(Avant de gauche à droite) Le président français Emmanuel Macron, le Premier ministre irakien Mohamed Shia al-Sudani, le roi Abdallah de Jordanie, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le prince héritier Hussein de Jordanie, le dirigeant de l'émirat des Émirats arabes unis de Ras al-Khaimah Sheikh Saoud bin Saqr al-Qasimi, ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Fayçal bin Farhan al-Saud ; avec le haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell (derrière à gauche ), le secrétaire général de la Ligue arabe Ahmed Aboul-Gheit ( 2 eme à gauche), le ministre iranien des Affaires étrangères Hussein Amir-Abdollahian (derrière 5e à gauche) , et d'autres dignitaires posent ensemble sur une photo de famille au début de la "Conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat" à Sweimeh, au bord de la mer Morte, dans le centre-ouest de la Jordanie, le 20 décembre 2022. La Jordanie a accueilli le 20 décembre un sommet sur le Moyen-Orient rassemblant des acteurs régionaux et internationaux pour tenter de désamorcer les tensions, notamment en Irak voisin. La réunion "Bagdad II", qui inclura également la France et l'Union européenne, fait suite à un sommet d'août 2021 dans la capitale irakienne organisé à l'initiative du président français Emmanuel Macron. Cela se produit alors que plusieurs pays de la région sont embourbés dans des troubles. (Photo de Khalil MAZRAAWI / AFP)
Rassemblant des dirigeants du Moyen-Orient, la France a coorganisé avec l'Irak la deuxième édition de la Conférence de Bagdad à Amman. Outre les défis sécuritaires, économiques et écologiques, l'objectif affiché d’Emmanuel Macron était de soutenir la souveraineté irakienne face aux velléités iraniennes et turques.
A peine remis de ses émotions après la défaite des Bleus face à l’Argentine en finale de la Coupe du monde au Qatar, Emmanuel Macron a fait une halte sur le porte-avions Charles de Gaulle, au large de l'Égypte, avant de se rendre en Jordanie.
Pour la deuxième année consécutive, le président français a coorganisé avec l'Irak « la Conférence de Bagdad » à Amman, le 20 décembre. Malgré les troubles internes, Paris a privilégié la capitale de la Jordanie, un pays relativement stable, pour ce sommet régional. Compte tenu des bouleversements au Moyen-Orient, de la présence accrue de la Chine, des visées de la Turquie dans le monde sunnite, des immixtions iraniennes dans la sphère chiite et des tensions récurrentes, la France essaie tant bien que mal de maintenir une influence dans cette région mouvementée.
Cette deuxième édition se focalise une nouvelle fois sur le dialogue, les négociations régionales mais surtout sur la stabilité et la souveraineté de l'Irak. En effet, depuis l'invasion américaine en 2003, le pays est en proie à des rivalités régionales et confessionnelles qui alimentent l'insécurité du Moyen-Orient.
Un contexte régional tendu
Mais ce deuxième opus a été marqué par l'absence de plusieurs dirigeants régionaux. Outre la non-venue sur la rive jordanienne de la mer Morte du président turc Recep Tayyip Erdogan et de l’émir du Qatar Cheikh Tamim al-Thani, Mohammed ben Salmane n'était également pas au rendez-vous et ce, malgré l'insistance française. Le président iranien Ebrahim Raïssi n'a de surcroît pas fait le déplacement en Jordanie. Toutefois, les chefs des diplomaties des puissances régionales étaient présents ainsi que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le monarque jordanien Abdallah II.
Toutefois, pour la défense du président français, le contexte régional tendu ne se prêtait guère à un rassemblement des dirigeants du Moyen-Orient. Lors de la première édition en août 2021, Moustapha al-Kazemi, alors Premier ministre irakien de l'époque, était acquis à la cause de ce sommet. Or aujourd'hui, le chef du gouvernement irakien Mohammed Chia al-Soudani est proche politiquement de Téhéran.
En dépit d’un canal de dialogue maintenu entre Riyad et Téhéran, les tensions n’ont de cesse d’augmenter à l’aune de la répression des manifestations en Iran. A ce propos, les autorités iraniennes avaient visé directement le pouvoir saoudien en le sommant d'arrêter ses ingérences par l'intermédiaire des médias d'opposition. De ce fait, les négociations entre les deux pays pour renormaliser les relations bilatérales sont depuis caduques.
D'ailleurs, sans les nommer, le président Macron s'en est pris à l'influence iranienne et turque dans la région. « Je veux vous dire l’attachement de la France […] pour qu’il y ait une voie qui ne soit pas celle d’une forme d’hégémonie, d’impérialisme, de modèle qui serait dicté de l’extérieur », a taclé Emmanuel Macron. « Nous devons mettre fin au terrorisme dans la région », a rétorqué l’ambassadeur de Turquie en Jordanie, en référence aux activités du PKK, un groupe kurde considéré comme organisation terroriste par Ankara. L’armée turque mène plusieurs opérations terrestres et aériennes dans le nord de la Syrie et en Irak. Le chef de la diplomatie française a fait savoir que la France pourrait sanctionner la Turquie si elle continuait de frapper le Kurdistan irakien.
Paris a aussi évoqué de nouvelles sanctions contre l'Iran. De son côté, le ministre iranien des Affaires étrangères Amir Hossein Abdollahian n'a pas mâché ses mots. « L’heure des fausses politiques est révolue », a répondu le chef de la diplomatie iranienne. « On ne peut pas marginaliser des pays », a-t-il ajouté, disant souhaiter un « accord fort et durable » mais qui « respecte les lignes rouges » de l'Iran.
Coup d’épée dans l’eau de Macron ?
Indépendamment du volet géopolitique, ce sommet était l'occasion pour la France de rappeler les défis sécuritaires de la région. Emmanuel Macron, qui restait dans le royaume hachémite jusqu'au 22 décembre a envoyé le ministre des Armées, Sébastien Lecornu sur la base aérienne projetée BAP H5 en plein désert. Deux cents militaires français sont stationnés ainsi que quatre Rafale pour poursuivre la lutte contre Daech en Syrie et en Irak.
Lors de la précédente édition en Irak en 2021, le groupe Aéroports de Paris s’était vu attribuer le chantier de reconstruction de l’aéroport de Mossoul... avant que le contrat ne soit finalement raflé par une entreprise turque.
Malgré la bonne volonté d'Emmanuel Macron de rassembler les acteurs régionaux pour négocier et pacifier le Moyen-Orient, la France n'a plus, semble-t-il, les moyens de ses ambitions. A l’instar de son initiative au Liban pour former un gouvernement plus représentatif de la société civile locale, l'influence française au Levant aurait du plomb dans l'aile. Pourtant consciente des réalités régionales, des desseins antinomiques, de la nostalgie des uns et de l’ambition des autres, la France peine à se détacher de son moralisme ambiant et devrait privilégier le dialogue sans jugement de valeur.
Compte tenu des divisions intrinsèques de la société irakienne, l’une chiite regardant majoritairement vers Téhéran, l’autre kurde aux visées autonomistes et la troisième sunnite totalement déliquescente en proie aux influences diverses, la troisième édition de la Conférence de Bagdad prévue en Égypte en 2023 aura très certainement les mêmes conclusions que les deux précédentes.