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Monde

Quand l’accord entre Riyad et Téhéran négocié par Pékin change la donne au Moyen-Orient

Le Dialogue

Un homme à Téhéran tient un journal local rapportant sur sa première page l'accord négocié par la Chine entre l'Iran et l'Arabie saoudite pour rétablir les liens, signé à Pékin la veille, le 11 mars 2023. Riyad et Téhéran ont annoncé le 10 mars qu'après sept années de rupture des liens, ils rouvriraient les ambassades et les missions dans les deux mois et appliqueraient les accords de sécurité et de coopération économique signés il y a plus de 20 ans. (Photo par ATTA KENARE / AFP)

 

Contre toute attente, Riyad et Téhéran ont convenu, le 10 mars 2023, de rétablir leurs relations diplomatiques, et de rouvrir les ambassades dans un délai de deux mois.

Téhéran et Riyad sont parvenus à cet accord après une médiation, une fois n’est pas coutume, de Pékin.

Pour mémoire, l’Arabie saoudite et l’Iran ont rompu leurs relations en janvier 2016, après l’attaque de missions diplomatiques saoudiennes par des manifestants dans la République islamique à la suite de l’exécution par Riyad d’un éminent religieux chiite, Nimr al-Nimr.

Et l'Arabie saoudite a porté des accusations contre l'Iran pour des attaques de missiles contre des installations pétrolières en 2019 ainsi que des infractions contre des pétroliers dans le Golfe. Téhéran a nié les accusations, mais le mouvement houthi soutenu par l'Iran au Yémen a été tenu pour responsable des attaques de missiles et de drones sur le territoire saoudien.

Dans ce contexte, les Émirats arabes unis, le Koweït et Bahreïn avaient par la suite réduit leurs liens diplomatiques avec Téhéran pour soutenir Riyad.

Ce n’est qu’à partir d’avril 2021 que Bagdad prenait l’initiative d’organiser des réunions entre officiels iraniens et saoudiens. L’objectif de l’Irak ? Rapprocher les deux pays et tenter à résoudre les points de tension entre les deux puissances rivales, à savoir la guerre au Yémen et le programme nucléaire iranien.

Quid de la médiation chinoise ?

A la mi-février 2023, Ebrahim Raïssi, le Président iranien, a effectué une visite d’État de trois jours en Chine, la première d’un président iranien dans ce pays depuis plus de 20 ans. Ces derniers mois, les Émirats et le Koweït avaient repris leurs relations diplomatiques avec l’Iran.

Chacun sait que l’Iran et l’Arabie Saoudite soutiennent des parties rivales dans plusieurs conflits dans la région, notamment au Yémen. L’Iran a une influence prépondérante en Irak et au Liban et soutient militairement et politiquement le régime en Syrie. Pékin avait signé en 2021 un vaste accord stratégique sur 25 ans avec Téhéran dans des domaines aussi variés que l’énergie, la sécurité, les infrastructures et les communications.

Dans ce contexte, le chef de la diplomatie iranienne, Hossein Amir Abdollahian a salué « Le retour à des relations normales entre Téhéran et Riyad offre de grandes possibilités aux deux pays, à la région et au monde musulman », ajoutant que son ministère allait « lancer activement d'autres initiatives régionales ».

Par ailleurs cet accord a été conclu sous les auspices de la Chine, et cette dernière est bel et bien assimilée à un rival systémique par la Maison-Blanche. 

Dans cette perspective, Washington joue profile bas. Il réfute l'idée d'un retrait américain de la région, dont profiterait Pékin pour étendre son influence. Il préfère par ailleurs expliquer que tout ce qui pourrait apaiser les tensions entre Israël et ses voisins arabes serait une bonne chose. 

De fait, Israël aimerait établir des relations diplomatiques avec Riyad. Mais le Royaume saoudien a manifestement choisi de le faire d'abord avec l'Iran, adversaire déterminé de l’État hébreu et des États-Unis.

