Le président russe Vladimir Poutine rencontre son homologue syrien Bachar al-Assad au Kremlin à Moscou le 15 mars 2023. (Photo de Vladimir Gerdo / SPUTNIK / AFP)
Au lendemain du terrible tremblement de terre qui a ravagé une partie du territoire syrien, Bachar el-Assad a su profiter de la catastrophe pour redevenir un interlocuteur fréquentable aux yeux de ses partenaires arabes. L’Arabie saoudite, qui était réticente à l’idée de reprendre le chemin de Damas, rouvrira prochainement son ambassade. Un réchauffement qui est le résultat de la médiation de plusieurs pays.
Après l’élan de solidarité panarabe qui a déferlé en Syrie après le séisme en février dernier, les chancelleries arabes reprennent officiellement contact avec Damas. Outre les propos amicaux de Kaïs Saïed, la visite d’une délégation libanaise, la venue du chef de la diplomatie égyptienne dans la capitale syrienne, la réception en grande pompe de Bachar el-Assad à Mascate et Abou Dhabi, c’est au tour de Riyad de renouer le dialogue officiellement avec le régime syrien.
En effet, selon des informations révélées par Sputnik puis confirmées par Reuters, l’Arabie saoudite rouvrira son ambassade à Damas à la fin du ramadan. Riyad, qui sera l’hôte du prochain sommet de la Ligue arabe, invitera le président syrien le 19 mai. Damas retrouvera donc son siège après plus de 10 ans de suspension.
Depuis plusieurs semaines, des déclarations officielles laissaient présager d’un futur réchauffement des relations bilatérales. Conscient de la nécessité d’un changement de paradigme sur la question syrienne, le chef de la diplomatie saoudienne Faisal bin Farhan avait insisté en février sur la mise en place d’un « dialogue » pour éviter le « statu quo ». Plus récemment, en visite à Moscou et répondant aux questions de RT Arabic, le président Bachar el-Assad a souligné que « la politique saoudienne a pris une direction différente envers Damas pendant des années, et ne s'est pas ingérée dans les affaires intérieures de la Syrie, ni n'a soutenu aucune des factions ». Un changement de ton qui dénote avec les positions respectives de Riyad et de Damas tout au long de la crise syrienne.
Mais ce dégel est surtout le fruit d’une médiation commune entre les Emirats arabes unis, Oman et la Russie. Ces trois pays militent activement pour un retour de Damas dans la Ligue arabe. Qui plus est, ce début de rapprochement syro-saoudien s’inscrit également dans le sillage d’un renouveau des relations entre Téhéran et Riyad, les deux anciens ennemis régionaux. Compte tenu de leurs influences respectives sur la scène moyen-orientale, ce dialogue pourrait être bénéfique pour les pays ou l’Iran et l’Arabie saoudite ont un pouvoir d’attraction.
De la reprise d’Alep à l’ouverture des ambassades
Ce retour des monarchies arabes vers Damas ne s’est pas fait sans embûche. Initialement, les pays du Golfe ont pris fait et cause pour une opposition hétéroclite, quitte à financer et armer plusieurs groupes djihadistes dans l’espoir de faire tomber Bachar el-Assad qui devenait selon eux trop inféodé à l’agenda iranien.
Depuis décembre 2018 et la réouverture de l’ambassade émiratie à Damas, les pétromonarchies reviennent sur leurs positions vis-à-vis de Bachar Al-Assad. Après la reprise d’Alep en 2016 par les forces loyalistes du régime, Abou Dhabi a été en premier à changer son fusil d’épaule. Dans une logique d’hostilité aux Frères musulmans, Mohamed Ben Zayed (MBZ), le président des Émirats arabes unis, était même prêt à financer en mars 2020 l’intervention syrienne contre le dernier bastion rebelle d’Idlib, majoritairement contrôlé par les islamistes de Hayat Tahrir Al-Cham. Malgré les inquiétudes et les critiques de Washington, rien n’y fait, les Emiraties ont acté leur changement politique à l’égard de Damas. Pour Abou Dhabi, il s’agit de ramener la Syrie dans l’orbite de l’arabité en concurrençant l’influence iranienne. Depuis sa suspension au sein de la Ligue arabe en novembre 2011, Damas n’a eu de cesse de se rapprocher de l’Iran au détriment des pays du Golfe.
Mohamed Ben Salman (MBS), le prince héritier de l’Arabie saoudite a quant à lui admis cette nouvelle réalité géopolitique lors d’une interview en 2018 à l’hebdomadaire Time en déclarant que « Bachar Al-Assad restera probablement au pouvoir » tout en espérant que la Syrie ne devienne pas « une marionnette aux mains de l’Iran ». Même si Riyad n’a pas encore rouvert son ambassade, les deux pays ont maintenu le contact par le biais de leurs services de renseignements. Le général Khalid Ben Ali Al-Humaidan, directeur du Riasat Al-Istikhbarat Al-Amah, les services secrets saoudiens, s’est rendu à Damas pour rencontrer son homologue syrien Ali Mamlouk en 2021. Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés en catimini en Arabie saoudite durant l’été 2015.
Bachar el-Assad le funambule
Autre signe significatif d’un changement de politique, l’envoi de l’ambassadeur bahreïni Wahid Moubarak Sayyar en Syrie en décembre 2021. Étant sous influence saoudienne, le Bahreïn n’agit pas sans l’aval de son parrain. Mais ce retour arabe ne va pas se faire sans contrepartie. La Syrie a besoin des subsides des pétromonarchies pour reconstruire le pays, mais les dirigeants du Golfe attendent également que Damas prenne un peu ses distances avec Téhéran.
Fidèle allié de Bachar el-Assad durant tout le conflit, l’Iran a tissé un réseau d’alliance sur le territoire syrien. Le rôle de l’Iran est devenu croissant depuis l’intervention russe en Ukraine, les forces iraniennes ont remplacé dans certains secteurs les troupes de Moscou. Les Iraniens sont notamment proches de la quatrième division, contrôlée par Maher Al-Assad, le frère du président syrien. Indépendamment des connivences militaires, l’Iran, à l’instar de la Russie, souhaite obtenir des gains économiques après avoir investi des dizaines de milliards de dollars dans son opération en Syrie.
Téhéran a construit plusieurs centrales électriques à Banyas et à Alep et a des entrepôts dans le port de Lattaquié. Pour épauler l’État syrien face aux pénuries de pétrole, Téhéran a envoyé plusieurs tankers. De surcroît, l’Etat iranien investit majoritairement à Alep, deuxième ville du pays, où il contrôle l’aéroport de la ville, mais également à Deir ez-Zor ou à Abou Kamal, à la frontière syro-irakienne pour sanctuariser son corridor terrestre jusqu’à la Méditerranée.
La Syrie revient pleinement dans le concert des nations du Moyen-Orient. Reste à savoir maintenant si Bachar el-Assad profitera de cette détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran pour adopter la même politique d’équilibriste que son père.