du tigre asiatique lui-même. Selon Jon B. Alterman, sa médiation dans la reprise des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran est un motif de fierté pour la Chine elle-même qui adresse ainsi un message au monde entier confirmant l’amplification et la maximalisation de sa présence diplomatique dans la région par opposition à celle des Etats Unis qui s’érode et se rétrécit. De son point de vue, la Chine exagère dans la conception de son rôle, car en fait, elle n’était pas le seul pays à adopter une stratégie de détente » elle en fut devancée par d’autres. Pour répondre à la troisième question qui s’enquiert du sens même de la diplomatie chinoise par rapport au rôle exercé par les Etats Unis dans la région du Golfe, il a indiqué que les Etats Unis n’étaient pas en mesure d’accomplir le rôle déjà exercé par la Chine en raison de l’absence de relations directes avec l’Iran. Il a également précisé qu’en signant l’accord sans intervention américaine, la Chine voulait diversifier ses enjeux sécuritaires. D’après lui, Washington considère doublement cette démarche : d’un premier point de vue, elle se félicite que l’Arabie Saoudite endosse une responsabilité plus grande pour sauvegarder sa sécurité ; du second, elle ne veut pas que l’Arabie Saoudite cause des torts aux intérêts des Etats Unis et à sa stratégie sécuritaire. Dans sa quatrième et dernière question, Alterman s’est intéressé à savoir la nature même de la diplomatie saoudienne telle révélée par l’accord. Il a tenu à prouver qu’elle a cherché à écarter les Etats Unis des entretiens en vue de neutraliser toute influence probable sur son parcours. Comme l’Arabie Saoudite a cherché expressément immédiatement avant la publication de l’accord à filtrer des informations au Wall Street Journal portant sur la tenue d’entretiens secrets avec les Etats Unis portant sur la normalisation de ses relations avec Israël incluant des conditions et des garanties sécuritaires. Le Journal a publié ces fuites alors que les délégations chinoise, saoudienne et iranienne peaufinaient l’accord et s’apprêtaient à le déclarer à Pékin. Alterman pense que les différends entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sont extrêmement profonds et génèrent par là des menaces à long terme.