Cette nouvelle situation est une vraie claque pour Washington 

Pour l’heure, Pékin, ne manquera de claironner son succès dans son rôle d’arbitre et de négociateur entre les nations. Et il y a plus, l’Empire de Milieu soulignera volontiers, la perte d’influence des États-Unis sur la scène internationale. Étant entendu que Washington n'a jamais eu la possibilité de négocier un tel accord faute de dialogue constructif avec l'Iran.  Dans le même temps, la Chine profitera probablement de cette opportunité pour renforcer sa sécurité énergétique grâce à une relation renforcée avec les deux pays producteurs de pétrole. Pékin dépend de l'Iran et de l'Arabie saoudite pour le pétrole. Pour Pékin, cet accord a bien plus qu’une valeur symbolique puisqu’il vise assurément à consolider son accès à ses ressources énergétiques.Qu’on y songe, l’accord a potentiellement des répercutions importantes quant à l'accord sur le nucléaire iranien et la guerre civile au Yémen, où les deux parties sont impliquées dans une guerre par procuration depuis huit ans (les rebelles houthis sont soutenus par Téhéran, tandis que Riyad dirige une coalition militaire en soutien au Gouvernement).Elle montre par ailleurs la nouvelle détermination de l'Arabie saoudite à mener une politique étrangère indépendante de l'Occident.
Depuis 2021, des pourparlers ont eu lieu entre les deux groupes de responsables en Irak et à Oman, mais aucun accord n'a été conclu. L'accord négocié est la preuve d'une présence chinoise croissante et de son intérêt accru à jouer un rôle dans la région

Dans ce contexte, l'accord négocié est la preuve d'une présence chinoise croissante et de son intérêt accru à jouer un rôle dans la région, dont les répercussions se feront sentir positivement pour l’ensemble des pays de la région et bien au-delà puisque l’Inde et le Pakistan pourraient être aussi impactés.

Et comme les États-Unis n'entretiennent pas de bonnes relations avec l'Iran, la Chine est en bonne position pour négocier un accord. 

C'est une activité relativement peu risquée et très rémunératrice pour la Chine, car Pékin n’est pas attaché à un résultat particulier.

De meilleures relations diplomatiques entre l'Arabie saoudite et l'Iran réduiront la probabilité d'un conflit régional et réduiront les tensions dans la zone. C'est une bonne chose pour la Chine, pour les États-Unis comme pour les acteurs régionaux.

Le rôle de la Chine dans les pourparlers marque un tournant pour les ambitions de Pékin dans la région. Parallèlement à l'intervention de la Russie dans la guerre en Syrie, la diplomatie chinoise est un autre signe de l'influence décroissante des États-Unis.La Chine a intensifié ses relations avec l'Arabie saoudite et l'Iran ces dernières années en devenant un acheteur majeur de pétrole au Moyen-Orient, mais ses ambitions semblaient depuis longtemps commerciales, avec peu d'intérêt à s'impliquer dans le règlement des conflits de la région.On l’aura compris, Pékin a fourni une bouée de sauvetage à l'Iran frappé par les sanctions, devenant son principal acheteur de brut restant depuis que les États-Unis se sont retirés d'un accord nucléaire en 2018.  Et il y a plus. Les Chinois ont recherché des liens plus étroits avec l'Arabie saoudite, la rivale régionale de l'Iran, dont ils sont le plus grand partenaire commercial et l'un des principaux acheteurs de pétrole. Riyad a également commencé à importer des technologies de missiles sensibles.Il va sans dire que les États-Unis ont de plus en plus dévié et poursuivi des postures qui les empêchent tout simplement d'être un médiateur crédible.De fait, les États-Unis prennent de plus en plus parti dans les conflits, devenant co-belligérants dans les conflits régionaux, ce qui rend très difficile pour Washington de jouer un rôle de faiseur de paix.Quant à la Chine, elle n'a jamais pris parti entre l'Arabie saoudite et l'Iran. Si Pékin entretient également des relations politiques et économiques substantielles avec Israël, les Américains ont historiquement soutenu Israël et l'Arabie saoudite contre l'Iran, et n'ont donc pas été en mesure de jouer ce rôle de médiateur.Jusqu’à très récemment, l'Amérique était le seul partenaire susceptible d’apporter un soutien à la fois viable et stratégique pour les pays de la région. Aujourd’hui il apparait que ce constat est révolu puisque la Chine est entrée en scène au même titre que la Russie du reste.